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Les élections en France suivies de près par les anglophones d’Afrique

Longtemps surclassée par les autres puissances dans les pays anglophones en Afrique, la France veut désormais gagner du terrain en se basant sur une diplomatie agissante. De l’économie en passant par la formation militaire, tous les secteurs d’activité sont, de plus en plus, mis à contribution. Et certains pays anglophones à l’instar du Ghana attendent beaucoup du nouvel occupant de l’Élysée.

La place qu’occupe la France dans les pays anglophones d’Afrique a été d’une certaine manière évoquée lors des débats entre les différents candidats aux présidentielles d’Avril 2017 en France. A l’heure du bilan du quinquennat de François Hollande, le Président sortant,  il en ressort que la France est toujours à la traîne, comparée aux autres puissances. Cependant, beaucoup d’efforts ont été consentis ces dernières années pour inverser la tendance. Ceci grâce aux multiples atouts qu’une coopération avec la France pourrait rapporter aux pays qui ont en partage la langue de Shakespeare en Afrique. L’un des premiers atouts reste la formation militaire.

La coopération militaire au Ghana

Sur ce plan, certains acteurs de la société civile redoutent la montée dans les sondages du Front National (FN) de Marine Le Pen pour sa politique nationaliste et protectionniste dite « réfléchie ».  Car ils estiment qu’une victoire du FN va porter une douche froide aux interventions de la France dans le domaine de la formation militaire. Ceci au profit d’une politique dite de  « Make France Great Again » en référence au slogan de Donald Trump, le vainqueur des élections générales aux États-Unis. « L’incertitude générée par les affaires de François Fillon et la division au sein de la gauche font croire à certains acteurs qu’une surprise est réalisable en France comme cela a été le cas aux États-Unis. En  plus, Madame Le Pen avoue aimer les mesures protectionnistes et nationalistes de Trump, qui sont en violation des accords de coopération existants. Par exemple, la France peut carrément mettre fin à ces formations qui sont dispensées gratuitement à certaines armées africaines, y compris celles des pays anglophones », pense Yaw Boateng, un consultant en relation internationale. Pour rappel, la France a fait des avancées significatives en matière de formation militaire en encadrant certaines armées, y compris  celles des pays d’Afrique anglophone depuis la création du Centre International de Formation au Maintien de la Paix « Kofi Annan » implanté au Ghana.

« Notre coopération militaire avec le Ghana est principalement axée sur la formation. Elle passe par la participation française au Centre International de Formation au Maintien de la Paix « Kofi Annan » (KAIPTC), l’enseignement du français en milieu militaire, l’envoi d’officiers ghanéens en stage en France ou dans les Écoles Nationales à Vocation Régionale (ENVR). Un officier de liaison occupe un poste de directeur de stage auprès du KAIPTC, où il contribue notamment à l’apprentissage du français par les troupes ghanéennes. Il est en charge de l’organisation de stages annuels au profit d’officiers supérieurs ouest-africains, et des relations avec les autres centres de formation au maintien de la paix de la CEDEAO », rappelle-t-on du côté de la représentation française au Ghana. Le renforcement de la coopération militaire française dans les pays anglophones en Afrique a une visée non seulement géostratégique mais aussi économique. Car, il a permis à la France de faire également la promotion de l’industrie française de défense en matière d’armement à travers des accords de coopération comportant aussi le volet défense dans certains pays anglophones sur le continent.

Les PME françaises face à l’incertitude

Depuis quelques années on note un regain de confiance entre les PME françaises et leurs homologues des pays anglophones d’Afrique. En témoigne, la tendance haussière des échanges commerciaux. Pour l’instant, la joute électorale en France ne suscite pas beaucoup d’engouement dans le milieu des affaires anglophones d’Afrique. Toutefois, certains entrepreneurs reconnaissent qu’elle pourra constituer un tournant décisif dans les relations économico-commerciales qu’entretient la France avec ses partenaires anglophones d’Afrique depuis le 1er septembre 2010, date à laquelle les activités d’accompagnement des PME à l’international ont été dévolues à UbiFrance qui, depuis sa base de la Côte d’Ivoire, œuvre pour l’implantation des PME françaises en Afrique anglophone.

« C’est vrai que le milieu des affaires ne réagit pas pour le moment quant à ce qui concerne ces élections en France. Mais cela pourra changer au lendemain des résultats. Car il y a un nombre important d’entreprises françaises qui ont noué des partenariats ces dernières années dans les pays anglophones à l’instar du Ghana et du Nigeria. Sous l’administration de la présidence sortante, la relation commerciale entre la France et le Ghana a atteint des chiffres record. Ceci grâce à certaines mesures d’ouverture mises en place pour booster les échanges commerciaux et économiques. Mais la donne peut changer avec un durcissement de la politique migratoire due à la montée du mouvement nationaliste et protectionniste en France », a reconnu John Kwabena, un éminent politologue ghanéen.

L’incertitude autour des élections en France suscite quelques interrogations auprès des opérateurs économiques. « La chambre du commerce française dans les pays anglophones d’Afrique a permis aux sociétés françaises de nouer des partenariats avec leurs homologues des pays anglophones. Mais le durcissement de la politique migratoire pourra impacter négativement sur les échanges commerciaux entre les entreprises françaises et leurs partenaires dans nos pays. Désormais, il sera beaucoup plus difficile aux opérateurs économiques de nos pays d’entrer en France si, par exemple, le FN vient au pouvoir avec ses mesures protectionnistes. Mais à l’heure de la globalisation, on n’a pas besoin de fermer ses frontières avec l’introduction des taxes si on veut réellement commercer avec les autres. C’est pour cette raison que les entrepreneurs suivent de près l’évolution de la situation politique en France » a expliqué Nicholas Kwamegh, un entrepreneur nigérian évoluant dans le secteur de l’exportation des produits artisanaux et membre du Conseil Nigérian pour la Promotion de l’Exportation.

Le monde estudiantin suit de près le scrutin

Longtemps considérée comme une référence en matière de formation, l’éducation française fait, de plus en plus, des émules dans les pays anglophones en Afrique. Ceci illustre le nombre important d’étudiants en provenance de ces pays qui partent finir leurs études en France afin de se familiariser avec la langue de Molière à l’heure de la mondialisation. La France a veillé à ce que l’éducation soit une vitrine du savoir-faire français en matière de formation continue. Ceci à travers des programmes d’échange culturel entre les institutions universitaires d’Afrique anglophone et leurs homologues en France. Mais les débats houleux qui ont accompagné la campagne électorale sur l’épineux dossier de l’immigration fait redouter un durcissement du processus pour l’obtention des visas étudiants.

« J’ai toujours rêvé d’aller poursuivre mes études universitaires en France. Mais vu la position très  radicale et presque xénophobe de certains candidats,  je peux dire que l’obtention du visa serait la croix et la bannière pour les étudiants africains sous le quinquennat à venir », a expliqué  Georgina Abyeku Godwin, une étudiante ghanéenne. Aussi, la position souple adoptée par Emmanuel Macron, le candidat d’ En Marche, a fait monter sa côte de popularité auprès de cette tranche de la population. « Je prie vivement pour qu’Emmanuel Macron soit le prochain Président français. Au moins, lui il ne nous fermera pas les portes des universités françaises avec des mesures drastiques. Aujourd’hui, c’est plus que nécessaire d’aller faire ses études dans de bonnes universités en France puisque cela multiplie les opportunités d’embauche que ce soit dans nos pays anglophones ou francophones », a expliqué Atta Mensah, un étudiant qui vient de boucler une formation en France.

Du côté de la diplomatie de certains pays anglophones, on relativise cette montée du nationalisme et du protectionnisme dans les débats. On préfère garder une bonne image de la coopération avec la France. « Nous avons organisé une visite d’une importante délégation de la France au Ghana en février de l’année dernière et les français nous avaient rendu l’ascenseur avec les visites du Premier Ministre Manuel Valls. Nous avons discuté avec des moyens pour formaliser les échanges entre les institutions d’enseignement de la France et du Ghana. Il y a aussi l’ouverture du bureau de Business France qui facilite le commerce et les investissements entre les deux pays. Donc les relations seront toujours bonnes », a expliqué Johanna Odonkor Svanikier, celle qui a été jusque fin 2016 l’ambassadrice du Ghana en France.

La récente tournée africaine du Ministre français des Finances et de l’Économie, Michel Sapin, a enfin été une aubaine pour lever l’équivoque quant à l’ouverture de la France dans ses relations avec l’Afrique, y compris les pays anglophones. « Nous agissons autant avec les pays anglophones qu’avec les pays francophones. Les pays anglophones et les pays francophones veulent travailler beaucoup plus entre eux. La France travaille maintenant avec tout le monde », a déclaré M. Sapin. Malgré cette position affichée de l’argentier français, certains acteurs du secteur privé continuent de redouter l’incertitude qui plane sur l’issue du scrutin le plus indécis de la 5e République.


 

Auteur : Blamé Ekoué // Photos : Michel Sapin en visite au Ghana, délégation du Medef © DR

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