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Jean-Marc Savi de Tové : “Nous avons relevé le défi d’aller rechercher des capitaux en Afrique et dans le monde pour les mettre à la disposition des PME à fort potentiel”

Jean-Marc Savi de Tové est co-fondateur de Adiwale Partners, l’un des premiers, et encore rare, fonds de capital-investissement panafricain. Fondé en 2016, il s’adresse tout particulièrement aux PME africaines dont il connaît l’écosystème et les singularités. Il analyse pour ANAMag la problématique de leur financement et les solutions à préconiser.

Présentez-nous Adiwale Partners, première structure de gestion de fonds de capital-investissement à vocation sous-régionale créée en Afrique de l’Ouest francophone ?

Adiwale Partners est la première structure indépendante de gestion de fonds de capital investissement créée par des francophones pour accompagner les PME en Afrique de l’Ouest. Elle a été créée par Vissého Gnassounou et moi-même en 2016, suite à une double constatation. Tout d’abord, celle que les entreprises de la région, à commencer par les PME, manquent cruellement de capitaux propres et d’accompagnement opérationnel pour leur croissance. Deuxièmement, les quelques acteurs du capital investissement dans la région sont essentiellement des acteurs panafricains ou européens avec des filiales dans l’UEMOA, ce qui ne permet pas toujours de bien comprendre la dynamique de croissance ni les besoins exprimés par ces entreprises. Vissého et moi avons une expérience cumulée de plus de 50 ans dans l’investissement : capital risque, capital investissement, marchés cotés, fonds de fonds (investissement dans des fonds d’investissement) et enfin financement LBO. Cette expérience a été acquise dans notre région cible c’est-à-dire les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, mais aussi dans des places financières mondiales, New York, Londres et Paris. Aussi, nous avons relevé le défi d’aller rechercher des capitaux en Afrique et dans le monde pour les mettre à la disposition des PME à fort potentiel dans la plupart des secteurs de nos économies. Nous sommes basés à Abidjan en Côte d’Ivoire d’où nous couvrons la région.

Comment votre structure accompagne-t-elle les PME ?

Adiwale Partners discute avec les propriétaires d’entreprise et selon leurs besoins en capitaux propres, investit de 3 à 8 millions d’euros pour détenir une position minoritaire à leur capital. Le/la propriétaire garde bien sûr le contrôle de son entreprise, mais avec une forte implication de notre équipe et parfois de consultants extérieurs pour contribuer à créer de la valeur, en étroite collaboration avec l’actionnaire majoritaire. Le vrai défi de nos PME est celui de la gestion de la croissance qui leur demande de progresser en même temps dans tous les domaines de l’activité. Sur le plan externe, il s’agit de conquérir de nouveaux marchés, d’élaborer de nouveaux produits, de se frotter à un environnement transactionnel beaucoup plus complexe par exemple au niveau des méthodes de livraison et de paiement. Sur le plan interne, pour accompagner ces nouvelles exigences, les PME doivent recruter un personnel mieux formé, plus expérimenté ce qui se traduit par des besoins de formation, une gestion de carrière et des rémunérations plus importantes. Les PME doivent également renforcer leurs pratiques en matière d’environnement. Vous voyez donc que sans support financier et opérationnel, le challenge dans un environnement concurrentiel est très difficile à relever. Le point de vue, assez fréquent encore dans certaines PME selon lequel « on a toujours fait comme ça », n’est plus possible. Nous avons tous besoin de plus d’agilité et d’adaptabilité. Notre mission est justement de les accompagner sur tous ces aspects et pas seulement sur le plan financier, pour leur permettre de capter un marché qui en effet est en croissance.

Pourquoi et comment êtes-vous mieux adapté pour répondre aux besoins des PME africaines ?

La première raison est que nous sommes des entrepreneurs et financiers africains. La grande partie de notre expérience d’investissement se concentre sur le thème des PME. Nous sommes nous-mêmes une PME. Notre fonds est taillé pour accompagner les PME, celles de taille moyenne en particulier. Notre approche et nos process tiennent compte de notre ADN local et international et de notre compréhension intime du fonctionnement d’une PME, surtout familiale. La PME est un orchestre, et il faut non seulement de l’ambition et du talent chez le chef d’orchestre mais aussi de la qualité chez tous les musiciens, ainsi que des instruments. La bonne formule c’est : RH x RH x Outils. Ce que nous faisons, c’est que nous nous mettons d’accord avec eux, sur un calendrier d’amélioration de l’organisation de leur entreprise. Un autre élément important est la rapidité de la prise de décision d’investissement par un Comité d’investissement de professionnels maîtrisant notre environnement.

300 milliards de dollars, c’est le gap de financement nécessaires aux PME africaines. Quels types de mécanismes, innovants, doit-on imaginer pour combler ce déficit ?

Le gap de financement aux PME africaines est en effet énorme, même s’il reste difficile à évaluer. L’on a souvent tendance à penser que seule l’innovation financière permettra de combler ce gap, mais à y regarder de près, on voit qu’il s’agit surtout de bien utiliser les outils qui existent déjà. Un exemple simpliste, mais parlant, c’est celui de l’entrepreneur qui recherche des financements, mais qui n’est absolument pas prêt à offrir une transparence à ses banquiers ou à ses investisseurs sur ses comptes et sur son activité. La transparence crée de la confiance et par ricochet de la valeur financière pour la société financée, et donc pour ses actionnaires. La plupart des outils de support, des PME, et d’investissement existent déjà et ont fait leurs preuves en Afrique et ailleurs. L’intermédiation doit être plus forte, de l’accompagnement opérationnel jusqu’à la levée de fonds. En gros, pour allumer une lampe électrique, il faut une batterie, ou toute autre forme de génération d’électricité, mais il faut aussi un bon câblage.

Pour conclure, quelles sont vos recommandations afin de consolider la croissance des PME africaines ?

L’Afrique est un continent en croissance. Nos PME évoluent donc déjà dans un environnement propice. Cela peut paraître choquant de dire cela tant les défis sont énormes. A commencer par la capacité des États à créer un environnement propice au développement du secteur privé. Les goulots d’étranglement sont généralement connus, mais l’amélioration de l’environnement du business se heurte souvent à des prises de décisions encore trop lentes dans les administrations, des intérêts contraires à l’intérêt commun, etc. Des progrès importants ont été réalisés au fil des années dans certains pays, notamment en termes de règlement des différends, protection juridique et de la propriété.

Au niveau des entreprises elles-mêmes, une plus grande professionnalisation dans la gestion est absolument nécessaire avec la croissance. Renforcer les capacités humaines, mettre les bonnes personnes à la bonne place, aider nos écoles et universités à mieux former, etc. Enfin, pour le chef d’orchestre qu’est l’entrepreneur, se convaincre qu’on ne peut avoir de la bonne musique avec un excellent saxophoniste et un piètre percussionniste, et qu’on ne peut avoir de la très bonne musique avec des musiciens de qualité moyenne. Du côté des financiers, au-delà de banques mieux capitalisées et plus fines sur leur appréciation du risque, il faut plus de capitaux longs et une certaine flexibilité dans la mise en œuvre des produits pour les PME. Il faudrait aussi une plus forte diversification d’investissement de l’épargne collectée (assureurs, caisses de sécurité sociale etc). L’épargne locale est peut-être un peu trop allouée aux Etats et à l’immobilier et pas assez au secteur privé dans son ensemble. Je ne connais pas de pays au monde où l’Etat s’est avéré être meilleur investisseur que le secteur privé.

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