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Meryanne Loum-Martin, fondatrice du Jnane Tamsna : « Le vrai luxe, c’estl’expérience culturelle authentique »

Ancienne avocate devenue entrepreneure passionnée d’architecture et de culture,
Meryanne Loum-Martin, fondatrice du boutique-hôtel Jnane Tamsna au Maroc,
 milite pour un tourisme de luxe qui valorise pleinement l’identité africaine, au-
delà des clichés habituels. 

Propos recueillis par DBM 

Meryanne Loum-Martin, fondatrice du Jnane Tamsna

Pouvez-vous nous raconter comment est née l’aventure Jnane Tamsna, surtout que
vous venez d’un univers très différent, celui du droit international ?
Oui, c’est vrai, j’étais avocate à Paris, mais depuis l’enfance, je suis passionnée
d’architecture. J’ai une culture très plurielle et j’ai beaucoup voyagé, et ce qui mefascinait, c’était de voir comment l’architecture reflète une culture. J’ai eu
l’opportunité de construire une maison au Maroc en 1986 — une maison de vacances
pour ma famille — et c’est là que tout a commencé.

Jnane Tamsna


Je me sentais frustrée de ne pas pouvoir exprimer pleinement mon amour pour
l’architecture. Cette première maison, je l’ai construite avec cette idée : pourquoi ne
pas en faire un business ? J’ai donc mis au point un concept de maison-hôtel qui
étaient une manière d’être en lien profond avec la culture marocaine. Ce n’était pas
encore de l’hôtellerie, mais ça y ressemblait.
Le succès a été énorme, inattendu même. Mon premier client était Brad Pitt, et il a fait
savoir à Hollywood que c’est comme ça qu’il fallait venir au Maroc. Le bouche-à-
oreille a fait le reste. J’étais encore avocate à Paris, mais déjà, je formais le personnel à
ce produit très spécifique. Puis sont venues les grèves Juppé en 1995, et là, je me suis

dit : qu’est-ce que je fais ici ? L’été suivant, avec mon mari, on est venus s’installer au
Maroc définitivement.
En 2000, j’ai acheté le terrain où se trouve Jnane Tamsna aujourd’hui, avec l’idée de
créer un boutique-hôtel très connecté à la culture locale — pas seulement la culture
traditionnelle, mais aussi en cultivant absolument tout ce que nous servons à manger.
La culture au sens large, donc.
Vous évoquez souvent cette idée que l’Afrique vibre d’une créativité immense. En
quoi un boutique-hôtel permet-il de valoriser cette créativité et cette identité
culturelle ?

Jnane Tamsna


Sur une petite structure comme Jnane Tamsna, on peut contrôler absolument tout,
l’esthétique, les partenariats, les expériences. Ce n’est pas possible dans un hôtel de
200 chambres, parfait pour les conférences, mais qui ne peut pas vraiment s’ancrer
culturellement.
Nous cultivons le lien avec la culture locale dans tous ses aspects — cuisine, artisanat,
musique, arts visuels. C’est pour cela que nous avons une clientèle très fidèle, qui
cherche une expérience exclusive et authentique. Ce que je trouve passionnant, c’est
qu’à travers un boutique-hôtel, on peut vraiment raconter une histoire, une narration
africaine, ce qui est essentiel aujourd’hui.
Justement, vous insistez sur la narration africaine. Comment définiriez-vous cette
narration dans l’hôtellerie de luxe ?
Le voyageur d’aujourd’hui, très cultivé et ayant les moyens, ne cherche plus un luxe
matériel. Le vrai luxe, c’est l’expérience, qui est liée au lieu. Par exemple, nous
organisons des événements littéraires en partenariat avec des maisons d’édition
internationales, avec des écrivains prestigieux — prix Nobel, Booker Prize — et nous
proposons des ateliers d’artistes, comme une spécialiste de l’origami qui réalise des
sculptures en papier avec nos invités.
Le but est que le voyageur reparte enrichi, avec une expérience humaine, culturelle.
Ce qui manque encore en Afrique, c’est la reconnaissance de la richesse de sa culture
urbaine, contemporaine, pas seulement des safaris ou des plages. Au Kenya, par
exemple, je trouve important de découvrir l’énergie créative de Nairobi, la musique, la
peinture, avant de passer deux jours au bord de la mer ou faire un safari. La
colonisation a réduit le continent à une destination de plages et safaris. Effaçant la
valeur de l’histoire et dela culture locale.

Meryanne Loum-Martin, fondatrice du Jnane Tamsna


Selon vous, qu’est-ce qui freine encore le développement d’un tourisme
véritablement enraciné culturellement en Afrique ?
La présence coloniale se devait d’effacer ou réduire tout sens de patrimoine culturel
en terre d’Afrique. Un voyage en Afrique ne se justifiait que par les plages ou les
safaris. Aujourd’hui, la culture vivante, urbaine, et contemporaine fait des capitales
africaines des destinations à elles seules.
Un autre point crucial, c’est que la majorité des lodges, au Kenya ou en Afrique du Sud,
appartiennent à des personnes extérieures à la culture locale. Cela empêche une vraie
promotion de l’art contemporain ou des pratiques culturelles locales. Les
investisseurs hôteliers en Afrique ont par définition uniquement une préoccupation

financière et ne voient pas l’impact social et culturel qu’un établissement peut avoir,
ni l’importance de soutenir les initiatives culturelles locales.
Comment vous engagez-vous personnellement dans cette dynamique culturelle ?
Je travaille beaucoup avec les artisans, notamment les femmes, qui ont un savoir-
faire traditionnel comme la broderie, mais qui doivent s’adapter aux couleurs
contemporaines. Par exemple, j’ai assisté à une foire organisée par le Peace Corps où
des femmes présentaient des broderies magnifiques mais aux couleurs invendables.
Ce travail d’accompagnement esthétique est important, car le tourisme est un secteur
stratégique en Afrique, tout comme l’agriculture : il crée de la croissance et surtout
des emplois pour les femmes et les jeunes. Mon engagement, c’est de valoriser ce
savoir-faire local et de contribuer à un tourisme responsable qui crée des emplois et
valorise les traditions en les adaptant à la modernité.

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