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Satellite La conquête du ciel, un enjeu de développement

Contrôler les frontières, anticiper sur les changements climatiques, assurer la transparence des élections, démocratiser l’accès à internet… Autant d’applications que le satellite offre au continent. Et nos Etats s’y intéressent enfin… Les opérateurs économiques, eux, sont déjà en compétition sur le marché.

Après la conquête du feu, de l’eau, de la terre, l’humanité a plus que jamais amorcé la conquête de l’espace. « L’histoire de l’humanité a commencé en Afrique et finira en Afrique », assure Jean Luc Lefevbre, colonel de l’armée française à la retraite et aujourd’hui passionné des questions spatiales. Difficile à croire dans la mesure où aucun Etat du continent n’a envoyé de satellite dans l’espace et qu’aucun africain n’a posé les pieds sur la lune, même si un concours mondial est en train de sélectionner le premier « africanaute ». Pourtant, des initiatives menées par l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Nigeria, l’Egypte ou encore le Kenya, ou la création d’organisations à vocation régionale comme l’Organisation africaine de Cartographie et de Télédétection, le Régional Africain Satellite Communication Organisation (RASCOM) ou encore le Centre régional de Télédétection des Etats d’Afrique du Nord, démontrent que le continent est en train de rattraper son retard dans le domaine. Ou du moins d’essayer.

 

C’est à cet effet que le Burkina Faso a annoncé, le 15 décembre dernier à Paris, l’organisation d’un Forum international des applications satellitaires au service du développement du continent africain, en juin 2016 à Ouagadougou. Les résultats des dernières élections ont d’ailleurs été transmis immédiatement grâce à la technologie de communication par satellite, preuve que le pays est engagé dans ce domaine.

« C’est un forum qui va d’abord nous permettre de faire le point sur les initiatives qui existent, mais qui sont dispersées, afin de se projeter dans l’avenir et de mettre en place une meilleure synergie entre les actions, explique le Dr Nébila Amadou Yaro, alors ministre du Développement de l’Économie Numérique et des Postes dans le défunt gouvernement de transition du Burkina. Avec l’ambition de faire de l’Afrique un pole de développement au niveau des technologies satellites ». Car pas question de copier, mais d’innover, souligne Jean Noël Pooda, ministre de la Recherche scientifique du précédent gouvernement burkinabé. Avec un objectif en particulier : créer une agence spatiale africaine. Sachant qu’un projet similaire a déjà existé, AfriSpace, qui devait être relancé en 2010 par l’Union Africaine. Mais depuis, plus rien. Même si le Regional African Satellite Communication Organization (RASCOM), une organisation commerciale intergouvernementale créée il y a 20 ans, a lancé en août 2010, à partir de la base spatiale d’Ariane à Kourou (Guyane française), un satellite panafricain de remplacement, RQ1 R, après les problèmes techniques survenus suite au transfert réussi sur orbite géostationnaire de celui lancé en 2007. Des satellites panafricains mais avec une rampe de lancement française.

 

Une agence spatiale africaine

 

Pour Sekou Ouédraogo, franco-burkinabé, chef de projet aéronautique au sein de Safran, un groupe équipementier dans l’aéronautique et l’espace, et auteur de « l’Agence Spatiale Africaine, vecteur de développement », publié en avril 2015, il faut voir le problème autrement : « Il ne s’agit pas d’une quelconque volonté panafricaniste, mais de mettre en place un véritable outil pour le développement ». Contrôler les frontières, anticiper sur les changements climatiques, assurer la transparence des élections, démocratiser l’accès à internet, encourager la recherche scientifique, développer les industries locales… Autant d’utilisations permises par l’outil satellite. A condition d’associer les institutions, industriels et chercheurs du domaine spatial. C’est dans ce sens que plaide Sekou Ouédraogo, depuis plusieurs années. « En 2009, j’ai lu un magazine sur les avancées spatiales en Afrique et cela a aiguisé ma curiosité. J’ai personnellement cherché des informations dans le domaine jusqu’à ce qu’en 2012, je choisisse de consacrer mon mémoire pour l’obtention de mon diplôme en relations internationales au CEDS Paris (NDLR : Centre d’études diplomatiques et stratégiques). Mon livre est issu de ce travail universitaire, explique l’ingénieur. Je pense que l’Afrique a besoin de mutualiser ses ressources car mettre en place une telle agence coûte cher. Aussi, des pays pourront bénéficier des avancées des leaders dans ce domaine sur le continent. Cela provoquera une véritable émulation. On verra des chercheurs africains se déplacer à travers tout le continent et se concerter sur des problématiques majeures. Des nations comme le Kenya n’ont pas de satellites, mais excellent dans le domaine des télécoms. Elles peuvent donc apporter leurs compétences ».

 

Algérie, Nigeria, Ethiopie… Des initiatives isolées

 

Et elles existent sur le continent. Les Egyptiens sont les premiers à avoir mis en place une agence spatiale, en 1991. A son actif, le lancement de deux satellites de la basse russe de Baïkonour, au Kazakhstan. Mais la perte de son premier satellite, en 2010, après seulement trois années d’exploitation, a remis en question son avance dans le domaine. Désormais, c’est l’Algérie qui fait figure de leader à l’échelle du continent, avec l’Agence spatiale algérienne (ASAL), créée en 2002, qui a lancé à ce jour trois satellites, et mobilise pour la sous-région Afrique du Nord un satellite (Alsat 2) pour l’observation de la Terre à haute résolution. « Il faut que chaque pays maîtrise les données satellites sur son territoire tout en adhérant à une dynamique internationale. Il y a également des sous-régions qui doivent se solidariser autour de facteurs communs », préconise le directeur général de l’Agence spatiale algérienne (ASAL), Azzedine Oussedik. En attendant, l’Algérie semble bien avancer dans le domaine. Le premier satellite « 100% algérien » pourrait être lancé en février prochain, selon une annonce du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Tahar Hadjar, en décembre dernier, suite à l’expérience du satellite « ASAT » 1 et 2 menée par l’ASAL en partenariat avec des entreprises britanniques spécialisées dans la recherche spatiale. Ledit satellite est en cours de réalisation au niveau du pôle technologique d’Oran. Deux observatoires astronomique et spatial à l’Ahaggar et aux Aurès sont également sur la feuille de route algérienne. L’Afrique du Sud, autre puissance spatiale continentale, a démarré en 2010 avec Sansa. Même si le premier satellite sud-africain SunSat, lui, a été fabriqué par l’université de Stellenbosch (province du Cap Oriental) et a été lancé par la Nasa en 1999 ! Dix ans plus, les Sud-Africains conçoivent leur propre satellite, SumbandilaSat, lancé au Kazakhstan… très vite mis hors service par une radiation solaire. La conquête de l’espace reprend en 2013, avec le premier nanosatellite sud-africain, Zacube-1, lancé depuis une base russe à nouveau, Yasni. Compte tenu de son poids économique, rien d’étonnant que le Nigeria ait également tenté l’aventure, avec la création de Nasrda, en 1999 et le lancement de trois satellites, toujours sur orbite. Surtout, en 2005, NigeriaSat-1 a été le premier engin spatial à envoyer des images de la côte Est dévastée des Etats-Unis après le passage de l’ouragan Katrina.

 

Ageos, pôle d’excellence au Gabon

 

Mieux anticiper sur les changements climatiques, c’est une des applications offertes par le satellite. Sauf que, à titre d’exemple, le Centre régional de cartographie des ressources pour le développement (RCMRD), basé au Kenya, doit s’appuyer sur les données fournies par les satellites américains pour répondre aux requêtes de ses membres d’Afrique de l’Est et Australe. Le Gabon pourrait changer la donne, avec le programme « Surveillance Environnementale Assistée par Satellite » (SEAS GABON), le projet phare de l’Agence gabonaise d’études et d’observation spatiales (AGEOS). Créée en février 2010- et financé pour 9 millions d’euros par un accord de conversion de dette géré par l’Agence française de développement- avec la collaboration de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) français et de l’Institut de recherche spatiale brésilien (INPE), l’AGEOS va couvrir un rayon de 2 800 km, soit une vingtaine de pays du continent. Développé en coopération avec l’Institut de Recherche pour le Développement français (IRD) et l’Institut de Recherche Spatiale brésilien (INPE), ce projet se focalise sur l’observation de l’environnement par satellite. Doté d’une infrastructure technique de haute technologie, le centre de compétence s’appuie sur l’antenne de réception directe recevant en temps réel les images des satellites d’observation de la terre. Sachant que l’Afrique Centrale abrite le deuxième poumon de la planète, lequel subit inexorablement les conséquences du dérèglement climatique. L’AGEOS, qui repose sur le principe de libre accès aux données d’observation de la terre par satellite et de partage des données collectées pour l’Afrique, va également s’intéresser au développement urbain, en dotant le Gabon, et les pays qui le souhaiteront, de nouvelles cartes géodésiques et mettre en place un outil de traitement informatique des données géographiques qui permettra de mieux maîtriser l’utilisation du territoire. D’autres applications permettront d’assurer la surveillance des maladies endémiques, comme le paludisme, car des études ont montré des corrélations entre des épisodes de paludisme et la survenance d’inondations.

 

Contrôler les frontières

 

Et alors que l’Afrique fait face à de nouveaux défis en matière d’insécurité, le projet EarthLab, issu d’un partenariat signé en décembre 2013 entre l’AGEOS, le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) et Telespazio-France, a vocation à fournir des services de surveillance par satellite depuis le centre de compétences d’AGEOS à N’Kok, où une antenne de réception directe a été déployée, permettant la réception d’images radar COSMO-SkyMed et optiques Landsat. Ces services, à la pointe de la technologie dans le domaine de la surveillance par satellite, pourront ainsi contribuer à la sécurité de l’ensemble des pays du Golfe de Guinée. Contrôler et surveiller les frontières, c’est également l’une des missions des deux satellites nigérians. Sur un rayon de 2800 km couvrant 23 pays, du Sahara à l’Afrique Australe, les images captées par cette antenne de réception satellite vont permettre d’établir des relevés extrêmement précis du sol africain. Tandis que le gouvernement ivoirien a annoncé, en juin dernier, le démarrage d’études de faisabilité préalables au lancement d’un satellite. La Côte d’Ivoire souhaite, par ce moyen, assurer la surveillance de ses frontières en tant réel, combattre la piraterie maritime au large de ses côtes, mais aussi faciliter le flux de télécommunications que vont susciter les 7000 kilomètres de fibre optique en cours d’installation. Plusieurs multinationales sont déjà sur les rangs pour remporter le marché.

 

Les operateurs privés déjà sur le marché

 

Car il s’agit bien d’un marché dans lequel les grandes sociétés internationales se sont déjà engagées. A commencer par le français Eutelsat, l’un des premiers opérateurs mondiaux de satellites de télécommunications doté d’une flotte de 38 satellites, sur une zone de couverture qui s’étend de l’Europe à l’Asie-Pacifique en passant par le continent américain et le Moyen-Orient, jusqu’à l’Afrique. Et pour ce dernier, la société accélère ses projets dans le haut débit. Une commande auprès de Thales Alenia Space a été faite récemment pour un satellite multifaisceaux de nouvelle génération d’une « souplesse opérationnelle sans précédent ». Prévu pour 2019, ce satellite doit permettre à Eutelsat de développer des ressources supplémentaires pour le haut débit en Afrique subsaharienne, d’offrir des services destinés aux particuliers et entreprises équipés de paraboles d’environ 75 cm, et fournir des accès collectifs à travers la mise en place de hotspots Wi-Fi, de compléments de réseaux de téléphonie mobile et de solutions de connectivité rurale, explique le groupe dans un communiqué. « Eutelsat dispose d’options, dans les prochains mois, pour augmenter significativement la capacité disponible et affiner les zones de couverture du satellite ».

 

Dernier projet en date, annoncé en décembre 2015, la signature d’un partenariat avec

Afrique Telecom, et Wikimédia France pour le projet « Accessibilité à Wikipédia en Afrique », destiné à rendre Wikipédia francophone accessible gratuitement en Afrique Subsaharienne à travers un réseau de hotspots Wi-Fi. Les contenus seront mis à jour régulièrement par une liaison satellitaire fournie par Eutelsat tandis qu’Afrique Telecom, qui déploie des solutions utilisant les ressources satellitaires d’Eutelsat en couverture de l’Afrique Subsaharienne, à travers sa solution « TamTam » va amener Internet dans les zones rurales via un accès collectif déployé à travers un hotspot Wi-Fi. Ce service va être utilisé pour proposer gratuitement l’accès à l’encyclopédie Wikipédia à des milliers de personnes, dans un premier temps en Afrique francophone. Une initiative qui s’inscrit dans la stratégie de la Wikimédia Foundation qui promeut l’accès gratuit aux contenus éducatifs dans le monde, notamment à travers Wikipédia.

 

Dans le même esprit, mais cette fois avec Facebook, Eutelsat va lancer un satellite pour développer Internet en Afrique. Baptisé AMOS-6, un satellite israélien, le projet annoncé par Mark Zuckerberg, fondateur et dirigeant du réseau social, en octobre dernier, dit être lancé en 2016. Facebook n’est pas le seul à promettre de démocratiser internet en Afrique. Quelque 2 milliards de dollars ont été investis à cet effet depuis un an. Ce qui est loin d’être suffisant, mais témoigne, toutefois, de l’intérêt des opérateurs économiques pour le continent, moins pour des raisons philanthropiques mais pour les relais de croissance qu’il offre.

 

Répondre à la question de la sécurité alimentaire

 

Reste que le sujet fait débat : les ONG reprochent aux Etats d’utiliser l’aide au développement, pour financer leur aventure spatiale plutôt que de nourrir leurs populations. Et si le satellite permettait justement de répondre à la question de la sécurité alimentaire en Afrique : les images des satellites d’observation sont mises à profit pour réaliser des cartes d’occupation des sols qui permettront non seulement d’accéder aux informations indispensables à la mise en œuvre et au contrôle de leurs politiques de développement agricole, mais aussi de tirer le meilleur parti de leurs ressources pour leur développement économique. Des expérimentations sont en cours. Ainsi, comme dans le domaine des NTICs, l’Afrique sert d’ores et déjà de laboratoire et pourrait faire figure de terre d’innovation. « C’est déjà le cas, et depuis plusieurs décennies, souligne un spécialiste français. Sauf que les expérimentations sont menées par des armées étrangères, françaises et américaines en premier lieu, et leur basculement dans le domaine civil est rarement envisagé. C’est une demande que les Etats devraient porter dans le cadre de la coopération avec la France et les Etats-Unis en matière de sécurité ». Rappelons que de nombreuses innovations technologiques ont été développées par les armées pour répondre à des questions de défense avant de passer sur une application plus libre. C’est notamment le cas des drones.


 

Par Dounia Ben Mohamed.

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