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Winnie Madikizela Mandela L’icône de la lutte anti-apartheid s’est éteinte

La mère de la Nation sud-africaine n’est plus. Winnie Madikizela Mandela est décédée le lundi 2 avril 2018 à l’âge de 81 ans des suites d’une longue maladie dans un hôpital de Johannesburg. L’Afrique lui rend hommage. Parmi lesquels, Philippe Savadogo, ancien directeur du Fespaco.
Par Ibrahima Sanou, à Ouagadougou

« Je dois vous confier toute la tristesse qui m’anime parce que j’ai eu à la côtoyer mais surtout parce que c’est l’icône de la lutte anti-apartheid qui s’en est allée. » L’artisan de sa venue au Burkina Faso, l’ancien délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) Philippe Savadogo, a salué la mémoire d’une mère courage. « Aujourd’hui, nous pouvons retenir d’elle qu’elle a été une militante farouche de l’aile gauche de l’ANC avec comme compagnon Cyril Ramaphosa (l’actuel président sud-africain), et aussi comme héritier Julius Malema ».

Saluer la mémoire d’une « mère courage »

Sur les conditions de sa venue au Burkina Faso en 1995, l’ancien ministre de la communication rappelle que le FESPACO a toujours soutenu les luttes de libération et principalement celle de l’ANC. Aussi à la libération de Nelson Mandela, il s’est rendu une première fois en Afrique du Sud au cours de l’année 1993. « Ensuite, lorsque le gouvernement de l’union a été formé avec Winnie Mandela comme ministre en charge de la culture, nous avons tout de suite pensé et décidé que nous devrions rendre hommage à cette  mère courage, cette femme digne qui a accompagné l’ANC durant toute sa vie. C’est ainsi que nous sommes repartis en Afrique du Sud en 1994, soit un an avant le FESPACO précisément à Soweto où nous sommes restés plusieurs heures avec Winnie Mandela. Nous lui avons expliqué le contenu du  FESPACO mais également, la volonté et l’envie des africains et des hommes de culture de la rencontrer et de la toucher des yeux. C’est ainsi qu’elle a pris la décision courageuse de venir au Burkina Faso. Elle est arrivée au FESPACO 1995 pour la grande cérémonie d’ouverture au stade du 4 Août ».

La présence de Winnie Mandela a apporté une plus-value au FESPACO

La présence de Winnie Mandela a apporté une plus-value au FESPACO. Cette présence a permis d’instaurer le principe des invités d’honneur du FESPACO dont elle a été la première. A la suite, il y a eu d’autres personnalités comme Cheick Modibo Diarra, Elikia M’Bokolo, Manu Dibango et bien d’autres personnalités. En même temps, cette présence a été le début de la jonction et de la coopération culturelle entre l’Afrique du Sud et le Burkina Faso. « Cette coopération s’est soldée par un protocole d’accord qui a été signé entre les deux pays sur le plan cinématographique et culturel ».  Concernant les accusations, dont l’épouse de Mandela a été victime, Philippe Savadogo déplore qu’à chaque fois qu’une femme est leader, on trouvera toujours quelque chose à lui reprocher. « Ainsi, on a ternit l’image de ces mères courages qui ont joué un rôle important dans l’histoire de l’humanité et elles ont été mis dans les tiroirs après les triomphes ». Selon lui, Winnie Mandela reste une femme populaire, une haute personnalité du continent africain et nous devons nous en inspirer comme ces grandes amazones de l’histoire qui jalonnent le continent et qui ont marqué à un moment ou à un autre, la vie de la nation.

«On n’a jamais eu vraiment de vie de famille. On ne pouvait pas arracher Nelson à son peuple. La lutte contre l’apartheid et la Nation venaient d’abord»

Le fait est que si tout au long de sa vie, Winnie Mandela a brillé par son courage, comme toutes les grandes personnalités, aura eu sa part d’ombre. Née le 26 septembre 1936 dans la province du Cap oriental (sud), dont est également originaire Nelson Mandela, Winnie Madikizela obtient un diplôme universitaire de travailleur social, une exception pour une femme noire à l’époque. Première assistante sociale noire d’Afrique du Sud en 1955, elle épouse Nelson Mandela en 1958. Elle a 21 ans, et lui, divorcé et père de famille, presque 40 ans. De cette union, qui a duré 38 ans, sont nées deux filles. Mais de famille, le couple n’en connaîtra pas. Et Winnie en parlera dans ses mémoires.  «On n’a jamais eu vraiment de vie de famille. On ne pouvait pas arracher Nelson à son peuple. La lutte contre l’apartheid et la Nation venaient d’abord». Après l’arrestation de son époux en 1962, l’assistante sociale abandonne l’hôpital de Soweto pour se lancer activement dans la lutte contre le régime raciste blanc. Malgré les pressions de toutes sortes et la prison, elle n’abandonnera pas son combat contre la politique ségrégationniste et deviendra une cible privilégiée de la police de l’époque. Face à la brutalité de plus en plus croissante du régime de l’apartheid, Winnie se radicalise au point que certaines de ses prises de position finissent par inquiéter le Congrès national africain (l’ANC).

Son slogan « un Boer, une balle »

De cette radicalisation, l’on retient son slogan « un Boer, une balle » ou son discours du 13 avril 1985 à Munsieville où elle fait l’apologie du supplice du pneu enflammé autour du cou des « traîtres noirs ». «Avec nos boîtes d’allumettes et nos pneus enflammés, nous libérerons ce pays ». A la sortie de prison de Nelson Mandela en 1990, Winnie est à ses côtés mais très vite les divergences entre les deux apparaissent. En 1991, Winnie est reconnue coupable de complicité dans l’enlèvement du jeune activiste de l’ANC Stompie Moeketsi, soupçonné d’être un agent du régime blanc. L’adolescent de 14 ans enlevé sera retrouvé mort. En 1992, Mandela annonce sa séparation d’avec Winnie et le divorce est prononcé en 1996. Un climat délétère s’installe entre eux. Et Winnie fustige publiquement les positions de son ex-époux, qu’elle considère comme un traître à la cause des Noirs. Elle ne cesse de critiquer également l’accord historique passé par son illustre mari avec les Blancs pour mettre fin à la ségrégation. «Mandela nous a abandonnés. L’accord qu’il a conclu est mauvais pour les Noirs ».

Députée depuis 1994 et réélue à chaque élection, Winnie prend régulièrement la défense des plus pauvres

Vice-ministre de la Culture après les premières élections multiraciales de 1994, Winnie est limogée du gouvernement de son époux, un an plus tard pour insubordination. Reléguée au second plan, elle fait son retour en politique en 2007 en intégrant le Comité exécutif du parti, l’instance dirigeante de l’ANC. Députée depuis 1994 et réélue à chaque élection, Winnie prend régulièrement la défense des plus pauvres. En 2003, la justice sud-africaine retient contre elle 43 chefs d’accusations de fraude et 25 autres de vol. Son différend  avec son ex-mari s’est poursuivi même après le décès de celui-ci en 2013. Il ne lui a rien légué. Winnie a donc engagé une bataille pour récupérer la maison familiale de Qunu (Sud du pays) mais la justice sud-africaine l’a déboutée.


 

Par Ibrahima Sanou, à Ouagadougou

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