Dr. Ghislain Onomo Onomo : « Le développement de l’Afrique la prédispose à accueillir de grands événements sportifs »
Dr. Ghislain Onomo Onomo, expert en économie du sport, analyse l'impact des événements sportifs internationaux sur le développement du sport en Afrique et les opportunités économiques qu'ils génèrent pour le continent.
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Dr, au cours des deux prochaines années, l’Afrique va organiser les premiers championnats mondiaux de cyclisme organisés au Rwanda, la cinquième édition de la Basketball Africa League (BAL) en 2025 et les Jeux Olympiques de la Jeunesse 2026 au Sénégal. Quel commentaire vous suscite cette ruée du monde du sport international vers l’Afrique?
Si l’on peut parler de ruée du monde du sport international en Afrique au cours des deux prochaines années comme vous le dites au regard du nombre d’événements sportifs organisés dans le continent, ce qui n’était presque pas arrivé auparavant, n’oublions pas que l’Afrique compte déjà une coupe du monde de football organisée en Afrique du Sud en 2010, ce qui n’est pas du tout négligeable. Ce retour en force des organisateurs de grands événements sportifs sur le continent montre que l’Afrique a un grand potentiel organisationnel, une jeunesse sportive diversifiée et de plus en plus nombreuse.
Même si le facteur limitant des pays africains dans leur volonté d’accueillir les évènements sportifs internationaux réside beaucoup plus dans le nombre et la qualité de leurs infrastructures sportives, sanitaires, de communication, etc. Avec le temps, le développement progresse et les pays africains se dotent d’infrastructures. Ce qui fait reculer leurs limites en termes de capacité à accueillir ces grands événements sportifs. C’est donc dire en d’autres termes qu’au fil des ans, le nombre d’événements sportifs internationaux qui seront organisés en Afrique va certainement être croissant, ce qui ne peut être qu’une bonne nouvelle pour le continent africain tout entier.
Peut-on s’attendre à ce que ces événements boostent le sport en Afrique pour porter sa contribution au PIB du continent à 8% comme le prévoit la Banque mondiale ?
L’organisation d’évènements sportifs internationaux pourrait porter la contribution du sport à 8% du PIB selon les prévisions de la Banque mondiale
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Au niveau mondial, l’économie du sport se porte bien depuis vingt ans avec une croissance moyenne de 5%, ce qui correspond à 2% du PIB. Malheureusement, l’Afrique est à la traîne avec 0,5%, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années, ce qui veut dire que la progression est effective bien qu’elle soit lente. L’organisation d’évènements sportifs internationaux est une opportunité à saisir pour atteindre cet objectif fixé par la Banque mondiale.
A chaque fois qu’un évènement sportif d’envergure internationale est organisé dans un pays africain, cela suppose la construction d’infrastructures diverses en quantité et en qualité suffisantes et aux normes internationales. Les retombées de chaque événement sportif international organisé en Afrique sont diverses. Sur le plan économique, elles ne sont pas toujours évidentes, bien qu’effectives. A titre d’exemple, dans leur ouvrage publié en 2021 aux Editions Dinimber & Larimber, Yaoundé, Cameroun intitulé « Réussir l’organisation des compétitions sportives en Afrique : Le cas de la Coupe d’Afrique des Nations de football », Onomo, Onomo G.M., Saïdou V., Bakena E. se sont intéressés à plusieurs sujets dont « l’analyse de l’injection de consommation des visiteurs de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) féminine de football « Cameroun 2016 » ». Il s’avère que les 8410 visiteurs enregistrés pour une durée de quinze jours, ont eu à dépenser un total d’un peu plus de 5 milliards de FCFA, soit près de 8 millions USD. C’est le montant injecté dans l’économie locale des villes (Yaoundé, Douala, Bafoussam, Garoua et Limbe) qui ont accueilli la compétition. Ce montant aurait pu augmenter si l’on avait actionné en temps opportun des leviers incitatifs d’entrée des visiteurs au Cameroun. Cet exemple montre à suffisance que l’organisation régulière d’évènements sportifs internationaux par les pays africains ne peut que contribuer à booster l’économie du sport dans notre continent.
Dans son édition de janvier 2024 sur l’économie africaine, l’Agence française de développement (AFD) rappelle que dans le cadre de sa stratégie « plus d’investissements, plus d’impact », la FIFA a investi 2,8 milliards USD, dont 717 millions en Afrique, lors de la période 2016-2022. Est-ce que les performances en Afrique reflètent ce niveau d’investissement ?
La médiocrité des performances sportives des équipes nationales africaines de football traduisent le fait que de nombreux efforts restent à fournir pour les améliorer. On peut donc dire dans une certaine mesure, que ces performances sont à l’image de l’investissement de la FIFA.
Seulement, il faut souligner que ce niveau d’investissement est déjà considérable au regard des données chiffrées que vous avancez sachant que des paramètres autres que les résultats sportifs sont pris en compte dans la répartition par l’instance faîtière du football mondial, de la cagnotte disponible. Il faut également tenir compte de la volonté politique dans les pays africains, à investir pour le développement dans la durée, du football car des problèmes de corruption et de détournement de fonds sont souvent évoqués dans la gestion des fédérations sportives.
Ainsi, au cœur du FIFAgate il y a quelques années, il a été démontré qu’une partie des valises d’argent venue de la FIFA en direction des fédérations sportives, était retournée à la FIFA quelque temps après, pour acheter le silence de certains décideurs. La question est donc de savoir si la quantité d’argent déclarée par la FIFA a effectivement été utilisée pour servir au développement du football africain ? Toutefois, au regard des 54 fédérations que l’on a en Afrique, et des énormes besoins que l’on observe dans le football africain, nous pensons que la FIFA devrait revoir à la hausse son niveau d’investissement en Afrique.
Si l’on intègre que sur les 2.958 milliards USD de revenus de télédiffusion de la FIFA en 2022, la contribution de l’Afrique subsaharienne est de 3%, peut-on dire que, globalement, l’économie du sport en Afrique souffre également d’un déficit de promotion?
La promotion du sport est une industrie dont l’Afrique s’approprie peu à peu les subtilités
Tout à fait, l’économie du sport en Afrique est encore balbutiante. D’ailleurs les données statistiques parlent d’elles-mêmes : 3% de l’économie du sport mondial ! Cela traduit le fait que la culture de la promotion du sport connaît encore d’énormes lacunes sur le continent. La diffusion en direct des rencontres sportives a encore un coût très élevé et nécessite un matériel de pointe dont ne disposent pas toujours les médias, tant publics que privés, en Afrique en général, et au sud du Sahara en particulier. On comprend donc pourquoi la retransmission du sport n’est pas évidente en Afrique, quand bien même il s’agit des matches des équipes nationales.
Or, dans les pays développés, on parle du sport business qui est toute une industrie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un nouveau type d’économie a été mis sur pied à savoir l’économie des sports professionnels. Cette dernière permet de mieux gérer les championnats de football professionnels devenus depuis quelques décennies, télé-dépendants. C’est dire la place de choix qu’occupent les retombées financières de la diffusion des rencontres sportives, dans l’économie du sport ailleurs.
Le Maroc, 4ème du dernier mondial de football, l’Afrique du Sud pour la deuxième fois championne du monde de rugby, Francis Nganou, champion du monde de MMA. Ces performances pourraient-elles favoriser la diversification du sport et booster l’économie y relative ?
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Les performances sportives de plus en plus positives des pays africains non seulement en football, mais aussi dans d’autres disciplines sportives ne peuvent que favoriser la diversification des pratiques sportives en Afrique et leur développement. Si chaque discipline sportive dans laquelle excelle un pays africain est bien organisée sur le continent, et attire l’organisation des compétitions internationales, le sport en général ne peut qu’être boosté. Bien plus, les divers champions et les grandes nations sportives selon les disciplines, gagnent de l’argent au niveau international et peuvent investir dans leurs pays respectifs. La construction d’infrastructures sportives de qualité et en quantité suffisantes est un facteur qui encourage la pratique sportive dans une discipline sportive concernée.
Si les champions investissent chacun dans sa discipline sportive pour une bonne formation des jeunes talents, et que les fédérations sportives à travers les Etats organisent des compétitions internationales, le sport va connaître une véritable diversification, ainsi qu’une économie boostée.
Quelles stratégies préconisez-vous pour que l’Afrique capte plus de financements du monde du sport?
Une volonté politique pour améliorer la gouvernance sportive va renforcer la crédibilité de l’Afrique auprès des banques et des partenaires d’événements sportifs internationaux
Pour que l’Afrique capte plus de financements du monde du sport, nous proposons d’abord qu’il y ait une réelle volonté politique dans les Etats africains de voir le sport se développer à travers de bonnes organisations, de bonnes structurations et un fonctionnement appréciable des organisations sportives favorables à leur professionnalisation. Ensuite, nous pensons à l’instauration de la pratique de la bonne gouvernance au sein de nos organisations sportives. La gestion des financements affectés au sport doit être dépouillée des fléaux tels que la corruption, le détournement des deniers publics, l’organisation d’élections truquées d’avance, avec un processus électoral anti démocratique, etc. Les autorités locales doivent se rassurer que les fédérations aient à la tête, non pas de simples managers, mais des managers leaders. La bonne organisation et le bon fonctionnement de nos organisations sportives vont inspirer de la confiance aux investisseurs et attirer ces derniers en grand nombre et avec des montants beaucoup plus importants.
Quels rôles peuvent jouer les gouvernements et les banques dans la promotion du sport en Afrique?
Ils sont de plusieurs ordres. L’on pense d’abord à la mise à disposition des subventions importantes suivie de contrôles de gestions systématiques afin que l’argent destiné au sport ne soit utilisé que pour son développement. Les banques doivent faciliter l’accès des organisations sportives au crédit à faibles taux de remboursement pour la réalisation de leurs projets. Les gouvernements doivent faire montre d’une véritable volonté politique de voir le sport se développer dans leurs pays respectifs. Pour cela, ils doivent veiller à la gestion transparente des ressources au sein des organisations sportives.
Quid de la formation?
L’exemple du Maroc, demi-finaliste de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, montre que l’Afrique peut rivaliser avec les meilleurs à l’internationale
Ici, la responsabilité des gouvernements est convoquée au premier chef. En effet, nous pensons qu’ils doivent créer des écoles de formation de qualité en quantité suffisante et équitablement réparties sur l’ensemble du territoire et veiller sur la qualité des produits. Il revient alors aux fédérations d’utiliser les produits formés pour constituer le staff technique de leurs équipes nationales. Cela devrait contribuer à réduire l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, notamment occidentale, dont la prise en charge grève les budgets de nos pays. Les récents exemples du Sénégal, champion d’Afrique en 2021 au Cameroun, de la Côte-d’Ivoire qui gagne la CAN à domicile en 2024 et du Maroc, demi-finaliste de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, sont là pour nous convaincre de ce que l’Afrique regorge en son sein de talents qui peuvent porter haut son étendard dans les compétitions internationales.
Comme nous l’avons suggéré pour la promotion du sport, les banques doivent mettre à la disposition des promoteurs des centres de formation et d’écoles de sports, des prêts bancaires suffisamment échelonnés et à taux préférentiel afin de favoriser la formation du maximum de jeunes comme athlètes, ainsi que dans les métiers du sport qui sont de plus en plus nombreux et dont l’importance n’est plus à démontrer.