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France-Algérie : entre tensions et intérêts

Les relations franco-algériennes traversent une nouvelle crise majeure, attisée par l’extrême droite française. Au-delà de leur histoire complexe, des intérêts économiques forts les unissent. En cas de rupture, qui en paierait le prix : la France ou l’Algérie ?

Par Marwa Sid Ahmed, à Alger

Depuis plusieurs décennies, l’Algérie et la France vivent au rythme de tensions alimentées par différents acteurs de la scène diplomatique des deux pays. Au-delà d’une histoire complexe et d’une actualité tendue, des relations économiques lient les deux nations.

Les échanges commerciaux sont estimés à 7 milliards d’euros par an, dans les secteurs des hydrocarbures, des infrastructures et des télécommunications. En 2022, les échanges commerciaux ont marqué un excédent en faveur de l’Algérie de 900 millions d’euros, selon le Ministère du Commerce algérien et des Douanes françaises. La France a investi plus de 3 milliards d’euros et représente l’un des premiers investisseurs étrangers en Algérie.

Les exportations algériennes, évaluées à 4,2 milliards d’euros, sont dominées à 80 % par les hydrocarbures (environ 3,4 milliards d’euros), suivis des produits chimiques (10 %), agricoles, textiles et manufacturés. Les importations depuis la France, estimées à 3,3 milliards d’euros, concernent les machines industrielles (30 %), les produits pharmaceutiques (15 %), l’agroalimentaire (10 %), l’automobile (10 %) et les services technologiques. La France demeure un partenaire stratégique, représentant 10 % du commerce extérieur algérien, contre moins de 1 % pour la France, d’après l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) et les rapports sur le commerce extérieur de la Banque d’Algérie.

Pour le moment, les échanges n’ont baissé globalement que de 4,3 %, et la France reste fortement présente à travers ses entreprises

En examinant les différents rapports de la Chambre Algérienne de Commerce et d’Industrie (CACI), environ 1 200 entreprises algériennes exportent vers la France, dont 70 % sont des PME et TPE, tandis que plus de 400 entreprises françaises sont implantées en Algérie, et produisent dans les secteurs de l’énergie, des services et de l’agroalimentaire. Le secteur des hydrocarbures, dominé par une vingtaine de grandes entreprises algériennes, reste un pilier des exportations. Ces échanges bilatéraux soutiennent plus de 50 000 emplois en Algérie.

De nombreux témoignages d’entrepreneurs confirment l’impact de ces échanges, comme un exportateur de dattes pour qui la France représente 30 % de son chiffre d’affaires, ou une entreprise française des technologies de l’information pour laquelle l’Algérie pèse 15 % de son activité internationale.

Même si le climat des affaires semble favorable, les récentes tensions ont conduit l’Algérie à réduire la présence économique française en excluant des entreprises françaises des appels d’offres pour l’importation du blé, au profit de fournisseurs russes et d’autres partenaires. Il ne s’agit pas seulement d’une volonté de diversification, mais bien d’une démarche souveraine affirmée par l’Algérie.

Adel Abderezak, enseignant universitaire en économie en Algérie, nuance toutefois l’impact de ces tensions : « Pour le moment, les échanges n’ont baissé globalement que de 4,3 %, et la France reste fortement présente à travers ses entreprises, notamment dans les investissements lourds du secteur des hydrocarbures au Sahara algérien (Total), dans l’industrie pharmaceutique via des partenariats (Aventis, Sanofi), ainsi que dans l’agroalimentaire et le secteur financier et bancaire (Natixis, Société Générale, BNP Paribas) », explique-t-il. Il souligne également que « plus de 450 entreprises françaises sont bien implantées et maîtrisent le marché algérien et ses paramètres politico-économiques. Les partenariats avec les secteurs public et privé demeurent significatifs, malgré les contraintes juridiques et les incertitudes politiques en Algérie. »

L’Italie détrône la France comme premier fournisseur de l’UE en Algérie

En attendant, d’autres partenariats se développent. Avec l’Italie notamment. En visite à Alger, le vice-président du Conseil des ministres italien et ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a souligné l’importance du partenariat historique entre l’Algérie et l’Italie, notamment dans le domaine énergétique. Grâce à l’accord ENI-Sonatrach d’avril 2022, l’Algérie est devenue le principal fournisseur de gaz de l’Italie, couvrant 39 % de ses importations. Les deux pays renforcent aussi leur coopération dans les énergies renouvelables, avec le projet SoutH2Corridor.

Au-delà de l’énergie, l’Italie investit fortement en Algérie, notamment dans l’industrie et l’agriculture. Pour rappel, l’usine Fiat à Oran, inaugurée en 2023, marque un tournant pour le secteur manufacturier. En agriculture, le groupe italien Bonifiche Ferrarisi investit 420 millions de dollars dans un projet de 36 000 hectares à Timimoun, créant 6 700 emplois et soutenant la production locale. Le pays ambitionne d’augmenter les surfaces cultivées à 500 000 hectares dans le Sud pour répondre aux besoins nationaux et atteindre l’autosuffisance.

Face à ces dynamiques, Adel Abderezak, spécialiste des relations économiques internationales et auteur d’un ouvrage sur l’Algérie et la Chine, observe : « l’Italie détrône la France comme premier fournisseur de l’UE en Algérie. Il n’y a pas de repositionnement stratégique, mais plutôt une inflexion conjoncturelle. Elle deviendra stratégique quand l’Algérie décidera de rompre le cordon ombilical historique avec la France et se projeter dans des scénarios géopolitiques en rupture avec le poids économico-politique de la France en Algérie encore structurel.» ajoute-il.

 Une redéfinition progressive des partenariats internationaux de l’Algérie

Par ailleurs, l’Algérie s’apprête à lancer un projet agricole ambitieux axé sur la plantation d’arganiers dans plusieurs wilayas. Annoncé par le ministre de l’Agriculture, Mohamed Abdelhafid Henni, ce projet vise à diversifier l’économie et à valoriser les ressources naturelles locales. Cette initiative s’appuie sur un partenariat stratégique entre le gouvernement et une entreprise algéro-italienne spécialisée dans la production de plants d’arganier. Grâce aux technologies modernes, l’Algérie compte produire des quantités suffisantes pour structurer une filière économique autour de l’huile d’argan. Au-delà de l’aspect agricole, cette importante initiative s’inscrit également dans une dynamique de repositionnement des alliances commerciales du pays. Comme le souligne l’expert algérien : « Pour le moment, l’Algérie peut bouder les flux commerciaux français en recherchant des échanges privilégiés avec les Italiens, les Espagnols et les Chinois. Mais elle ne peut tourner complètement le dos aux flux français, compte tenu des chaînes de dépendance et des jeux d’intérêts stratégiques avec les élites gouvernantes. »

Ce projet agricole illustre donc non seulement une volonté de développement économique dans une région hautement stratégique, mais aussi une redéfinition progressive des partenariats internationaux de l’Algérie.

Pour l’Algérie, la perte de la France comme partenaire commercial serait notable, mais elle pourrait rediriger ses exportations d’hydrocarbures vers d’autres marchés…

Une rupture des relations économiques entre l’Algérie et la France aurait des conséquences significatives pour les deux nations, mais l’impact serait plus prononcé pour la France. En 2023, les échanges commerciaux bilatéraux ont atteint un niveau record de 11,8 milliards d’euros, selon les données de la Direction générale du Trésor français, l’Algérie se positionnant comme le 21ᵉ partenaire commercial de la France.

Les exportations françaises vers l’Algérie ont totalisé 5,5 milliards d’euros, tandis que les importations, principalement des hydrocarbures, ont atteint 6,3 milliards d’euros, toujours selon le rapport de la Direction générale du Trésor français.

La France est le deuxième fournisseur de l’Algérie, derrière la Chine, et le troisième client de ce pays. Une rupture affecterait les entreprises françaises, notamment les PME, qui perdraient un marché clé.

De plus, des secteurs comme l’agroalimentaire seraient touchés, l’Algérie ayant déjà exclu la France de ses appels d’offres pour l’importation de blé en raison de tensions diplomatiques.

Pour l’Algérie, la perte de la France comme partenaire commercial serait notable, mais elle pourrait rediriger ses exportations d’hydrocarbures vers d’autres marchés, notamment en Asie ou en Afrique. Cependant, cette réorientation pourrait nécessiter du temps et des ajustements logistiques. En somme, bien que les deux pays subiraient des pertes, la France pourrait être la plus affectée en raison de sa dépendance aux marchés algériens pour certaines exportations.

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