ArchivesLe dossier du mois

L’Afrique peu présente dans la campagne, mais dans les coulisses…

Immigration, chômage, islam, sécurité… Autant de thèmes qui auront marqué la campagne. L’Afrique en revanche, n’aura pas été au cœur des débats. Et pourtant, dans les coulisses, certaines traditions bien françaises n’auront pas été rompues.

Par nos correspondants à Dakar, Abidjan, Libreville, et Paris

 

« Si je veux que l’Afrique soit la première des priorités internationales de la France, ce n’est ni par charité, ni par cupidité. C’est, tout simplement, parce que notre intérêt commun rencontre notre amitié réciproque. La France doit avoir une politique africaine et, au sein de celle-ci, des priorités et des alliances privilégiées avec ses amis historiques ». Ces propos, qui surprendront tant à Paris que dans les capitales africaines, ont été tenus par Marine Le Pen, candidate du Front National, alors en visite au Tchad, les 21 et 22 mars derniers. De quoi interpeller un  journaliste guinéen : « Et si c’était elle ? » Autrement dit, contre toute attente, si c’était finalement la présidente du parti qui fustige l’immigration, qui mette un terme à la « Françafrique » et renouvelle les relations France-Afrique sur des bases plus saines ? 

Marine Le Pen : opération séduction au Tchad

C’est du moins le message que Marine Le Pen aura tenté de faire passer lors de sa visite – même si la fille n’aura pas fait oublié le passé « africain » du père, reçu entre autres par feu Omar Bongo – la première sur le continent, au Tchad, délivrant par la même occasion les couleurs de son programme africain. Baptisé « L’Afrique : notre priorité pour l’international », il vise à, en résumé, selon Marine, « mettre fin au ”deux poids, deux mesures“ qui caractérise l’actuelle politique africaine de la France, et nous en tenir à une ligne claire : le respect des souverainetés nationales. » Autrement dit, moins d’ingérence et plus de coopération afin de permettre aux Africains de mieux vivre chez eux et donc d’en finir avec les flux migratoires du sud vers le nord, la France en particulier. « S’il vous plaît, comprenez-moi, et comprenez les Français : le refus de l’immigration massive, ce n’est pas le rejet et la haine de l’autre, c’est tout le contraire ! Tiendra-t-elle à préciser. C’est au contraire une gestion rigoureuse, partagée et équilibrée des flux migratoires entre nos deux continents ».

Entretemps, autre thème cher aux Africains, en particulier à l’heure actuelle, elle tacle le Franc CFA. « J’entends les plaintes des États africains qui considèrent par principe qu’ils doivent avoir leur propre monnaie et que le franc CFA est un inconvénient à leur développement économique. Je suis tout à fait d’accord avec cette vision ».  Une mission séduction donc au cours de laquelle Marine Le Pen cherchera à redorer son blason en Afrique.  Pas totalement gagné. Avant même son arrivée, le principal parti de l’opposition dénoncera sa visite dans un communiqué. « L’Union Nationale pour le Développement et le Renouveau (UNDR) s’oppose catégoriquement à la visite annoncée de Mme Marine Le Pen, candidate de l’extrême droite raciste et xénophobe à l’élection présidentielle en France ». Rappelant au passage que « Mme Le Pen a été la première personnalité française à féliciter Idriss Déby après son coup d’État électoral. Le Tchad ne doit pas montrer une quelconque sympathie pour cette candidature sous le prétexte de visiter la force Barkhane et rencontrer les autorités tchadiennes. »

Les visites des candidats en campagne électorale : une tradition française

En réalité, que faisait-elle au Tchad ?  Officiellement, il s’agissait en effet de rendre visite aux forces françaises de l’opération Barkhane à qui elle assurera de tout son soutien. Mais même si, dans un premier temps il était question du Mali, son séjour au Tchad, un pays clé dans le nouveau dispositif africain français, une rencontre avec Idriss Déby le chef d’État africain parmi les plus – si ce n’est le plus – influents auprès de François Hollande, n’a rien d’anodin.  Signe de continuité donc plus que d’une rupture. Car les visites des candidats en campagne électorale sont bien une tradition française. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les postulants à la présidence, passent systématiquement, par les pays phares de la « Françafrique », réelle ou fantasmée. Gabon, Maroc, Sénégal entre autres. Les plus mauvaises langues diront que c’est pour aller chercher des soutiens financiers, « les fameuses valises de la Françafrique », tandis que les plus prudents évoqueront une quête de dimension « internationale ». L’Afrique demeurant la principale zone d’influence de la France, elle reste un passage obligé pour les candidats qui veulent se donner une stature internationale.

Et le scrutin de 2017 n’aura pas dérogé à la règle. Ainsi, si la visite de Marine aura fait le plus de bruit, quelques mois plus tôt, en décembre, à peine élu à la primaire de droite, François Fillon s’envolait pour le continent. Une première sortie « internationale » ponctuée de deux étapes à Bamako et à Niamey, pour une visite aux forces françaises engagées au Sahel dans l’opération Barkhane. Entre-temps, il rencontrera les chefs d’État du Niger et du Mali, qu’il rassurera quant au maintien des forces françaises, s’il est élu au soir du 7 mai. Là encore, continuité donc. Rien d’étonnant pour celui qui aura été, de l’aveu même de Sarkozy, « un collaborateur zélé et efficace », plus précisément son chef du gouvernement de 2007 à 2012. Une période au cours de laquelle il ne s’éloignera pas en effet de la feuille de route africaine de Sarkozy. Même si déjà, lors de ses séjours sur le continent, il révélera un des éléments repris pendant sa campagne : le refus du poids de la colonisation. A titre d’exemple, il qualifiera, à Yaoundé en 2009 que la guerre entre les indépendantistes et les forces coloniales, entre 1955 et 1962, de « pure invention ». Une fois dans l’opposition, il récidivera en 2012, alors que François Hollande reconnaît officiellement la responsabilité de la France dans le massacre du 17 octobre 1961, il s’insurge : « J’en ai assez que, tous les quinze jours, la France se découvre une nouvelle responsabilité et mette en avant sa culpabilité permanente ». Une tendance révisionniste qui se confirmera puisque le candidat à l’Élysée a annoncé son intention, après son élection, d’inviter les « Académiciens » à mettre en avant le « partage de culture » insufflé par la France pendant l’ère coloniale.

Fillon « Un réseau africain »

Des propos loin de remettre en question « le réseau africain » que François Fillon a, discrètement, construit depuis son passage à Matignon. Un temps, suivant les conseils du Mr Afrique des coulisses de la Françafrique, Robert Bourgi. S’il rencontre l’opposant Gabon Jean Ping en juillet 2016, il déclare en septembre dernier sur l’élection contestée d’Ali Bongo : « le sentiment qu’on a en écoutant les observateurs sur le terrain, c’est que le président Bongo n’a pas gagné cette élection ». Avant d’opter pour Bernard Debré et de revenir ensuite à la politique du « ni-ni », ni indifférence, ni ingérence, qui avait marqué le mandat de Sarkozy.

Macron pour « Un grand partenariat avec l’Afrique »

Autre visite d’un candidat, celle d’Emmanuel Macron, en Algérie. Le  leader du mouvement En Marche! n’aura pas choisi le plus simple. Entre Paris et Alger, le torchon brûle depuis… depuis la guerre d’indépendance. Depuis, selon les différents pouvoirs en place, les relations ont oscillé entre réchauffement et refroidissement. Et c’est là que Macron a choisi de faire sa visite « africaine ». Au Maghreb donc. Et à Alger. Et là, interrogé par la télévision locale, il déclarera : « La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ».  Des propos qui feront mouche en France. D’autant que quelques temps plus tôt, à Paris, il se montrait plus nuancé, indiquant qu’il y avait des « éléments de civilisation » dans la colonisation.

Une volte-face douteuse pour celui qui promettait de « dépoussiérer la relation France-Afrique. » Selon le mot d’ordre inscrit dans son programme : « Je souhaite mettre en œuvre une diplomatie claire et résolue, dans la tradition gaulliste et mitterrandienne, pour faire de la France une puissance indépendante, humaniste et européenne ». Y compris en Afrique donc. « Notre présence a globalement reculé au Moyen-Orient, au Maghreb et en Afrique, notre continent frère ». Rappelant que « Le Maghreb et l’Afrique sont nos partenaires privilégiés », il invite à « Un grand partenariat avec l’Afrique ». Mais selon des modalités non précisées en dehors d’un accent porté sur le numérique. Sans doute car, là où le candidat pèche, c’est dans son réseau africain… Même si ce dernier a passé « quelques mois » au Nigéria, rencontré les présidents de ce pays ainsi que de l’Afrique du Sud, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, il n’en demeure pas moins rodé « aux affaires africaines » et fait encore figure de novice en la matière. Toutefois, là où il tranche avec ses concurrents, c’est que lui mise très clairement sur les diasporas africaines en France. Surtout, Macron, ancien banquier, est l’homme des milieux d’affaires, ce qui l’a conduit en Algérie, et avant en tant que ministre de l’Economie, à rencontrer les milieux d’affaires africains. Pour celui qui a fait ses classes à Rothschild, il n’aura pas échappé que, pour une France en crise, l’Afrique, continent de la prochaine croissance, est le salut. Un prisme économique donc.

Le « plus Africain » des candidats, Benoît Hamon, qui a passé son enfance au Sénégal, lui n’aura pas fait de « visite africaine ». L’ancien militant de SOS Racisme, s’il a effectué dans le passé des séjours sur le continent, dont un en tant que député au Mali pour « évaluer » la présence militaire française, très proche des associations de la société civile, aura ainsi rompu à la tradition. Elle est peut-être là la rupture… Rien d’étonnant en revanche pour Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou ou encore Nathalie Arthaud. L’extrême gauche française, elle, a toujours été loin, et même fustigatrice, des traditions de la « Françafrique ».


Auteur : ANA // Photos : 1. Fillon en visite au Cameroun, aux côtés de Paul Biya © DR – 2. Avant de quitter l’Elysée, Hollande a reçu plusieurs chef d’Etats africains, ici le président ivoirien © DR – 3. Sarkozy, Rachida Dati et le député Pierre Lelouche chez Mohammed VI © DR

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page