
Déjà présents, notamment sur le plan de la sécurité, mais jusque-là peu visibles, les Israéliens affichent désormais publiquement leurs ambitions africaines. Israël cherche sur le continent des soutiens diplomatiques, mais également de nouveaux marchés.
Par Dounia Ben Mohamed
Chars et blindés, drones, mitraillettes, gilets pare-balle et autres équipements militaires, sont étalés sur les stands de Shield Africa, le forum de la sécurité en Afrique, qui se tenait en janvier dernier à Abidjan. Parmi les exposants, des sociétés françaises et européennes, américaines, sud-africaines, ou encore turcs. Mais également, venus en nombre, des Israéliens. Dans leur catalogue, au-delà du matériel technique, des solutions High Tech clés en main pour centraliser toutes les données disponibles (informations officielles, réseaux sociaux et autres) sur un groupe de personnes ciblées, voir tous les habitants d’une ville, même d’un pays tout entier… « Ce qui permet d’anticiper sur les menaces terroristes » assure le commercial de l’entreprise. De garder un œil sur l’opposition, les militants de la société civile et autres éventuelles sources de contestation par la même occasion, avec des outils que le développement des nouvelles technologies permet, et tout en profitant du vide juridique de la législation eu égard de ces pratiques peu en accord avec les libertés individuelles.
« Dans le domaine de la cybersécurité, ce sont les plus forts ! »
Et force est de constater que l’expertise israélienne en matière de cybersécurité séduit sur un continent en proie à de nouvelles formes de menaces (terrorisme, piraterie maritime, cybercriminalité, etc.) Ainsi, devant les stands des compagnies israéliennes, se pressent des représentants des forces armées ainsi que des responsables publics des différentes délégations africaines présentent. « C’est sûr, dans le domaine de la cybersécurité, ce sont les plus fort ! » juge un membre de l’armée ivoirienne qui ne souhaitera pas indiquer si son pays fait appel, comme d’autres de plus en plus nombreux sur le continent, à l’expertise israélienne en matière de sécurité. Ce que confirme Ram Ben Barak, ancien membre du Mossad, aujourd’hui spécialiste dans les questions de sécurité. « Compte tenu de ses défis sécuritaires importants, l’État d’Israël a réussi à développer des capacités de renseignement, technologiques et militaires, parmi les plus avancées du monde. Je crois que bon nombre des défis qui se posent au développement des pays africains aujourd’hui, l’État d’Israël les a traités dans le passé et continue à y faire face, notamment la défense des frontières, la sécurité maritime, la cybersécurité, le renseignement, etc. Il n’y a aucune raison pour que nous ne partagions pas ces capacités avec l’Afrique. Ce qui était l’objectif de ma participation à la conférence. »
De fait, longtemps réservé au champs de la diplomatie souterraine, la volonté israélienne de renforcer sa présence en Afrique est aujourd’hui clairement affichée. Y compris par ses plus hauts responsables. Ainsi, en janvier 2018, le premier ministre israélien se rendait au Tchad, pour une visite annoncée comme historique. A bien des égards, elle le sera. Un séjour qui commencera par une rencontre au palais avec Idriss Deby Itno_ qui s’est auparavant rendu en Israël en novembre 2018-_ où Benjamin Netanyahou ne cachera pas ses intentions : qualifiant sa présence de “percée historique dans un très grand pays musulman ayant des frontières avec la Libye et le Soudan”, elle vise à « renouer » les relations diplomatiques avec le Tchad, lesquelles avaient été rompues par celui-ci en 1972. “Cette visite fait partie de la révolution que nous menons dans le monde arabe et musulman que j’avais promis d’accomplir », déclarera-t-il à la presse locale. Une tournée dans laquelle l’Afrique occupe une place « stratégique ».
Des relations interrompues par les États africains, de gré… ou sous la pression des pays arabes
S’il faut rappeler que les relations entre Israël et Afrique sont historiques_ le Togo aura ainsi été parmi les premiers États à reconnaitre l’État d’Israël à sa création_, elles ont en effet, au fil des guerres Israélo-Arabes de 1967 et 1973, connu des dissensions qui se sont traduites par la rupture des liens diplomatiques à la demande de nombre de pays africains. De gré (comme l’Afrique du Sud qui soutient la cause palestinienne dont le sort est comparé à celui des sud-africains sous l’apartheid) ou sous la pression des États arabes…. Aussi, si jusqu’à il y a peu, lors des votes de résolutions sanctionnant Israël à l’ONU, les États africains apportaient de manière infaillible leur soutien à la cause palestinienne, désormais, il semble que le vent a tourné. Le Togo, fidèle allié, n’hésitant pas à voter contre, tandis que d’autres s’abstiennent. Entre temps, des accords de coopération ont été signés, dans les domaines de la sécurité à la technologie, mais également de l’agriculture, où Israël qui dispose d’un certain savoir-faire dans le développement d’activités agricoles en zone aride, à une expertise à promouvoir sur le continent.
« La relation entre le continent africain en général et de nombreux pays en particulier et l’État d’Israël est une relation de longue date, rappelle Ram Ben Barka. L’État d’Israël a grandement aidé le développement de nombreux pays africains dans les domaines des infrastructures, de l’eau, de l’agriculture, y compris de la sécurité et du renseignement. De nombreuses entreprises israéliennes sont impliquées dans divers domaines et activités en Afrique. Les relations entre les pays se situent à tous les niveaux: coopération entre les pays, accords G2G, coopération entre entreprises privées et publiques, gouvernements et organisations publiques G2B, ainsi qu’une coopération fructueuse entre hommes d’affaires, chose qui a tendance à croitre. La partie essentielle de la coopération concerne le transfert de savoir-faire – la vente de connaissances pour renforcer les capacités des pays africains et la vente d’équipements et de technologies. » Et l’expert d’ajouter : « Israël veut et peut donner beaucoup plus pour améliorer l’économie et la qualité de vie des citoyens africains. Je pense qu’il serait intéressant que des délégations de pays africains se rendent en Israël, pour évaluer ses capacités, sa beauté, découvrir ses citoyens et se faire de nouveaux amis. »
« Si l’Arabie Saoudite fait des affaires à Israël, je ne vois pas pourquoi on s’en priverait ! »
Un processus déjà en marche. Si le sommet Israël-Afrique à Lomé a cédé sous la pression de l’opposition togolaise et de plusieurs États voisins, des délégations africaines n’hésitent plus à faire le voyage. « Si l’Arabie Saoudite fait des affaires à Israël, je ne vois pas pourquoi on s’en priverait ! assume un acteur économique ivoirien qui s’est associé avec une société israélienne mais qui tient toutefois à garder l’anonymat. Les Arabes ont considéré, à tort, le soutien des Africains comme acquis. Ils n’ont pas, ou peu, entretenu les relations diplomatiques qui existaient à l’époque des indépendances et des non-alignés. Alors que de son côté, Israël n’a jamais cessé d’essayer de chercher à nouer des partenariats, trouver des relais, jouer la carte de la coopération et aujourd’hui celle du business » analyse un diplomate français.
« Ils ont une avance sur des problématiques qui sont les mêmes que celles que nous connaissons en Afrique. On a beaucoup à apprendre d’eux. »
Cécile Barry, entrepreneur franco-guinéenne et présidente d’Ajice, n’a pas hésité à se rendre sur place, pour « voir comment ce pays est devenu le leader mondial en matière de technologie. » Et d’expliquer : « Un pays qui a une telle capacité d’innovation , 3,5% de croissance, soit plus que nombre de pays Européens et occidentaux, je voulais voir comment ils y arrivent. » Après une première expérience « coup de cœur », elle y retourne, seule, « pour aller plus en profondeur ». « C’est un pays très projeté dans le futur. Ils ont une avance sur des problématiques qui sont les mêmes que celles que nous connaissons en Afrique. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Un rapprochement qui se fait déjà. J’ai croisé en Israël des Sénégalais venus faire du business. Et on voit bien que les États africains commencent à s’intéresser à Israël. De toute façon, les choses ont changé. Qu’ils s’agissent des Français, des Chinois, ou autres, l’Afrique développe une approche beaucoup plus pragmatique et moins idéologique. »
Sur le volet de la formation notamment estime Aminata Kaba, présidente du comité d’organisation de la Semaine du numérique, un rdv annuel qui se tient à Conakry. Lors de la dernière édition, en juin dernier, cette dernière a justement invité des sociétés israéliennes pour de sessions de renforcement de capacité dans le domaine de la cybersécurité, et plus largement des technologies. « Ce sont les leaders mondiaux, on a tout intérêt à apprendre d’eux. Et cela passe par des immersions en Israël. Quand on parle de révolution technologique, la question des ressources humaines est fondamentale. Les Guinéens, comme les Africains au sens large, doivent se mettre à niveau. Et en ce sens, le partenariat que nous propose Israël est intéressant. » En marge de son évènement, des échanges entre les sociétés israéliennes et le ministère guinéen des technologies ont eu lieu. « La Guinée a plusieurs projets en cours dans le secteur, dont la mise en place d’un data center. Il y a en ce sens plusieurs axes de partenariat possible avec les Israéliens ».
Ainsi, dans une Afrique de plus en plus ouverte à la concurrence, les Israéliens font ainsi figures de partenaires comme les Chinois, Français, Turcs et autres acteurs économiques avec lesquels il faudra désormais compter. Netanyahou l’aura dit très clairement : « L’Afrique nous intéresse ! » Ce qui est apparemment réciproque.