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Emploi et formation : un nouveau paradigme s’impose

Vingt millions. C’est le nombre d’emplois que devrait créer chaque année l’Afrique subsaharienne au cours des vingt prochaines années pour relever le défi de l’emploi de sa jeunesse. Or, si tous, acteurs publics, privés et partenaires internationaux, s’accordent sur cette priorité, les résultats continuent de se faire attendre. Analyse. 

Par Dounia Ben Mohamed

C’est le défi ultime de l’Afrique. L’emploi. Car si la jeunesse du continent est son principal atout, elle est également son principal challenge. Pour l’heure, l’Afrique compte 420 millions de jeunes de 15 à 35 ans sur une population totale de 1,3 milliard d’habitants ; un chiffre qui devrait passer à 830 millions à l’horizon 2050. Or, pour les 10 à 20 millions de jeunes africains qui arrivent chaque année sur le marché du travail, seuls 3 millions d’emplois formels sont créés dans le même temps. Un constat corroboré par les statistiques du Centre africain pour la transformation économique, basé à Accra, qui estiment à près de 50 % la part des diplômés universitaires ne trouvant pas d’emploi.

De fait, cette question de l’emploi est au cœur de toutes les préoccupations- des responsables publics locaux aux organisations patronales, en passant par les partenaires au développement- et la crise née du Covid-19 n’a fait que renforcer l’urgence de trouver des réponses. Dans le secteur de l’aviation, du tourisme ou plus largement des services, des millions d’emplois ont été perdus. L’Organisation internationale du Travail (OIT) estime pourtant que si l’on réduisait de moitié le taux de chômage des jeunes dans le monde, le PIB mondial pourrait s’accroître de 2 200 à 3 500 milliards de dollars, 20 % de cette croissance bénéficiant directement à Afrique subsaharienne.

« Nous devons dépasser le stade de la planification »

Le constat une fois posé, reste le plus dur, appliquer des solutions durables. Diverses politiques nationales de lutte contre le chômage ont été proposées au fil des années, mais avec des résultats limités. En septembre 2004 par exemple, les dirigeants africains avaient décidé d’adopter une stratégie à l’échelle du continent, appelée Plan d’action de Ouagadougou. Dans le cadre de cette feuille de route, adoptée lors d’un sommet de l’Union africaine sur l’emploi organisé au Burkina Faso, les pays du continent s’étaient notamment engagés à diversifier leurs économies de façon à développer des industries à forte intensité de main-d’œuvre, adopter des lois qui attirent les investisseurs et créer des perspectives d’emploi pour les femmes et les jeunes. « Nous devons dépasser le stade de la planification », exhortait alors le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU, Abdoulie Janneh. Mais les effets d’annonce passés, le Plan d’action de Ouagadougou n’a jamais décollé, les programmes de création d’emplois étant rarement intégrés aux stratégies nationales de développement.

Diversifier les économies et privilégier les secteurs qui emploient une main-d’œuvre importante

De fait, les économies de nombre de pays africains reste encore trop dépendantes d’une ou deux ressources primaires (pétrole, gaz, cacao, minerais…), ce qui limite de facto la taille du bassin des emplois. Certaines nations ont pourtant réussi à diversifier leurs activités, en transformant ces matières premières ou en développant par exemple l’industrie manufacturière légère, à l’image de l’île Maurice. Au cours des quatre dernières décennies, Maurice a ainsi enregistré un taux de croissance économique annuelle de 6 % en moyenne, ce qui a permis de multiplier par quatre le revenu par habitant et de réduire sensiblement le chômage (passé de 20 % en 1983 à 6 % en 2019). Pour ce faire, le gouvernement est parvenu à attirer les investisseurs dans les principaux secteurs d’exportation du pays, tels que les industries sucrière et vestimentaire. Les pouvoirs publics mauriciens ont également facilité la création de zones franches industrielles, offrant des avantages aux investisseurs tout en permettant aux travailleurs de former des syndicats (contrairement aux zones franches d’autres pays).

Autre approche pour booster l’emploi, la formation à la création d’entreprise, en dehors du système scolaire. Plusieurs études démontrent ainsi que la promotion des petites entreprises et du secteur informel permet d’apporter des solutions rapides au chômage. Au Nigéria, qui comprend plus de 10 millions de petites entreprises, le gouvernement apporte par exemple son soutien aux nouveaux entrepreneurs dans le cadre d’un réseau d’une vingtaine de centres de développement industriel. Ces structures publiques forment de la sorte les jeunes, les aidant à convertir leurs idées en projets viables, tout en fournissant des prêts.

« Investir aujourd’hui de façon stratégique dans nos jeunes, afin que demain, le nouvel horizon d’une Afrique dynamique et prospère devienne réalité́ »

En outre, les initiatives privées se multiplient, soutenues parfois par des partenaires institutionnels. Dans cette optique, la Banque africaine de développement (BAD) a mis en place fin 2017- en marge du 6e Forum des affaires Union européenne-Afrique à Abidjan (Côte d’Ivoire)- le programme « Des emplois pour les jeunes en Afrique », qui mise sur la collaboration entre l’institution et ses partenaires des secteurs privé de toute l’Afrique. Objectif affiché par la banque panafricaine, « créer 25 millions d’emplois et profiter à 50 millions de jeunes au cours des dix prochaines années, en leur donnant les compétences nécessaires pour obtenir des emplois décents et pérennes ». Présent à la cérémonie de lancement du programme, le président de la BAD, Akinwumi Adesina a pour sa part rappelé que « donner des emplois aux jeunes en Afrique [consistait] simplement à investir aujourd’hui de façon stratégique dans nos jeunes, afin que demain, le nouvel horizon d’une Afrique dynamique et prospère devienne réalité ». 

Résultat, au Zimbabwe par exemple- un pays où le taux de chômage est estimé à 90 %- Sharon Muchena est l’une des six entrepreneures à avoir achevé une formation en confection de vêtements au Centre de formation professionnelle de Motare, la quatrième ville du pays, profitant d’un projet destiné à améliorer l’emploi des jeunes dans le tourisme. Aujourd’hui, Sharon produit des survêtements, des uniformes scolaires et d’autres habits pour sa communauté. Elle dirige avec ses collaboratrices l’une des quatre entreprises créées au terme du projet.

Dans le même esprit, la société d’investissement I&P a lancé I&P Accélération au Sahel, un véhicule de financement abondé par l’Union européenne à hauteur de 15,5 millions d’euros pour soutenir les start-up et petites entreprises des 13 pays de la région sahélienne. Déployé sur une période de quatre ans, ce programme d’accompagnement donnera à 300 porteurs de projets un accès aux financements et aux compétences nécessaires pour leur permettre d’accélérer leur développement et ce dans un « écosystème entrepreneurial encore fragile », marqué  par « l’insécurité, le difficile accès aux financements, le manque d’accompagnement ou les difficultés de recrutement », soulignent les concepteurs d’&P Accélération au Sahel. 

D’ici là, le Sénégal accueillera le troisième établissement africain (après l’Afrique du Sud et le Maroc) de l’Ecole 42, fondée par l’entrepreneur et milliardaire français Xavier Niel. Mondialement réputée, la structure  a vocation à former des spécialistes aux métiers du numérique. À partir d’un cursus s’étalant sur deux à cinq ans, elle proposera notamment, selon les besoins de l’apprenant, des cours de programmation, d’infrastructures informatiques, d’innovation et d’entrepreneuriat. Et à travers le pays de la Téranga, l’école 42 pourra exporter son concept à toute l’Afrique subsaharienne francophone.

Adapter les programmes scolaires et miser sur les STEM

On en revient ainsi aux fondamentaux, l’éducation. L’Afrique subsaharienne consacre 5 % de son PIB à l’éducation ; un chiffre en ligne avec les recommandations formulées par le Forum mondial de l’éducation- organisé par l’UNESCO-, qui évaluent ente 4 à 6 % du PIB d’un pays ou 15 à 20 % de ses dépenses publiques, la part qui devrait être consacrée à l’éducation. Certains pays du continent comme le Zimbabwe, Eswatini (ex Swaziland) ou le Sénégal font d’ores et déjà mieux, avec plus 6 % de leur PIB national affecté à l’éducation. Mais d’autres, à l’inverse, tels que  le Sud-Soudan, la République Démocratique du Congo, la Guinée-Bissau, l’Ouganda et Madagascar, y consacrent moins de 2,5 % de leur PIB. Une autre préoccupation concerne les dépenses élevées du système éducatif, 56 % de celles-ci étant consacrées aux salaires. Quant aux contenus, « ils sont archaïques », observe le responsable d’une organisation patronale. L’accent doit être mis sur les sciences, les mathématiques, l’ingénierie et les technologies préconise-t-il. Les fameuses STEM (acronyme de science, technology, engineering, and mathematics). 

C’est la tendance. Les écoles et centres de formation en IT se développent partout sur le continent, apprenant, y compris aux plus jeunes, à coder, à se familiariser avec la 3D, mais aussi avec l’Intelligence Artificielle (IA). Certains en partenariat avec des leaders mondiaux, tels que Meta (anciennement Facebook), Microsoft, Mastercard…  Et cela, pour préparer demain : 80% des métiers qui existent aujourd’hui seront amenés à disparaître dans les vingt prochaines années, avec l’arrivée de l’IA notamment. Mais en attendant, il faut créer des emplois pour les jeunes déjà présents sur le marché du travail. Or, à ce niveau, les programmes de formation professionnelle font encore cruellement défaut. « L’entreprise doit être plus invitée dans les écoles », exhortent les spécialistes. Les programmes scolaires, notamment dans les établissements supérieurs, doivent être revus selon les besoins du marché et pour ce faire, les acteurs du secteur privé, autrement dit les futurs recruteurs, doivent prendre part au débat. Notamment ceux à la tête d’entreprises sociales, qui emploieraient 41,6 millions de personnes en Afrique subsaharienne selon une étude menée par le British Council, et dont les bénéfices sont principalement réinvestis dans leur communauté plutôt qu’avec une logique de maximisation des profits. Une dimension « humaine » plus que jamais indispensable dans cette ère post-Covid. En attendant, le lancement de la zone de libre-échange continentale africaine, la Zlecaf, nourrit un nouvel espoir, celui de la libre-circulation à terme des personnes. Une liberté nouvelle qui permettra notamment aux jeunes, et moins jeunes, de circuler librement à travers le continent pour trouver un emploi.

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