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Fuck la résilience

Et si la résilience, longtemps perçue comme une force des peuples africains, devenait aujourd'hui une faiblesse à combattre ? Dans cette tribune percutante, Sidonie Latere, fondatrice et CEO de Kobo Hub, invite à repenser notre rapport à la résilience et à transformer l’adaptation passive en exigence active pour bâtir un avenir digne et durable.

Par Sidonie Latere*

Et si la résilience n’était plus une qualité, mais une faiblesse ?

La résilience est souvent célébrée comme une qualité essentielle des peuples africains. Elle incarne la capacité d’endurer l’adversité, de continuer malgré les épreuves, de survivre face aux injustices. Mais en 2025, peut-on encore glorifier cette résilience sans en questionner les dérives ? Et si, au lieu d’être un moteur d’espoir, elle devenait une alerte silencieuse que nous avons trop longtemps ignorée ?

Une résilience qui masque les échecs structurels

En RDC, comme dans bien d’autres pays africains, la résilience est devenue un mot-valise. Elle dissimule les manquements de nos institutions, l’inaction de nos gouvernants, l’inefficacité de nos systèmes. Nous nous sommes habitués à pallier les absences de l’État. Nous avons appris à vivre sans électricité, à marcher des kilomètres pour trouver de l’eau, à accoucher sans soins adéquats, à éduquer nos enfants dans des salles de classe surpeuplées.

  • Prenons un exemple concret : les infrastructures sanitaires. Aujourd’hui, environ 46 millions de Congolais utilisent des latrines insalubres ou partagées, tandis que 6,7 millions de personnes n’ont tout simplement pas accès à des latrines du tout. Cette situation a des conséquences sanitaires dramatiques. Chaque année, des milliers de personnes, en particulier des enfants, meurent de maladies hydriques comme le choléra ou la typhoïde. Selon une étude du Programme Eau et Assainissement (WSP), la RDC perd environ 208 millions de dollars par an à cause du manque d’infrastructures sanitaires. Ce chiffre ne traduit pas seulement une perte économique, mais aussi une atteinte directe à notre dignité collective. Et pourtant, nous continuons à nous adapter. À faire preuve de résilience. Encore et encore.
  • L’électricité est un autre exemple frappant. Dans de nombreuses villes et villages, les coupures sont quotidiennes. Les populations s’organisent, investissent dans des générateurs ou vivent dans l’obscurité. On célèbre leur capacité à « faire avec », alors qu’il s’agit surtout d’un échec d’infrastructure et de volonté politique.
  • Début avril, ma ville, Kinshasa, a été frappée par des pluies torrentielles qui ont duré plusieurs jours. Les conséquences ont été dévastatrices : des routes coupées, des maisons englouties, des familles entières se retrouvant sans abri, dormant dans leurs voitures ou sur les toits des maisons. Beaucoup ont perdu leurs biens, et les pertes en vies humaines ont été nombreuses. Ce drame aurait pu être atténué avec des infrastructures adaptées et des mesures préventives, mais encore une fois, nous avons dû faire preuve de résilience.
  • Je ne parlerai même pas de la situation à l’Est du pays et ses millions de morts. Nos coeurs saignent et l’on nous demande de continuer à être résilient.

Transformer notre résilience en exigence

Il est temps de revoir notre narration collective. Nous ne voulons plus être perçus comme des peuples qui « savent survivre malgré tout ». Nous voulons être reconnus comme des peuples qui refusent de survivre dans l’indignité, et qui exigent de vivre dans la dignité, l’efficacité et l’innovation.

Notre résilience doit devenir une force de transformation. Elle doit alimenter notre colère constructive, notre exigence de résultats, notre soif de réforme. Elle ne doit plus être célébrée comme une fin en soi, mais utilisée comme une alarme.

Cessons de nous adapter – Bâtissons !

Nous ne voulons plus seulement nous adapter. Nous voulons construire. Construire des systèmes solides, des institutions dignes de confiance, des équipes compétentes et engagées.

Il est temps de reconnaître que cette fameuse « résilience », si souvent vantée, est devenue une alerte. Un aveu déguisé de nos faiblesses structurelles. Et comme toute alerte, elle ne doit ni être célébrée, ni ignorée. Elle doit nous secouer, nous réveiller.

Nous voulons construire pour nos enfants et pour les générations futures. Et pour cela, il est indispensable de devenir plus exigeants envers celles et ceux qui gouvernent notre pays.

L’avenir ne se subit pas, il se construit. Fuck la resilience ! * Sidonie Latere est la fondatrice et CEO de Kobo Hub

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