« Je veux jouer un rôle dans l’avenir de mon pays »
Ancien ministre des Hydrocarbures sous la présidence de Pascal Lissouba, Benoit Koukebene, après 19 années d’exil en France, compte apporter sa pierre à la bâtisse Congo. Dans cet entretien, le poulain de Pascal Lissouba fixe ses ambitions, non sans écorcher l’actuel pouvoir piloté par Denis Sassoiu N’Guesso.
Entretien
Vous avez récemment apporté votre soutien au Général Mokoko qui se présente comme le candidat dit de l’alternance face à Sassou N’Guesso. Un régime responsable, selon vous, de la destruction de l’Etat congolais ?
Je vis en exil en France depuis 1997, et le coup d’Etat qui nous a évincés du pouvoir. Depuis, j’ai observé, écouté, regardé, et je me pose la question pourquoi ? Quand j’observe la manière dont on nous a fait partir du pouvoir, par les armes, selon des ordres commandités de l’extérieur, je me demande dans quels intérêts ?
Quand vous évoquez l’« extérieur », vous faites allusion à la France ?
Oui très clairement et ce n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans les intérêts de la France, mais de quelques Français, ce qui n’est pas la même chose. On a pensé, avec Lissouba qui commençait à mettre un peu d’ordre dans les affaires, que des passerelles seraient peut-être coupées, des privilèges perdues. Et ce, au moment même où, à cause de moi ou grâce à moi, parce que je venais de conclure de nouveaux accords sur le plan pétrolier, plus en faveur du développement du pays que les précédents, ils ont senti comme le requin qui renifle le sang, que le pays allait avoir beaucoup d’argent. Ces accords devaient prendre effet au 1er janvier 96. On nous a retiré un an plus tard. Et ça na pas tardé, grâce à ces accords, le pays a augmenté ses recettes pétrolières alors que, entretemps, le prix du baril a grimpé, jusqu’à atteindre les 100 dollars quand, à notre époque, il tournait autour des 12-15 dollars. Une aubaine ! Sauf que, comme toujours, quand l’argent arrive brutalement, sans y avoir réfléchi, il est dépensé effrontément. Ils se sont enrichis sur le sang du peuple. Ils ont tués.
Les propos que vous tenez à l’encontre de Sassou N’Guesso et de son « clan » sont en effet très durs. Vous l’accusez d’avoir « tué » la République, l’Etat congolais ?
Ils ont oublié qu’ils avaient un Etat à gérer et que cela implique des responsabilités, des enfants qui doivent aller à l’école, des personnes à soigner, des villes à entretenir, avec de l’électricité… Aujourd’hui, il y a des coupures électriques intempestives à Brazzaville. Malgré cette manne qui s’estime à des millions de dollars.
Pourtant, dans son bilan précisément, l’actuel chef de l’Etat évoque « de grandes constructions »…
Oui, on nous dit qu’on a construit. On voit des bâtiments, des routes. Mais des chantiers qui ont été attribués sans appel d’offre à des sociétés chinoises, sans cahier des charges. Résultat, deux ans après, les routes sont déjà abimées parce qu’on n’a pas tenu compte de la géologie. Il ne faut pas oublier la corruption qui règne au Congo, et à tous les niveaux, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Au Congo, on ne peut pas obtenir un document administratif sans graisser la patte à quelqu’un. A chaque étape, il y a quelqu’un, et cela se passe au su de tout le monde. Pour ne citer qu’un exemple, les retraités, pour toucher leur maigre pension, doivent laisser 10 a 15% … La santé n‘existe pas, l’école n’existe pas. Qu’est-ce qu’un pays sans école ? C’est un pays condamné, sans avenir ! Les épreuves du baccalauréat 2015 se sont vendues au marché noir ! Bien sûr, on a annulé les résultats, mis en place une autre session, mais personne n’a été sanctionné. C’est l’impunité qui règne. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement, alors que nous sommes face à un pouvoir clanique. On comprend pourquoi on ne sanctionne personne. A tous les postes, il y a des cousins, des parents, dans tous les secteurs, de la police à l’administration centrale. L’Etat n’existe plus. Un pays sans Etat est mort, chacun fait ce qu’il veut. Et notre pays est ainsi devenu la risée des autres pays africains. Quand je pense que je suis un produit de l’école républicaine congolaise, à une époque où le Congo avait une République, une école. Mes parents n’avaient pas de moyens, sans cela je ne serais jamais allé au collège et connu le parcours que j’ai eu. Eux, envoient leurs enfants étudier à l’étranger, donc ça leur est égal…
C’est pour toutes ces raisons qu’aujourd’hui vous soutenez la candidature du General Mokoko. Pensez-vous que l’heure de l’alternance est venue, qu’elle soit possible ?
Aujourd’hui, malgré mon exil, j’apporte tout mon soutien au peuple congolais, en soutenant l’opposition républicaine. Il ne faut pas se le cacher, je veux jouer un rôle politique dans mon pays. Si je ne peux pas être candidat aujourd’hui, je sais que je peux apporter mon expérience, mon expertise à mon pays. Parce que j’ai vu des choses pendant que j’étais moi-même aux affaires. Je veux jouer un rôle politique si l’occasion m’en est donnée. Si je reviens, il faut que je montre à mes compatriotes ce qu’on peut faire, et que ce pays peut réussir, il suffit d’avoir des hommes et des femmes compétentes. Il faut remettre la compétence au service de notre pays, et ne pas laisser la médiocrité s’installer. Ce qui passe par trois priorités : premièrement, rétablir l’Etat dans ses missions régaliennes, c’est-à-dire lutter contre la corruption, la médiocrité, remettre la compétence au service du pays; deuxièmement, il faut s’attacher à la jeunesse, le problème-clé, nous avons trois générations sacrifiées à cause de cette politique, sans aucune perspective. Ceux qui ont la chance de quitter le pays, font de petits boulots de gardiens par-ci, par là. Quand ils ont des diplômes, ils s’en sortent un peu mieux, mais tous ne demandent qu’à rentrer. Sauf qu’aujourd’hui, les conditions de leur retour ne sont pas assurées. Même quand des jeunes ont de brillantes idées, ils sont avalés par la famille présidentielle. Il n’y a pas intérêt à créer, à innover dans ces conditions.
La diaspora justement, était, elle, mobilisée aujourd’hui ? Porte-t-elle également cette soif de changement ?
La diaspora est très mobilisée. Pas seulement en France, mais également aux Etats-Unis, au Canada, en Belgique… Elle n’attend que l’opportunité de participer au développement de son pays. Elle n’est pas là à tendre la main pour gratter des sous. On ne va pas retourner dans le marxisme-léninisme des années Sassou. Après tout, c’est le nom du parti au pouvoir, parti du travail. Mais l’heure est venue d’aller vers une économie libérale avec un retour de l’Etat sur ses mission régaliennes. Et l’Etat a le devoir de protéger tous ceux qui entreprennent. Trouver les moyens pour les aider à se financer. On a beaucoup d’idées. Parce que j’avais déjà créé une association qui venait en aide aux jeunes, Téléma, qui veut dire « Lève-toi ».
Et l’heure est venue pour le Congo de « se lever » ? Peut-il le faire seul ? Sachant que la communauté internationale est particulièrement silencieuse sur ce qui se passe dans le pays ?
Je suis justement étonné par ce silence assourdissant. Je me pose des questions. Comment ce pays où il y a encore quelques mois, en octobre dernier, l’armée a tiré sur la jeunesse, personne n’en parle pas, ni ne condamne. Ni les principaux médias, ni les grandes puissances. Il y a comme une omerta et c’est choquant, notamment de la part d’un pays comme la France, qui nous enseigne les principes des droits de l’Homme et de la liberté de la presse. En ce qui concerne les Etats-Unis, je peux dire que l’ambassadrice à Brazzaville est très mobilisée. En revanche, si le discours de François Hollande à Dakar, répété à Cotonou, a suscité beaucoup d’espoir, depuis, un mot a tout fait basculer.
Vous évoquez ses décélérations sur « le droit » de Sassou N’Guesso à organiser un référendum pour modifier la Constitution et se maintenir au pouvoir ?
Oui, exactement. La diaspora s’est insurgée, déclarant : « Mr Hollande vous nous trahissez ! » Nous ; nous nous souvenons du discours de la Baule de Mitterrand, qui a bousculé tous ses pays et les a amené vers le processus démocratique. Nous pensions qu’Hollande était un hériter de Mitterrand. Il est difficile d’expliquer aux jeunes que ce n’’est qu’un écart de langage. Nous avons eu depuis un communiqué du PS encourageant, de l’UE, mais nous attendons que la France s’engage réellement, pas en faveur d’une personne, mais pour le Congo, car elle a tout à gagner dans un pays qui fonctionne normalement. Alors quand, aujourd’hui, on me parle des intérêts français, je peux vous dire que cela fait bien longtemps que les Français n’obtiennent plus aucun contrat dans le BTP, ce sont les Chinois. Alors, on me parle du secteur pétrolier. Si c’est le cas, c’est louche. Ce n’est clairement pas dans l’intérêt de la France de soutenir certains pions, cédant à ces personnes et lobbies économiques. La France doit exister, défendre ses intérêts, c’est légitime, mais de manière officielle, et à travers des appels d’offre.
Craignez-vous des fraudes et violences en marge du scrutin ?
Nous avons encore de l’espoir. Parce que le peuple congolais en a marre de ce pouvoir et de ce système. Le Général Mokoko incarne ce changement. Nous voulons le changement et nous allons nous battre avec nos moyens. Même si lui a des milices, des mercenaires, qu’il a envoyé se faire former en Israël sous prétexte de lutter contre le terrorisme. Tout le monde rendra des comptes tôt ou tard.