Luc Eyraud : “Plusieurs facteurs concomitants sont à l’origine de la pénurie de financement que connaissent de nombreux pays d’Afrique subsaharienne”
Dans le cadre d'une conférence de presse à Abidjan, en Côte d'Ivoire, Luc Eyraud, Directeur des Études Régionales pour l’Afrique au Fonds Monétaire International (FMI), a présenté les conclusions du rapport sur les perspectives économiques pour l’Afrique subsaharienne, soulignant à la fois les progrès réalisés et les défis persistants.
Lors d’une conférence organisée au siège du ministère ivoirien des Finances, Luc Eyraud, Directeur des Études Régionales pour l’Afrique au Fonds Monétaire International (FMI), a présenté les conclusions du rapport sur les perspectives économiques pour l’Afrique subsaharienne. Des conclusions pour le moins nuancées.
En effet, après quatre années marquées par une turbulence économique, la région connaît une amélioration progressive de ses perspectives. La croissance économique devrait passer de 3,4 % en 2023 à 3,8 % en 2024, avec près des deux tiers des pays prévoyant une croissance plus élevée. Cette tendance positive devrait se maintenir au-delà de 2024, avec une croissance projetée à 4,0 % en 2025. Parallèlement, l’inflation a diminué de manière significative, et les ratios de dette publique se stabilisent, plusieurs pays ayant même réussi à émettre des euro-obligations, renouant ainsi avec l’accès aux marchés internationaux après deux ans d’absence.
Les besoins bruts de financement extérieur pour les pays à faible revenu sont estimés à plus de 70 milliards de dollars par an au cours des quatre prochaines années
Toutefois, des défis demeurent. La région continue de faire face à une pénurie de financement, avec des coûts d’emprunt élevés et des échéances de remboursement de dette imminentes. Les perspectives économiques restent vulnérables aux chocs externes, notamment aux risques accrus liés à l’instabilité politique et aux catastrophes climatiques.
La réduction des sources traditionnelles de financement, notamment l’aide publique au développement, contribue en partie à cette pénurie a expliqué Luc Eyraud. “Plusieurs facteurs concomitants sont à l’origine de la pénurie de financement que connaissent de nombreux pays d’Afrique subsaharienne dont la hausse des taux d’intérêt au niveau mondial, la hausse des spreads sur les obligations souveraines et la dépréciation des monnaies de la région par rapport au dollar” analyse Luc Eyraud. Les besoins bruts de financement extérieur pour les pays à faible revenu en Afrique subsaharienne sont estimés à plus de 70 milliards de dollars par an au cours des quatre prochaines années. À mesure que les sources concessionnelles se raréfient, les gouvernements se tournent vers des options de financement alternatives, souvent associées à des coûts plus élevés, moins de transparence et des échéances plus courtes.
Le coût de l’emprunt, tant intérieur qu’extérieur, a augmenté et reste élevé pour de nombreux pays. En 2023, les paiements d’intérêts du gouvernement représentaient 12 % de ses recettes (hors dons) pour le pays médian d’Afrique subsaharienne, plus du double par rapport à il y a dix ans. Le secteur privé commence également à ressentir les effets des taux d’intérêt plus élevés.
La région demeure vulnérable aux chocs mondiaux
Les risques pour les perspectives restent orientés à la baisse. La région demeure vulnérable aux chocs mondiaux, en particulier à une demande extérieure plus faible et à des risques géopolitiques élevés. De plus, les pays d’Afrique subsaharienne font face à une instabilité politique croissante et à des chocs climatiques de plus en plus fréquents et intenses.
Pour relever ces défis, le rapport identifie trois mesures stratégiques : restaurer la santé financière des États sans entraver le développement, poursuivre une politique monétaire axée sur la stabilité des prix, et mettre en œuvre des réformes structurelles pour diversifier l’économie et les sources de financement. Une coopération internationale accrue est nécessaire pour soutenir ces efforts visant à construire un avenir plus inclusif, durable et prospère pour l’Afrique subsaharienne.
Contexte oblige, le responsable du FMI a évoqué la situation des pays de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel (AES). « Les pays de l’AES ont décidé de quitter la CEDEAO, mais pas l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Leur départ de la CEDEAO soulève les questions de l’incertitude et de la perception des investisseurs qui peuvent avoir du mal à faire la distinction entre la zone commerciale d’échanges qu’est la CEDEAO et la zone de monnaie unique qu’est l’UEMOA. Il y aura une perturbation des échanges et des perturbations moins importantes sur les flux des individus« , annonce-t-il.
En attendant, le pays hôte de la rencontre, la Côte d’Ivoire, se porte bien. « De 6,2% l’année dernière, le PIB réel de la Côte d’Ivoire devrait s’établir à 6,5% cette année, tiré par son agriculture et les revenus des trois cycles d’exploitation du champ gazier et pétrolier Baleine », a indiqué Luc Eyraud. Avant de nuancer là encore son analyse : « Toutefois, il faut que la Côte d’Ivoire améliore sa résilience, en se dotant d’outils et de politiques de résilience climatique. La dette ivoirienne, représentant 57% de son PIB à fin 2023, est à risque modéré et la Côte d’Ivoire a émis, en janvier dernier, deux Eurobonds, d’une valeur de 2,6 milliards de dollars américains, pour équilibrer ses ratios de liquidité et de solvabilité. Son ratio d’endettement devrait descendre pour représenter 53% de son PIB, d’ici 2027.”