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Promouvoir les cuisines d’Afrique et transmettre sa passion

Par le Chef Loïc Dablé *

 

Afin de promouvoir les cuisines d’Afrique et de la diaspora, j’ai décidé d’initier une tournée internationale de promotion de la cuisine africaine : « l’African Food Art Tour. » Au cours de cette tournée, je propose des expériences culinaires associant art et cuisine africaine. Cela prend la forme de restaurants éphémères, cours de cuisine, master class ou dîners privés, aux 4 coins du globe. Le point de départ de cette tournée a été Ouidah, au Bénin, au sein du Musée d’art contemporain de la Fondation Zinsou. Ce lieu n’a pas été choisi par hasard. La ville d’Ouidah constituait autrefois l’un des principaux points d’embarquement des esclaves vers l’Amérique. Calé sur un projet de l’Unesco intitulé « La route de l’esclave : résistance, liberté, héritage », ce voyage culinaire empreinte ces mêmes routes afin de mettre en exergue les liens entre les cuisines d’Afrique et celles de sa diaspora. 

 

La cuisine africaine est une des plus anciennes cuisines au monde et demeure aujourd’hui la plus méconnue. Pourtant, elle a influencé les cuisines du monde entier. La soul food, certains plats de cuisine brésilienne, ou la cuisine créole, possèdent de nombreux vestiges des cuisines d’Afrique. Malgré cela, elles demeurent encore trop marginales dans le monde – et même en Afrique quelques fois ! Les vitrines des hôtels-restaurants les plus populaires du continent offrent bien souvent des cartes internationales, françaises, italiennes ou même japonaises. Rares sont les établissements hauts de gamme qui proposent une identité culinaire africaine ou panafricaine, que ce soit en termes de créations culinaires ou d’arts de la table. Il convient toutefois d’encourager certains investisseurs qui tentent de mettre à l’honneur la diversité des cuisines locales…

 

« Passion et formation : les deux ingrédients clés »

 

C’est donc dans ce contexte qu’il m’importe de promouvoir ces cuisines d’Afrique. Mon initiative est loin d’être singulière. Je tiens à rendre hommage à nos mamans, ces grandes oubliées, qui ont essayé de perpétuer les traditions de leurs grands-mères avec amour et passion. Je dis « essayer » car les traditions africaines étant souvent orales, nombre de recettes de cuisines, de plats et de cultures se perdent en Afrique, et plus encore pour sa diaspora. En plus de nos mamans, il importe de valoriser les chefs et leur brigade, les restaurateurs, les producteurs, les artisans – et plus largement les associations, organismes de tourisme et certains ministères – qui œuvrent depuis des années à sauvegarder et promouvoir nos cuisines. Il en va de la préservation de notre histoire dans sa diversité, de nos savoir-faire, de nos coutumes et traditions.

 

Au cours de cette tournée, j’ai aussi la chance de rencontrer des professionnels qui partagent ma passion. Je reçois beaucoup de messages de soutien et d’encouragements, de la part de jeunes et moins jeunes, qui veulent en vivre. Bien plus que de passion, on parle maintenant de vocations. J’essaie donc de visiter un maximum de lycées hôteliers. C’est toujours intéressant d’échanger avec les élèves sur l’orientation, les programmes… et ils me questionnent beaucoup sur mon expérience.

 

« Il nous faut construire les écoles de demain »

 

C’est dans ces moments là que je prends encore plus conscience de la responsabilité que nous, entrepreneurs, avons dans notre environnent. Je comprends ceux d’entre nous qui considèrent qu’il appartient au secteur privé de prendre le relai des pouvoirs publics, quand leur action est insuffisante, inadaptée ou parfois inexistante. Je constate, sur place, ce besoin criant de formation, émanant tant des élèves que des professionnels. Si on ne peut que louer les initiatives existantes, l’emploi de matériels vétustes dans les écoles culinaires en Afrique se révèle souvent inadapté. Pannes récurrentes ou obsolescence du matériel, mauvaises habitudes ou déformation professionnelle, les professionnels du secteur en Afrique rechignent parfois à recruter des jeunes mal « formés », pourtant tout droit sortis de l’école.

 

Dans ces moments, le seul critère de recrutement reste le même : la passion. Celle du métier, l’amour du travail, l’humilité de revoir les bases et d’admettre que l’on a passé son temps à apprendre des gestes incorrects ou mauvais parfois. C’est pour cela que je souhaite créer cette école de demain, et en appelle à la responsabilité de futurs partenaires privés et publiques pour m’aider à mettre en place une telle école. Une école culinaire qui naîtrait grâce au véritable sens de la responsabilité sociale et environnementale en Afrique, qui est parfois bien plus cantonnée à un argument marketing plutôt qu’à une réalité. Le besoin est d’autant plus préoccupant que certains professionnels sont obligés d’avoir recours à des expatriés… Cette situation paraît invraisemblable au regard de la problématique du chômage des jeunes en Afrique Subsaharienne. Il est regrettable qu’avec ce formidable essor de développement du tourisme, de l’hôtellerie restauration et de bien d’autres secteurs, que l’on ne soit pas encore en mesure de fournir aux jeunes du continent la formation culinaire adéquate !

 

* Loic Dablé est Chef de cuisine africaine contemporaine, juré de l’émission panafricaine Star Chef, et l’initiateur de la tournée internationale  « African Food Art Tour. »


 

EDITO Avril // Auteur : Loïc Dablé // Photo : Loïc Dablé © Ojoz

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