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Interview Dr Jean Marie Biada : « La compétition en Afrique pousse Emmanuel Macron à remobiliser les entreprises françaises »

Le 27 février 2023, la veille de sa visite officielle en Afrique centrale, le président français, Emmanuel Macron, déclinait sa nouvelle politique africaine. Entre autres sujets évoqués, la condescendance et les mauvaises performances des entreprises françaises sur le continent. Dr Jean Marie Biada, expert certifié ONUDI en diagnostic et mise à niveau des entreprises, décrypte le message du chef de l’État français.

Propos recueillis par Bernard Bangda

Dr Jean Marie Biada, expert certifié ONUDI en diagnostic et mise à niveau des entreprises-DR

Quelle analyse faites-vous du discours du président français sur la condescendance des entreprises françaises en Afrique ?

C’est un président français pris au dépourvu face à la montée fulgurante de nouvelles puissances jadis absentes des 14 pays d’Afrique de la zone Franc, avec les Comores, qui a fait cette sortie. La remarquable percée en Afrique de la Russie, l’Inde, du Brésil, la Turquie, la Thaïlande et du Vietnam rend caduc le monopole économique français. La France n’est plus la tour de contrôle et le point de passage obligé pour tout ce qui entre en Afrique francophone. Après 75 ans de coopération infructueuse avec la France, le continent diversifie désormais ses partenariats.

Le Vietnam, principal fournisseur de bois de l’Amérique du Nord, tire l’essentiel de ses stocks des forêts africaines. Au Gabon, où s’est tenu le « One Forest Summit », le Singapourien Olam a réalisé 50 000 ha de plantations de palmiers à huile dont les produits inondent le marché international.

Lors de la visite d’Emmanuel Macron au Cameroun en juillet 2022, l’on avait appris que les plus de 50% de parts de marché de la France en 1990 étaient tombés à 10% en 2022.

La condescendance des entreprises françaises en Afrique était le fait de la dictature des termes des échanges par leur gouvernement. Presque tous les marchés leur étaient attribués sans concurrence. L’absence, jusqu’en 2004, de code des marchés publics dans plusieurs pays africains a entretenu le flou et le trafic d’influence.

Le FMI et la Banque mondiale ont mis fin à cette situation. Ces codes des marchés publics ont installé la concurrence avec des pays sans passé historique lourd avec le continent. L’Afrique, et aujourd’hui le président Macron, observent alors que la qualité des infrastructures livrées par les Français a toujours été de piètre qualité. Ce qui affecte leur réputation.

C’est une situation telle qu’Emmanuel Macron ne pouvait que dire la vérité aux entreprises de son pays qui exercent en Afrique. Elles étaient habituées à compter sur des leviers politiques au détriment de la qualité des investissements. Pour ne pas perdre totalement la face, ces entreprises doivent rapidement se remettre en question afin de capitaliser le peu de confiance qu’on leur accorde encore.

« En Afrique, les entreprises françaises gardent toujours le monopole dans les marchés financés par l’Agence française de développement (AFD). Ce qui est normal »

Emmanuel Macron a-t-il les moyens de sa nouvelle politique économique africaine ?

En tant que chef de l’État français, il en a les moyens. Sauf que, sur le continent, de moins en moins, on cède aux caprices des entreprises françaises et se laisse influencer par l’Élysée. Ces entreprises n’échappent plus au fisc. Leur rang dans les soumissions, où elles sont rarement parmi les trois premières, poussent à la réflexion et à la remise en question.

Cependant, et c’est normal, elles gardent le monopole dans les marchés financés par l’Agence française de développement (AFD). La France peut actionner d’autres leviers de partenariat pour conserver la mainmise sur certains secteurs.

A la suite du président Macron, le gouvernement peut sensibiliser les entreprises françaises à vivre la concurrence en Afrique. En améliorant leur compétitivité et en mettant sur le marché des produits qui répondent aux réalités locales.

Croyez-vous à un partenariat gagnant-gagnant entre l’Afrique subsaharienne et la France ?

« Il est temps pour la France de redéfinir sa politique globale du pays vis-à-vis de l’Afrique. Surtout que même les Africains formés en France réfutent désormais celle en vigueur»

A court ou à moyen terme, je n’y crois pas. Je suis fondé à croire à l’existence dans l’appareil d’État français de nostalgiques qui rêvent encore d’un retour du leadership français en Afrique subsaharienne. Ils sont nombreux qui ne croient pas aux mutations mentales qui s’opèrent en Afrique.

Pourtant, en faisant une digression politique, les postures du Mali et du Burkina Faso, impossibles il y a trois ans encore, devraient interpeller la classe politique française. Le refus de continuer à faire avec la France entraîne la perte de parts de marché. Ceux qui refusent désormais le diktat français dénoncent les contrats léonins entre leurs anciens dirigeants et les Français.

C’est le moment, en France, pour le Parlement de redéfinir la politique globale du pays vis-à-vis de l’Afrique. Surtout que, même les Africains formés dans les grandes écoles françaises ne conçoivent plus la politique économique comme voulue par la France. Ils ont désormais le choix tant les opportunités sont autant nombreuses que les ressources naturelles et les marchés.

Par ailleurs, en Afrique, l’on a compris la plus-value de la transformation locale. Il n’est plus question de brader nos matières premières (forestières, agricoles, pastorales, halieutiques, etc.) pour en racheter les produits finis parfois 20 fois plus chers. Encore que l’exportation des produits africains s’accompagne d’une exportation des emplois. Elle réduit la capacité des pays africains à faire leurs emplettes sur le marché mondial. L’économie est donc bloquée du fait de l’immobilisation de la monnaie.

« Aucune relation gagnant-gagnant ne peut exister entre elle et ses anciennes colonies en Afrique tant que la France va tenir les comptes d’opération comme un fétiche »

Dans l’industrie pharmaceutique par exemple, les pays de la zone Franc doivent acheter les excipients et le principe actif en Inde. Or, la roupie ne peut être utilisée en Afrique ni le franc CFA en Inde. Seul le compte d’opération logé au Trésor français peut faciliter ce type de transactions. Tant que la France va tenir ce vestige colonial comme un fétiche, aucune relation gagnant-gagnant ne peut exister entre elle et ses anciennes colonies en Afrique.

Une telle relation devrait commencer par la suppression de ces comptes d’opération afin que les recettes d’exportation soient centralisées dans les comptes du trésor de chaque pays. C’est là que devraient intervenir les parlementaires pour amener le chef de l’État à rompre ce lien colonial.

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