Khalil Al Americani : “Nous voulons participer à la digitalisation de la RDC”
Le secteur des télécommunications en Afrique est en pleine transformation et joue un rôle essentiel dans le développement économique et social. Toutefois, pour maximiser son impact, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour réduire les coûts, améliorer l'accès et renforcer l'infrastructure dans les régions les plus défavorisées du continent. A l’image de ce qui s’opère en RD Congo. Vodacom, leader sur le marché avec ses 21 millions d'abonnés, est un acteur clé de cet écosystème. A sa tête, Khalil Al Americani, qui affiche plus de 20 ans d'expérience dans le secteur des télécommunications, partage son expertise sur la croissance rapide du secteur en Afrique, les défis à relever, et l'importance de l'innovation pour transformer les vies des Congolais et renforcer la connectivité à travers le continent.
Propos recueillis par Dounia Ben Mohamed
Pouvez-vous nous donner un aperçu de l’évolution du secteur des télécommunications en RD Congo ?
La RDC présente un potentiel de marché intéressant, notamment dans les secteurs des télécommunications et des services numériques. Avec une population de plus de 105 millions d’habitants et une pénétration du service GSM proche de 60 %, il y a encore une opportunité significative d’augmenter le nombre d’abonnés, surtout en tenant compte du phénomène de multisiming, qui réduit le taux d’utilisation réel à environ 50 %.
Quant à l’accès à Internet et aux services financiers, le potentiel reste également limité, avec seulement 30 % de la population ayant accès à Internet et moins de 20 % utilisant des services financiers, ce qui souligne une opportunité pour des innovations et des services adaptés qui pourraient facilement toucher un public plus large.
Vodacom Congo, avec ses 21 millions d’abonnés en RDC et plus de deux décennies d’opération dans le pays, joue un rôle clé dans ce marché. L’investissement significatif de près de 1,8 milliard de dollars au cours des 22 dernières années, en particulier dans l’extension du réseau 4G, témoigne de l’engagement du groupe à répondre à la croissance rapide de la demande. Avec une augmentation continue du trafic, Vodacom est bien positionné pour tirer parti de la croissance potentielle du marché, notamment en offrant des services innovants qui répondent aux besoins d’une population en expansion.
Il serait intéressant de surveiller l’évolution du paysage concurrentiel ainsi que les initiatives gouvernementales en matière d’infrastructure numérique et d’inclusion financière, car elles pourraient également influencer le développement du marché des télécommunications et des services numériques en RDC.
Notre engagement envers l’extension de la couverture réseau s’est concrétisé au fil des ans par l’installation de près de 900 sites solaires qui desservent les zones rurales éloignées
Quelle place occupe Vodacom dans cet écosystème et comment relevez-vous le défi de la connectivité dans un territoire aussi vaste que la RDC ?
Chez Vodacom, notre engagement envers l’extension de la couverture réseau s’est concrétisé au fil des ans par l’installation de sites solaires qui desservent les zones rurales éloignées. Avec près de 900 sites entièrement solaires en opération depuis 2013, nous contribuons non seulement à l’amélioration de l’accès à la communication, mais aussi à la protection de l’environnement en réduisant notre empreinte carbone. L’utilisation d’antennes satellites sur ces sites nous permet d’offrir une couverture réseau là où les infrastructures traditionnelles sont inexistantes. En intégrant des technologies2G, 3G et 4G et peut être à terme, la 5G, nous évoluons au-delà des services de voix et SMS, permettant à de plus en plus de personnes d’accéder à Internet. Bien que ces avancées s’accompagnent de coûts élevés, notamment pour l’acquisition des bandes satellitaires, nous sommes déterminés à optimiser leur utilisation pour maintenir notre engagement envers ces communautés.
Nos offres s’adaptent aux besoins variés de nos clients, allant de solutions simples de communication à des services plus complexes tels que le MPLS et le suivi, spécialement conçus pour les secteurs public et privé. Nous continuerons à investir dans ces technologies afin de répondre aux besoins croissants de connectivité dans les régions les plus reculées.
Le solaire est une alternative pour améliorer l’accès à Internet ?
Nous travaillons sur une variété de supports pour augmenter notre capacité, à la fois via le réseau micro-ondes et par satellite, tout en déployant des fibres optiques. Ces déploiements se font soit directement, soit en partenariat avec des acteurs locaux, ou encore dans le cadre de projets de co-construction et d’accords d’IRU ((NDLR :Interconnexion Resource Usage).
Notre approche n’est pas uniforme, car il n’existe pas de solution unique applicable à tous les cas. Par exemple, si nous misions uniquement sur la fibre, certaines régions du pays resteraient inaccessibles. C’est pourquoi nous utilisons une combinaison de satellites, de réseaux micro-ondes et de fibre optique. Par ailleurs, nous avons accès à des câbles sous-marins qui nous permettent de nous connecter aux pays voisins, à l’est, à l’ouest et au sud, notamment via la Zambie.
Le principal défi reste de relier les différentes régions de la République Démocratique du Congo (RDC) et d’assurer le transit du trafic Internet, qui constitue la majeure partie de nos échanges, en acheminant ce trafic à l’extérieur du pays.
À plus long terme, notre ambition est de développer des infrastructures réseau reliant l’est, l’ouest, le nord et le sud du pays, afin de réduire notre dépendance aux liaisons satellitaires, dont les coûts sont élevés et la latence importante. Nous menons également des tests sur les satellites à orbite basse et augmentons les capacités des backbones à micro-ondes, bien que nous restions limités par les fréquences disponibles.
La véritable solution réside dans un déploiement redondant de fibres, car lorsqu’une fibre est endommagée, toute connectivité peut être perdue. Il est donc crucial de prévoir des réseaux en boucle. Le principal obstacle demeure les distances considérables à couvrir, qui s’étendent parfois sur des milliers de kilomètres.
Notre objectif est de digitaliser l’usage de la monnaie, réduisant ainsi les risques liés à la gestion des espèces tout en renforçant la traçabilité
Comment se développe le secteur des services financiers et du mobile money en RDC ?
Nous avons développé une gamme de services financiers, tels que le mobile money, qui s’adresse aux particuliers, aux entreprises, et même aux administrations publiques. Par exemple, dans certaines régions, la collecte des taxes est effectuée via M-Pesa, tout comme le règlement des factures d’eau. Nous travaillons actuellement à l’intégration des paiements d’électricité. En matière de transfert d’argent, nos services M-Pesa inclut des solutions de prêt ainsi qu’un système de change (FOREX), car la RDC fonctionne avec une double monnaie. Nous avons également mis en place un programme d’achat de téléphones à crédit, visant à faciliter l’acquisition de smartphones et ainsi favoriser l’accès à de nouveaux services numériques.
De plus, nous proposons des API ouvertes, permettant à un large écosystème de se connecter à la plateforme M-Pesa pour des paiements. Cela inclut des acteurs de l’e-commerce et de la FinTech, contribuant au développement d’une infrastructure digitale autour de cette solution.
Pourquoi le choix de M-Pesa et comment s’intègre-t-il dans l’écosystème financier congolais ?
M-Pesa est la plateforme de mobile money la plus avancée et la plus riche de l’écosystème. Pour ceux qui ont visité le Kenya, elle représente l’exemple phare d’une réussite FinTech en Afrique. C’est précisément cette success story qui nous a inspirés à répliquer ce modèle en République Démocratique du Congo (RDC). Notre objectif est d’augmenter le taux de pénétration de M-Pesa et, à partir de cette base, de développer divers écosystèmes. La plateforme facilite non seulement les transactions pour les particuliers, mais également pour les entreprises et les administrations.
À ce jour, nous comptons plus de 35 000 commerçants au sein de ce que nous appelons l’Écosystème des Commerçants, qui utilisent M-Pesa pour leurs achats et paiements. Notre ambition est de dématérialiser l’utilisation de la monnaie, apportant ainsi de nombreux avantages, notamment la réduction des risques liés à la manipulation des espèces et une meilleure traçabilité des transactions. Nous prévoyons de continuer à diversifier notre offre FinTech pour répondre aux besoins variés des utilisateurs, qu’il s’agisse d’agriculteurs ou d’entrepreneurs. En collaborant avec le gouvernement dans le cadre du e-gouvernement et en intégrant des produits financiers adaptés, nous visons à participer activement à la digitalisation du pays, tout en améliorant l’efficacité des services publics.
Pionniers des services financiers numériques, nous avons également ouvert la voie à l’intégration de la FinTech. Nous sommes aujourd’hui leaders sur le marché, tant par le nombre d’abonnés que par les revenus générés et la diversité des produits proposés. Grâce à notre intégration d’API (Application Programming Interface), nous comptons à terme continuer à diversifier notre offre FinTech en fonction des segments de marché. Les besoins d’un jeune agriculteur ne sont pas les mêmes que ceux d’un jeune entrepreneur tech, et nous développerons des solutions sur mesure pour les particuliers, les entreprises et les acteurs publics. Cela améliorera l’efficacité et la traçabilité, des objectifs parfaitement alignés avec notre vision de la digitalisation du pays.
Comment les banques traditionnelles évoluent-elles dans ce paysage ? Vous considèrent-elles comme un allié ou un concurrent ?
En ce qui concerne les banques locales, nous collaborons sur plusieurs fronts. Bien que nous soyons en concurrence sur certains aspects, nous restons principalement complémentaires, car nous ne ciblons pas les mêmes segments avec les mêmes services. Nous avons intégré nos systèmes avec presque toutes les banques du pays, qui sont à la fois nos partenaires et nos clients. Je crois que nous évoluons vers un modèle de partenariats et de collaborations renforcés, comme cela a été observé au Kenya. Les banques ne parviendront jamais à bancariser l’ensemble de la population congolaise à court terme ; il faudra des décennies pour y arriver. Notre objectif est d’intégrer un maximum de Congolais dans le système financier, en particulier ceux qui n’ont pas encore accès aux services bancaires traditionnels.
À mesure que ces personnes progressent financièrement, elles migreront naturellement vers le secteur bancaire, mais elles auront besoin de produits différents de ceux que nous offrons actuellement.
Le développement des compétences numériques est crucial, tant pour notre propre performance que pour l’écosystème qui nous entoure
Encore faut-il former les utilisateurs à l’adoption de ces nouvelles technologies. Quelles initiatives Vodacom met-elle en place pour le développement des compétences numériques ?
Nous proposons des formations internes pour renforcer les compétences de nos collaborateurs, ainsi que des bourses et des soutiens aux universités. Nous avons lancé des classes numériques et collaborons avec Kadea Academy pour former la jeunesse aux métiers du digital. À ce jour, environ 250 diplômés ont rejoint notre dernière promotion, et nous œuvrons activement pour la parité en intégrant davantage de femmes dans le secteur technologique. À Lubumbashi, nous avons atteint un ratio égal de 50-50, tandis qu’à Goma, ce chiffre est de 20 %, et à Kinshasa, entre 25 et 30 %.
Depuis 2017, Vodacom a également lancé VodaEduc, une plateforme qui propose du contenu éducatif et offre une connectivité gratuite aux jeunes, sans distinction de pouvoir d’achat. De plus, dans les zones touchées par des catastrophes, nous avons déployé le programme Instant School, qui permet aux élèves de poursuivre leur scolarité grâce à un réseau satellite.
Le développement des compétences numériques est fondamental, non seulement pour notre propre fonctionnement, mais aussi pour soutenir l’écosystème dans lequel nous évoluons. Cela contribue à améliorer la performance des entrepreneurs et des jeunes, tout en garantissant une meilleure compréhension de nos produits. C’est une mission que nous poursuivons depuis toujours.
Quelles sont les challenges à venir, pour faire face à la concurrence et consolider votre positionnement ?
La RDC compte quatre opérateurs principaux, ainsi qu’un grand nombre de fournisseurs de fibre optique et d’ISPs (Internet Service Providers), créant ainsi un marché hautement concurrentiel. Cependant, cette dynamique présente des défis à long terme, notamment en ce qui concerne la fragmentation du marché. Cette situation évoque les difficultés rencontrées en Europe, où la consolidation des opérateurs devient nécessaire pour garantir des investissements pérennes. Les régulateurs doivent donc réfléchir aux moyens d’assurer une concurrence saine, tout en permettant aux opérateurs de répondre à une demande croissante en données et en services.
Avec l’essor de l’intelligence artificielle, anticiper les tendances en cybersécurité devient essentiel
La question de la cybersécurité également, un des défis majeurs pour les années à venir…
La cybersécurité est devenue une priorité pour les opérateurs, intégrée dans leur ADN pour protéger à la fois leurs réseaux et les données de leurs abonnés. Avec l’essor de l’intelligence artificielle, anticiper les nouvelles tendances en cybersécurité est essentiel. Vodacom et Vodafone se démarquent par leur approche proactive, en déployant des systèmes d’audit, des simulations d’attaques et des scénarios de crise pour garantir une réponse rapide en cas d’incident. Cette vigilance va de pair avec une forte attention portée à la protection de la vie privée, un aspect indissociable de la cybersécurité.
L’inclusion financière demeure un levier essentiel pour le développement numérique de la RDC
Finalement, comment comptez-vous répondre au défi de l’inclusion ?
Pour répondre aux besoins croissants en infrastructures, Vodacom investit dans des data centers et collabore avec d’autres fournisseurs afin de diversifier ses ressources. L’entreprise mise également sur le partage d’infrastructures pour réduire les coûts d’investissement, notamment à travers des projets communs avec des concurrents. Cette approche vise à favoriser l’inclusion numérique sur le continent, un élément essentiel pour le développement économique. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, il devient impératif d’accélérer le déploiement des infrastructures de base, telles que les couvertures GSM et Internet, pour répondre aux besoins d’une population dépassant les 100 millions d’habitants. L’inclusion financière reste un levier fondamental pour soutenir le développement numérique de la RDC.