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Afrique fintech – Deux vitesses, un destin : Comment créer un écosystème gagnant partout

Dans cette analyse, Ebenezer Olarewaju explore les contrastes entre les écosystèmes fintech d’Afrique anglophone et francophone. Si la première semble avoir une longueur d’avance, la seconde affiche un potentiel croissant. Deux vitesses, mais un même destin à construire ensemble.

Par Ebenezer OLAREWAJU*

L’Afrique est aujourd’hui un terrain fertile pour l’innovation fintech, avec une croissance rapide qui redéfinit les services financiers sur le continent. Cependant, cette révolution ne se déploie pas de manière uniforme. Les régions anglophones et francophones présentent des dynamiques distinctes, influencées par des différences culturelles, réglementaires et économiques. Alors, quelles leçons peut-on tirer de ces disparités ?

1. Un écosystème anglophone en avance

Les pays anglophones, comme le Nigeria, le Kenya et l’Afrique du Sud et l’Egypte dominent le paysage fintech africain. Plusieurs facteurs expliquent cette avance :

a. Un accès au financement plus important

Les hubs technologiques de Lagos, Nairobi et Cape Town attirent la majorité des investissements en capital-risque. En 2022, le Nigeria et le Kenya ont capté plus de 70 % des fonds levés par les fintechs africaines. Des géants comme Flutterwave, Chipper Cash et M-Pesa ont bénéficié de levées de fonds record, propulsant leur expansion à l’international.

b. Une culture entrepreneuriale forte

L’anglais, langue internationale des affaires, facilite les partenariats et l’accès aux marchés mondiaux. Les écosystèmes anglophones sont également soutenus par des initiatives locales, comme le programme iHub au Kenya mais aussi par de nouveaux incubateurs et accélérateurs qui émergent à travers la région et qui encourage l’innovation et la collaboration.

c. Des régulations plus flexibles

Les régulateurs anglophones, comme la Central Bank of Kenya et la Central Bank of Nigeria, ont adopté une approche proactive pour encourager l’innovation, bien que l’on observe une tendance vers une surveillance plus accrue à mesure que le secteur mature. Par exemple, le régime de « sandbox réglementaire » permet aux fintechs de tester leurs solutions dans un cadre sécurisé, sans contraintes excessives.

2. Un potentiel francophone en pleine émergence

En Afrique francophone, des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc, l’Égypte (qui partage des dynamiques avec les deux régions) et de nouveaux acteurs comme le Rwanda (bien que bilingue, son dynamisme est notable) commencent à se démarquer. Bien que l’écosystème soit moins mature, il présente des atouts uniques :

a. Un soutien gouvernemental croissant

Des initiatives comme le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement au Maroc ou le Programme Sénégal Numérique, et des stratégies nationales de digitalisation en Côte d’Ivoire et au Rwanda montrent une volonté de structurer l’écosystème fintech. Ces efforts se traduisent par un intérêt croissant des investisseurs locaux et internationaux et par un environnement plus favorable aux startups.

b. Une intégration régionale prometteuse

L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) offre un cadre harmonisé qui facilite l’expansion des fintechs dans plusieurs pays. Par exemple, la fintech ivoirienne Djamo a réussi à s’étendre au Cameroun et au Sénégal grâce à cette intégration régionale. Des initiatives similaires d’intégration se développent dans d’autres régions francophones.

c. Des besoins non satisfaits

Avec un taux de bancarisation qui, bien qu’en progression, restent inférieurs à ceux des régions anglophones, l’Afrique francophone offre un potentiel énorme pour des solutions inclusives. Des startups comme Wave (mobile money) et MaTontine (microfinance digitale) , et de nouveaux acteurs dans les domaines du paiement mobile, de la microfinance digitale et de l’agritech répondent à ces besoins en ciblant les populations mal desservies.

3. Les défis communs et spécifiques

Malgré leurs différences, les deux régions partagent des défis similaires :

a. Accès au financement

Bien que les investissements se diversifient, l’accès au financement reste un défi, en particulier pour les startups en phase de croissance et pour celles basées en Afrique francophone. On observe cependant une augmentation de fonds d’investissement panafricains et locaux ciblant spécifiquement les marchés francophones. Le crowdfunding et d’autres formes de financement alternatif gagnent également en popularité.

b. Infrastructure numérique

Les zones rurales, tant anglophones que francophones, souffrent encore d’un accès limité à l’internet et à l’électricité. Cela freine l’adoption des services fintech dans ces régions.

c. Défis spécifiques

  • Régulations complexes en francophonie : Les cadres réglementaires, souvent inspirés des modèles européens, peuvent être perçus comme rigides et ralentir l’innovation. On observe cependant des efforts pour simplifier certaines procédures et pour adopter des approches plus adaptées aux spécificités des fintechs afin de trouver un équilibre entre protection des consommateurs et encouragement de l’innovation.
  • Concurrence intense en anglophonie : La saturation des marchés anglophones pousse les startups à chercher des niches, à se différencier et à explorer de nouveaux marchés, y compris en Afrique francophone, créant ainsi des synergies potentielles.

4. Vers un développement plus harmonieux et des opportunités de collaboration accrues

Pour maximiser le potentiel de la fintech africaine dans son ensemble, plusieurs pistes se confirment et se développent :

a. Renforcement des synergies régionales

Les collaborations entre les écosystèmes anglophones et francophones se multiplient. Les fintechs anglophones cherchent à s’étendre sur les marchés francophones, apportant leur expérience et leurs technologies, tandis que les fintechs francophones peuvent bénéficier de ces partenariats pour accéder à des financements plus importants et à des modèles commerciaux éprouvés. Des initiatives de mise en réseau et des événements communs favorisent ces échanges.

b. Convergence et harmonisation réglementaire

On observe une prise de conscience croissante de la nécessité d’une plus grande collaboration entre les régulateurs des différentes régions. Des discussions et des initiatives visant à harmoniser certaines règles, notamment en matière de paiements transfrontaliers et de protection des données, sont en cours, bien que restant un processus complexe.

c. Investissements ciblés dans l’infrastructure

Les gouvernements, les organisations internationales et le secteur privé investissent dans l’amélioration de l’infrastructure numérique et énergétique, reconnaissant son rôle crucial dans le développement de la fintech et de l’inclusion financière.

d. Priorité à l’éducation et la formation

Les programmes éducatifs et les initiatives de formation axés sur les compétences numériques, l’entrepreneuriat et les technologies financières se développent dans les deux régions, contribuant à combler le déficit de talents et à soutenir la croissance de l’écosystème.

Un objectif commun : transformer les services financiers pour répondre aux besoins d’une population jeune et connectée

Le paysage fintech africain en 2025 témoigne d’une croissance continue et d’une complexification croissante. Si les régions anglophones conservent une certaine avance, l’Afrique francophone démontre un dynamisme et un potentiel d’innovation considérables. Par dessus tout, elles partagent un objectif commun : transformer les services financiers pour répondre aux besoins d’une population jeune et connectée. En tirant parti de leurs forces respectives et en surmontant leurs défis, ces deux régions peuvent contribuer à faire de l’Afrique un leader mondial de l’innovation fintech.

Et vous, comment percevez-vous ces disparités ? Quelles solutions proposez-vous pour rapprocher ces deux écosystèmes ?

*Ebenezer Olarewaju est chef de produit spécialisé en données, transformation IT et digitalisation, avec un vif intérêt pour la fintech africaine. Observateur curieux, il est également praticien certifié SAFe et passionné par l’innovation sur les marchés émergents.

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