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La France face à la diversité afro-descendante

En cette « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition », ANA a choisi de parler des la diversité noire en France, de la manière dont elle est perçue et comment elle se perçoit, elle-même. Pour ce faire, elle revient sur l’intervention de Pap Ndiaye lors de l’événement « Ecrire la France Boire, la diversité en questions », qui s’est déroulé le 2 mai dernier au Collège de France à Paris.

Les représentations de l’Afrique pour les Afro-descendants de France sont diverses. A l’heure actuelle, le repli communautaire fait la une des journaux. Pap Ndiaye retrace de manière historique, les différentes représentations des Afro-descendants vivant en France. Ainsi, il nous explique la manière avec laquelle ces nouvelles générations sont représentées mais aussi l’image qu’elles ont de leur origine et de leur identité. En effet, aujourd’hui, les jeunes générations revendiquent leur appartenance à leur origine, voire, au continent africain avec facilité et dignité. « Dans les années 50, les jeunes Italiens font mine de ne pas comprendre l’italien en dehors du cercle familial et communautaire. Ils prennent un accent anglais pour parler aux filles qui n’étaient pas dupes. Les générations suivantes n’ont plus besoin de faire leurs preuves nationales et ils tissent un lien choisi avec le pays d’origine. C’est parmi eux que l’on retrouve les militants actifs des associations et même, parfois, des militants politiques comme aux Etats-Unis, dans le cas du nationalisme irlandais. Concernant l’immigration africaine, je ne connais pas encore de travaux réalisés au sujet des populations afro-descendantes », explique Pap Ndiaye, Historien, spécialiste de l’histoire sociale des Etats-Unis, Sciences Po.

Le repli identitaire français

Pour Pap Ndiaye, ce repli est dû à la montée du FN en France ayant pour conséquence d’intimider les manifestations multiculturelles. « Ce repli, met en évidence les différentes attaches avec les pays du sud, non blancs, non européens et donc d’encourager, en guise de protection, une instance sur la francité de la part des principaux intéressés », explique l’historien. Une enquête qu’il avait réalisée, il y’a quelques années, l’a mené à la conclusion suivante : « la très grande majorité des personnes noires interrogées par mes soins ont insisté sur le fait qu’elles sont françaises et que leur identité incorpore la part française. Alou, un jeune Franco-sénégalais de 25 ans m’avait expliqué, à l’époque, qu’il était soit Franco-sénégalais soit Français, selon les gens à qui il s’adressait. Il m’avait déclaré que « de toute façons, si tu es Noir, tu n’es pas vu comme Français, et si de surplus tu as un nom pas catholique, alors là… » », ajoute Pap Ndiaye. Ce dernier parle d’une « amertume » commune très présente et propre à chaque interlocuteur interrogé. En effet, les minorités sont souvent tiraillées entre leur apparence noire et leur citoyenneté française. Elles sont également souvent interrogées quant à leur origine soupçonnée ou réelle. « Nous savons bien que les institutions de la république, en dépit des principes affichés, n’ont pas été indifférentes à la couleur de peau, à travers le traitement des personnes. Les Français noirs, d’aujourd’hui et d’hier, font l’expérience d’une identité française contestée d’où un attachement d’autant plus fort à celle-ci. Plus leur identité française est suspectée par la police, par exemple, lors de contrôles au faciès, plus ils la soulignent et insistent sur le fait qu’ils sont aussi Français que les autres », ajoute Pap Ndiaye. Lorsque l’on est d’origine africaine en France ou issu d’une autre minorité, nous sommes souvent confrontés à la question : « d’où venez-vous » ? Celle-ci ne vise pas le quartier où l’on habite, mais c’est une manière implicite de demander l’origine. « Quand une personne tente de détourner la question en répondant je viens de Paris, par exemple, elle est souvent confrontée à la question suivante : « d’où est-ce que vous venez vraiment » ?

 

Se référer à sa nationalité d’origine, selon les situations

Cette manière de se protéger, de s’attacher, n’est pas forcément synonyme d’abandon d’autres attaches. En effet, selon Pap Ndiaye, « C’est le cas du pays d’origine des parents, de la région. Les Africains qui n’ont pas, par exemple, la nationalité française et qui se référent à leur nationalité. C’est également le cas des Afro-descendants qui se référent, le cas échéant, à leur pays ou région d’origine ou à celui de leurs parents ou grands-parents. Alou ne manque jamais une occasion d’évoquer son identité sénégalaise et ce que le pays d’origine de ses parents lui a apporté. Il est, en quelque sorte, un Français à trait d’union, comme il existe des Américains à trait d’union. Les situations sociales où il a affaire à des interlocuteurs compréhensifs, des amis, lui fournissent le plaisir de faire référence à sa « sénégalité ». Français, à coup sûr, avec les institutions, avec celles et ceux chez lesquels il peut détecter un brin de condescendance, d’hostilité, même dissimulée sous un sourire. Il s’agit là d’une identité à géométrie variable adaptée aux circonstances sociales plus ou moins multiculturelles », explique l’historien. Pap Ndiaye, soulignant le fait que les Noirs-américains ne peuvent pas se référer à leurs origines géographiques nationales extérieures aux États-Unis. « L’anthropologue John Akbou a remarqué que les Afro-américains, prototypes de migrants involontaires, n’ont pas eu à leur disposition les ressources culturelles de la plupart des autres migrants leur permettant de faire état d’une identité valorisante dans la région d’origine, comme par exemple, la filiation, la réputation familiale, le savoir-faire, mais aussi, la profession, la langue », explique l’historien…

 

L’importance de l’identification « racialisé »

Certaines personnes se considèrent, entre autres, comme étant noires. « Je pensais que cette identification serait rare eu égard au caractère intimidant d’un républicanisme universaliste français, habituellement hostile à cette référence », ajoute l’historien. Parmi les personnes qu’il a interrogées lors de ses recherches, il fut étonné de découvrir que certaines d’entre elles ne sont pas noires par choix identitaires, mais plutôt de manière digne. C’est le cas d’Yvonne. « Je me sens plus noire qu’avant. D’un côté, on te dit que tout le monde est pareil, qu’il ne faut pas faire attention à la couleur de peau, moi je suis d’accord, mais il faut bien se rendre compte que les autres y prêtent attention. Ah, bon ? Si vous pensez que je suis noire, bon je le suis », rapporte Pap Ndiaye qui reprend les propos d’Yvonne.

 

Une référence transatlantique très présente

« Un de mes interlocuteurs qualifiait les États -Unis, comme étant le seul pays du monde noir ayant réussi », confie Pap Ndiaye. Les Afro-descendants sont conscients du racisme, des difficultés sociales, des meurtres liés aux discriminations… mais éprouvent un intérêt grandissant  pour « le pays d’Obama ». Il existe un ensemble de références politiques culturelles, sportives, empreintes aux Etats-Unis, bien plus qu’à l’Afrique. « Il s’agit de formes de reconnaissances de cultures pluralistes, des formes de constructions d’un atlantique noir de référence. Ce qui d’ailleurs peut expliquer certains itinéraires migratoires », explique l’historien.

Un intérêt grandissant pour le pays d’origine des parents

Depuis quelques années, il est observé un mouvement de jeunes afro-descendants qui partent s’installer dans le pays des parents, avec des diplômes et surtout de nombreux projets en tête. « A Bamako, à Dakar, Abidjan, on peut rencontrer de jeunes juristes, de jeunes gestionnaires, des diplômés d’écoles d’ingénieurs… qui se sont installés dans ces grandes villes. C’est un moyen de contourner la discrimination d’accès au marché de l’emploi en France, de s’appuyer sur un réseau familial, d’affronter un inconnu rendu éventuellement familier par les voyages précédents. La question des itinéraires vers l’Afrique, les Etats-Unis ou encore vers les triangulations, États-Unis, Afrique, Europe. Tous les pays d’Afrique sont concernés et pas seulement les pays d’origine. C’est une question passionnante pour les anthropologues et sociologues d’aujourd’hui. De nos jours, être Afro-descendant, ce n’est pas simplement s’intéresser de près à l’Afrique, c’est même parfois, lui tourner le dos », relève Pap Ndiaye. Une redéfinition de la diaspora incluant la question de mobilité, son regard porté sur l’avenir, ses enjeux sociaux et politiques, mais aussi les dérives dangereuses du repli identitaire paradoxal à l’idée même du multiculturalisme.

 

Lire sur le sujet :
http://www.africanewsagency.fr/?p=433

http://www.africanewsagency.fr/?p=2031


 

Par Darine Habchi

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