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William Codjo : “la puissance d’une nation réside dans sa dimension culturelle”

A l’image du Ghana et du Sénégal, le Bénin développe à son tour “le marché de la mémoire”. Explications avec William Codjo, directeur général de l’Agence de développement des arts et de la culture.

Propos recueillis par Mérième Alaoui

Vous avez été nommé en mai dernier, en Conseil des ministres, à la tête de l’Agence de développement des arts et de la culture. Peut-on vous présenter comme un expert du « marché de la culture » ?

J’étais économiste, banquier, spécialiste en gestion d’entreprises culturelles. A un moment donné, je me suis mis à la disposition des États et des institutions avec pour objectif de développer l’économie de la création artistique. Ce qui m’a amené à travailler notamment pour l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Union Européenne (UE). J’étais chargé, par ces institutions, de dynamiser l’économie culturelle en Afrique, et aussi dans les Caraïbes, et au Vietnam. J’ai accepté cette nouvelle mission au Bénin, parce que j’ai été convaincu de la volonté du gouvernement de faire de la culture et des arts, un axe de développement. J’ai pu constater l’énergie déployée en ce sens, ainsi que les ressources permettant d’opérer de profonds changements dans ce domaine.

En quoi l’économie culturelle constitue-t-elle une opportunité spécifique pour le Bénin, et plus généralement pour l’Afrique ?

La puissance d’une nation réside dans son économie, sa force militaire et sa dimension culturelle. En Afrique, c’est dans cette dernière que nous avons le plus de potentiel. Un domaine dans lequel nous pourrions développer des avantages comparatifs par rapport à d’autres pays, tant notre histoire est singulière. Ma feuille de route est de mettre en exergue les valeurs qui sont les nôtres, notre message spécifique, notre vision du monde, et de montrer comment nous pouvons contribuer, à notre manière, à rendre le monde plus beau.

La valorisation du marché de l’art béninois

Le Bénin défend un ambitieux projet culturel, dont le coût global annoncé est de deux milliards d’euros sur dix ans… L’Etat sera-t-il le principal pourvoyeur de ce financement ?

Ceci n’est pas le fruit d’un hasard, et, contrairement à ce qu’on dit, il ne s’agit pas d’un « miracle béninois ». Ce chantier résulte d’une action structurée et pensée par le président Patrice Talon, depuis les débuts de son premier mandat en 2016. Il avait choisi de faire de la culture, des arts et du tourisme un pilier central pour le développement du Bénin, ce qui nous permet aujourd’hui d’affecter deux milliards d’eurosd’investissement vers ce secteur. Ceci dépasse de loin tout ce qui a été fait dans ce domaine depuis notre indépendance. A l’échelle du continent, cette démarche est également exceptionnelle. L’action phare de cette politique, aux yeux du public, a été la restitution des trésors royaux (vingt-six œuvres du trésor d’Abomey, saisies par les troupes coloniales, ont été restituées par la France en novembre 2021, ndlr), qui a mobilisé beaucoup d’énergie sur les plans diplomatique et logistique. L’exposition de ces œuvres a connu un succès phénoménal. Cela a été l’occasion de montrer des œuvres issues du génie des ancêtres, de même que le meilleur de ce que produit la scène artistique contemporaine. Nous constatons qu’il y a au Bénin une continuité dans le domaine de la création artistique, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le talent créateur n’a pas déserté ce pays. Après le Bénin, l’exposition a ensuite été présentée au Maroc, et se trouve actuellement en itinérance vers la Martinique, avant de poursuivre son chemin vers d’autres horizons.

La création de la première galerie nationale a-t-elle donné un supplément de valeur aux créations béninoises sur le marché international de l’art ?

Avec l’effervescence, il fallait mettre en place un cadre permettant aux artistes et aux professionnels de la culture de vivre de leur talent. Un écosystème permettant de créer des opportunités pour générer de la richesse et des emplois, en veillant à ce que cela puisse ruisseler sur l’ensemble de la société béninoise. Au regard de ces considérations, une galerie nationale a été créée par l’Etat pour dynamiser le marché de l’art, mettre en valeur les créations contemporaines, insérer et promouvoir les artistes. Puis, une fois que le chemin a été montré, le secteur privé a pris la suite avec le lancement de plusieurs autres galeries permettant de mettre en valeur les œuvres. En un temps record, la valeur initiale des créations béninoises a été multipliée par dix. Une tendance qui pourrait encore s’accroître, puisque pour la première fois, le pays sera représenté à la Biennale de Venise. La galerie nationale est ainsi devenue l’Agence de développement des arts et de la culture, dont j’assure la direction.

Cette dynamique économique favorise-t-elle une pédagogie de l’histoire du Bénin et une promotion de la mémoire collective ?

Chaque pays est le fruit de son histoire et de sa géographie. Je pourrais aussi dire que la nature ou la providence n’a pas été avare envers nous. Nous avons une histoire très riche, s’agissant de la vie culturelle et du patrimoine immatériel. Le Vaudou participe de ce patrimoine et de nos traditions immémoriales. Nous allons d’ailleurs célébrer cette tradition religieuse, le 10 janvier prochain. De plus, le Bénin a été impliqué dans la traite négrière, qui concerne aujourd’hui une diaspora en Amérique ou dans les Caraïbes, dont les ancêtres sont partis d’Afrique. Sur notre territoire, nous avons en héritage, les vestiges de ce tragique commerce triangulaire. Notre ambition est de les mettre en valeur dans le cadre d’un tourisme mémoriel.

« Il y a quelque chose qui nous singularise, quelque chose qui nous distingue, quelque chose qui est notre identité et que nous voulons véhiculer »

Que souhaitez-vous que les très jeunes retiennent de cet épisode tragique de l’histoire du Bénin ?

Il faut rappeler que nous n’avons pas été passifs, que nous nous sommes insurgés. La bravoure béninoise a été incarnée par des personnages historiques tel que le roi Béhanzin, enterré à Blida, en Algérie. Il a fait barrage de son corps face à l’envahisseur. Cela mérite d’être su, partagé. Nous avons un message à porter et des valeurs à partager. Il y a quelque chose qui nous singularise, quelque chose qui nous distingue, quelque chose qui est notre identité et que nous voulons véhiculer.

Aujourd’hui, une statue, très médiatisée, symbolise à Cotonou la place des femmes dans cette période que vous évoquez…

Oui, la femme et le féminisme sont très présents dans notre histoire. La figure de l’Amazone est emblématique de cette singularité. Le Bénin a été, par le passé, dépositaire de ce corps d’armée constitué uniquement de femmes. Ce sont elles qui ont mis en déroute l’armée française lors de la conquête coloniale de 1890. Et c’est seulement en 1892, une fois que les troupes françaises, mieux préparées, sont revenues, qu’elles ont réussi à faire échec à la bravoure de ces dames. Aujourd’hui, à Cotonou, il y a effectivement une statue géante qui témoigne de cette empreinte féministe dans notre histoire. C’est aussi notre manière de mettre en valeur ces actrices de la résistance face à l’envahisseur.

Comment garantir la pérennité de cette politique culturelle active ?

Le Bénin a mis en place un programme de classes culturelles pour que, dès le secondaire, on puisse initier les élèves à l’art. Qu’on puisse leur permettre d’exprimer leur créativité à côté de la pédagogie classique. Tout cela devrait favoriser la durabilité de la création. Toujours pour susciter des vocations et stimuler les talents, nous envisageons la création du quartier culturel et créatif de Cotonou. Un chantier sur une friche industrielle de quatorze hectares à revaloriser exclusivement en infrastructures d’expression artistique. Ce projet comprend le Musée des arts contemporains de Cotonou (MAC), en cours de construction, l’institution franco-béninoise, un village artisanal, un atelier d’artistes avec des résidences, un espace de coworking… En tout, quatorze équipements concentrés sur une plateforme dynamique, à l’échéance de décembre 2025.Ce sont là des réalisations qui ont vocation à se pérenniser.

En savoir plus : La Galerie Nationale du Bénin

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