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Corruption : un frein au développement que l’Afrique doit impérativement lever

Alors que la valorisation du capital africain est plus que jamais considérée comme un levier de croissance pour le continent, la lutte contre la corruption s’impose comme une condition essentielle. Ce fléau économique et social prive l’Afrique de milliards de dollars chaque année, affaiblissant ses institutions et étouffant son potentiel.

Par Bilkyss Mentari, à Abidjan

C’était un des thèmes majeurs des dernières assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD)qui se tenaient à Abidjan du 26 au 30 mai. La lutte contre la corruption, au cœur de ses priorités. Cette orientation reflète une volonté claire d’éradiquer un mal qui, selon l’ONUDC, représente « le principal obstacle au développement économique et social dans le monde ».

La corruption n’investit pas dans l’avenir, elle le tue

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à l’échelle mondiale, environ 1 000 milliards de dollars sont versés chaque année en pots-de-vin, et 2 600 milliards sont détournés, soit plus de 5 % du PIB mondial.

« La corruption n’investit pas dans l’avenir, elle le tue », a rappelé Akinwumi Adesina, président sortant de la BAD.

En Afrique, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) estime que plus de 89 milliards de dollars quittent le continent chaque année sous forme de flux financiers illicites, soit plus que l’aide publique au développement reçue. La corruption, sous toutes ses formes — détournements, marchés truqués, favoritisme — serait responsable de la perte de 20 à 25 % des budgets publics annuels dans plusieurs pays, privant les États de ressources précieuses pour financer leurs priorités.

Une réponse stratégique et coordonnée

Pour faire face à ce défi, la BAD déploie une approche multidimensionnelle. Elle s’appuie sur sa Stratégie décennale 2024-2033, qui accorde une place centrale à la gouvernance économique, et sur un Plan d’action 2025-2026 contre le blanchiment d’argent et les flux financiers illicites. Un Plan anticorruption 2025-2030 est également en cours d’élaboration.

Ces outils visent à renforcer les cadres réglementaires, améliorer la transparence sur les bénéficiaires effectifs, appuyer les autorités de contrôle et mobiliser la société civile. La transparence des marchés publics, le contrôle citoyen et la coopération internationale sont identifiés comme des priorités majeures.

Réformes concrètes et évaluation rigoureuse

Dans ses activités de financement, la BAD intègre des évaluations des risques de gouvernance et de corruption, notamment via les outils CPIA (Country Policy and Institutional Assessment) et CFRA (Country Fiduciary Risk Assessment). Ces dispositifs permettent d’identifier les failles institutionnelles et de recommander des réformes adaptées.

En Côte d’Ivoire, l’institution a ainsi soutenu l’adoption d’une nouvelle stratégie nationale de lutte contre la corruption, ainsi qu’une modernisation du cadre juridique.
 Au Soudan du Sud, des formations ont permis de renforcer les compétences de l’agence nationale anticorruption.

En Égypte, la BAD a contribué à renforcer les capacités d’enquête de l’Agence de contrôle administratif.

À l’échelle continentale, des pays comme le Rwanda, le Botswana ou le Cap-Vert sont régulièrement cités comme exemples de bonne gouvernance, avec des mécanismes de contrôle robustes, une volonté politique affirmée et des résultats tangibles sur le terrain.

Traquer les avoirs illicites, renforcer la coopération

L’engagement de la Banque va également au-delà des frontières nationales, avec son soutien à la Position africaine commune sur le recouvrement des avoirs (CAPAR). Elle joue un rôle actif dans le Forum des praticiens africains du recouvrement des avoirs, qui réunit les experts du continent pour favoriser la coopération judiciaire.

Par ailleurs, grâce à l’initiative ABENOT, la transparence sur les bénéficiaires réels des entreprises est améliorée, ce qui freine la création de sociétés-écrans servant à dissimuler des fonds illégaux.

Enquêtes, sanctions et mobilisation citoyenne

Le Bureau de l’intégrité et de la lutte contre la corruption (PIAC) de la BAD mène des enquêtes sur les projets à haut risque, applique des sanctions et effectue des contrôles d’intégrité. En 2020, 155 entités ont été exclues pour pratiques frauduleuses, en vertu de l’accord multilatéral signé avec d’autres institutions financières internationales.

“Lutter contre la corruption, c’est restaurer la confiance et redonner espoir “

Mais la lutte ne se joue pas seulement au sommet. Plusieurs ONG africaines, comme Transparency International Afrique, BudgIT Nigeria ou AfroLeadership, militent pour un accès élargi à l’information budgétaire, la participation citoyenne et la dénonciation des abus.

« Lutter contre la corruption, c’est restaurer la confiance et redonner espoir », souligne Hassatou Diop N’Sele, vice-présidente chargée des finances.

Quand l’Europe détrône l’Afrique… dans les classements de la corruption

Ironie de l’histoire : alors que l’Afrique renforce ses mécanismes de lutte, l’Europe s’est hissée au premier rang mondial de la corruption au premier trimestre 2025, selon un rapport inédit de l’Organisation mondiale de sécurité contre la corruption et le crime (OMSAC). Ce classement, basé sur des enquêtes indépendantes et témoignages de lanceurs d’alerte, contraste fortement avec les classements conventionnels souvent accusés de partialité.

Du scandale Huawei au Parlement européen, à l’affaire du clan “Petit Bar” en Corse, en passant par les investigations sur General Electric en France ou les nouvelles inculpations dans le Qatargate, les révélations s’accumulent et mettent à mal l’image de probité du Vieux Continent.

Il est temps de mettre fin à la stigmatisation systématique des pays en développement, trop souvent érigés en coupables idéaux, alors que les grandes puissances restent à l’abri des projecteurs

« Il est temps de mettre fin à la stigmatisation systématique des pays en développement, trop souvent érigés en coupables idéaux, alors que les grandes puissances restent à l’abri des projecteurs », déclare un analyste d’OMSAC.

Cette inversion du regard oblige à reconsidérer les narratifs dominants et à exiger une lutte équitable contre la corruption, au Nord comme au Sud. Car si l’Afrique veut aller de l’avant, c’est aussi au reste du monde d’assainir ses pratiques et de coopérer loyalement.

Un impératif pour libérer le potentiel du continent

Pour la Banque mondiale, « la corruption réduit l’efficacité des dépenses publiques, décourage les investisseurs et aggrave les inégalités sociales ». En Afrique, cela signifie des hôpitaux sans matériel, des écoles sans enseignants, des routes jamais construites malgré les budgets votés.

Alors que le continent doit mobiliser au moins 200 milliards de dollars par an pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), selon la Banque mondiale, les fuites financières représentent une hémorragie insoutenable.

La corruption réduit l’efficacité des dépenses publiques, décourage les investisseurs et aggrave les inégalités sociales

En plaçant la gouvernance et la transparence au cœur de ses interventions, la BAD entend jouer un rôle moteur. Mais la réussite dépendra aussi de la volonté politique des États, de l’indépendance de la justice, de l’éducation des citoyens et de la coopération internationale.

L’Afrique ne manque ni de ressources, ni de talents — elle doit maintenant garantir qu’ils ne soient plus détournés.

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