A la uneLe dossier du mois
A la Une

Rwanda : 30 ans après, les traditions locales au coeur de la reconstruction

Au Rwanda, 30 ans après le génocide, les traditions locales se révèlent être des piliers inattendus de la reconstruction. Des approches ancrées dans la culture et la communauté, telles que les tribunaux populaires "Gacaca" et l'initiative "Umuganda", se sont avérées être des modèles inspirants pour le développement, offrant des leçons précieuses pour l'Afrique et au-delà.

Par Aimable Twahirwa, à Kigali

Aux lendemains du génocide contre les Tutsis en 1994, le Rwanda s’est retrouvé confronté à des défis monumentaux de justice et de réconciliation. Face à des systèmes judiciaires et carcéraux incapables de répondre adéquatement aux crimes commis, le pays a entrepris une réflexion approfondie sur les moyens de juger les coupables tout en favorisant une véritable réconciliation nationale.

Les tribunaux populaires « Gacaca » (« le gazon »), inspirés des traditions judiciaires réconciliatrices du Rwanda précolonial, ont émergé comme une réponse novatrice à cette crise. Lancés en 2001, ces tribunaux ont jugé 1 059 298 dossiers génocidaires, avec un taux de condamnation de 65%. Dirigés par des citoyens et s’appuyant sur des principes traditionnels de résolution des conflits, les Gacaca ont offert un moyen de rendre justice tout en ouvrant la voie à la réconciliation.

Le  Procureur Général de la République au Rwanda Aimable Havugiyaremye,  affirme qu’au -delà de leur vocation judiciaire et réconciliatrice,  le système de ces  tribunaux populaires à mi-chemin entre la justice traditionnelle et la justice conventionnelle créés en 2001 a permis  de juger des responsables du génocide de 1994 poursuivies pour avoir organisé, préparé, inciter les gens, commis les actes de viol, tortures sexuelles et planifié ce génocide.

Le rôle des tribunaux Gacaca est essentiel pour comprendre la dynamique de la justice participative au Rwanda. Leur création a été un acte de foi dans les valeurs de la communauté, un retour aux racines culturelles pour restaurer un pays déchiré.

Justice participative et travaux communautaires

Les Gacaca, tribunaux villageois rwandais ont pu juger des milliers de crimes commis au cours du génocide de 1994@Aimable Twahirwa

Au-delà des innovations juridiques par recours à ces tribunaux populaires un autre mécanisme de Justice communautaire a été institutionnalisé depuis 2004 pour trancher les différends parmi la communauté portant notamment sur les affaires qui étaient auparavant traduites devant les juridictions ordinaires.

Ainsi, les « Abunzi », médiateurs communautaires, ont également joué un rôle crucial dans la résolution des conflits, en particulier dans les litiges fonciers post-génocide. Avec environ 30 000 médiateurs à travers le pays, le Rwanda a démontré son engagement envers une approche de justice ancrée dans la communauté.

Un récent  rapport publié par le Rwanda Initiative for Sustainable Development (RISD) une ONG basée au Rwanda révèle que les « Abunzi » figurent parmi les juges « communautaires » ayant gagné la confiance du public pour avoir joué un rôle clé dans la résolution des litiges fonciers, depuis le génocide de 1994.

Le ministre rwandais de la Justice Dr Emmanuel Ugirashebuja  souligne l’importance pour les communautés locales de jouer un rôle dans ce système de règlement des différends. 

Selon lui, le Rwanda a décidé de revenir à ses racines culturelles dans la réparation du tissu social déchiré par le Génocide contre les Tutsis en 1994.

Ces initiatives ont été reconnues à l’échelle internationale, avec le Rwanda recevant le Prix du Commonwealth pour l’accès à la justice. Les Abunzi et le Système intégré de gestion électronique des cas (IECMS) ont été salués comme des exemples de réussite dans l’utilisation de solutions locales pour promouvoir la justice et la réconciliation.

Sur base de l’expérience rwandaise par cette justice réconciliatrice, certains pays africains sont en train de tirer des leçons pour la pratique de la justice populaire, affirme un juriste rwandais.

« Umuganda », qui signifie littéralement « se rassembler dans un objectif commun pour réaliser une activité », incarne l’esprit de développement communautaire au Rwanda@Aimable Twahirwa

Au-delà de la sphère judiciaire, l’initiative « Umuganda », qui signifie littéralement « se rassembler dans un objectif commun pour réaliser une activité », incarne l’esprit de développement communautaire au Rwanda. Cette pratique, qui oblige chaque citoyen à participer à des travaux communautaires mensuels, est devenue un modèle pour de nombreux pays africains et au-delà. En se concentrant sur l’amélioration des conditions de vie et la protection de l’environnement, Umuganda symbolise l’engagement collectif envers le bien-être de la société.

Alors que certaines activités d’Umuganda se concentrent davantage sur l’infrastructure comme la construction d’écoles et de logements pour ceux qui en ont besoin,  les efforts sont consentis essentiellement sur la protection de l’environnement et l’amélioration des conditions d’hygiène notamment.

«Umuganda constitue un bon exemple d’initiatives en faveur du développement communautaire », affirme Jean Claude Musabyimana, ministre rwandais de l’Administration locale.

L’expérience rwandaise démontre le pouvoir des traditions locales dans la reconstruction post-conflit. En embrassant ses valeurs culturelles et en impliquant activement sa communauté, le Rwanda ouvre la voie à une véritable guérison et à un développement durable.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page