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Docteur Paul Kananura, président de l’Institut Mandela à Paris

« Le terrorisme perturbe les stratégies d’émergence économique »

Les pays africains sont fragilisés par le terrorisme à tout point de vue, aussi bien humain que vis-à-vis des ressources. Docteur Paul Kananura, président de l’Institut Mandela à Paris, revient pour ANA sur l’impact du terrorisme sur l’économie des pays d’Afrique.

Entretien

Quelle est la tendance actuelle économiquement parlant dans les pays d’Afrique ?

En matière économique, la majorité des pays africains est sur une trajectoire ascendante avec un rythme de croissance dépassant 5% annuellement. Parler de croissance à deux chiffres et d’émergence, qui est devenue un slogan politique moins qu’un projet de société, sans parler des fondamentaux de la sécurité est une diversion pour endormir les peuples. Avec deux axes djihadistes, de la Mauritanie (AQMI) à la Somalie (Shebab) et du Nigeria (Boko Haram) en Libye (Etat islamique), le continent est divisé en quatre parties. Dans cette configuration géopolitique, les chanteurs de l’émergence de l’Afrique se basent sur quoi ?

 

Avez-vous des chiffres, taux de croissance, PIB…

En Afrique, les chiffres n’expriment pas la réalité économique et sociale. Nous avons des taux de croissance très élevés ; mais cette croissance exceptionnelle ne crée pas d’emploi et n’améliore pas les conditions de vie d’un grand nombre. L’équation à résoudre est la suivante : dans une dynamique de croissance africaine sans emploi, comment promouvoir et concilier l’employabilité et une sécurité durable ? Nous touchons à l’essentiel : la création de richesses pour diminuer les inégalités afin de prévenir les risques sécuritaires.

 

Quels pays ou zones les plus touchés par le terrorisme ont vu leur économie s’affaisser ?

Il s’agit d’une question à laquelle il est difficile de répondre diplomatiquement, car il n’y a pas d’effondrement de l’économie à l’exception de la Somalie, du Mali et dans une moindre mesure, la RCA. Pour les zones, ce sont le Sahel et le Maghreb qui sont les plus concernés. Les pays sont touchés variablement dans le domaine touristique. Malgré une croissance évaluée entre 5 et 8% pour l’année 2016 dans ces deux zones, les risques d’un ralentissement ne sont pas à écarter. Le Nigeria, le Cameroun, le Niger, le Tchad, le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, l’Algérie, l’Égypte, la Tunisie, le Kenya, la Somalie, pour ne citer que ces pays, ont été victimes d’attentats revendiqués par des islamistes. Les informations montrent que Daech cherche à frapper le Sénégal en 2016 et le Bénin en 2017. Une situation qui sème le chaos en Afrique et pèse sur le développement des pays africains, car le coût de la guerre contre le terrorisme est amputé sur les budgets de développement. Le terrorisme réduit l’afflux de capitaux étrangers en provoquant une baisse de la fréquentation touristique et du volume des investissements directs étrangers.

 

Avez-vous quelques chiffres qui témoignent de la baisse d’activités touristiques dans ces régions ?

Les attentats de Port El Kantaoui et du Musée de Bardo en Tunisie ont conduit à 80% d’annulations de voyage sur la destination, un impact chiffré à 800 millions d’euros minimum. Les attaques du centre commercial Westgate et de l’Université de Garissa au Kenya par les djihadistes Shebab ont eu pour conséquence directe la désertion des parcs animaliers de ce pays, connu pour sa belle faune. Promu à une croissance soutenue, le Kenya a revu ses estimations à la baisse. Les attaques de la station balnéaire de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire ainsi que celles des hôtels à Bamako et à Ouagadougou ont provoqué une diminution sensible des touristes avec des conséquences non encore chiffrées. Le tourisme étant l’un des vecteurs de la croissance économique par l’entrée des devises étrangères, cet impact se révèle très lourd pour l’économie des pays et le climat des affaires. Les estimations économétriques et macroéconomiques montrent que les économies du Kenya et de la Tunisie vont perdre de 1 à 2 points de croissance suite à la baisse de la fréquentation touristique.

 

Quels autres domaines sont également touchés par ces problèmes économiques ? 

Chaque agression terroriste crée un climat de terreur et de psychose. Les activités professionnelles, les loisirs et les déplacements sont plombés. Les attaques terroristes visent souvent des étrangers et principalement des Occidentaux. Les pays victimes d’attentats terroristes sont d’office mis sur la liste rouge des destinations déconseillées. La destruction des infrastructures et la perte du capital humain donnent un bilan extrêmement négatif : immeubles détruits, pertes d’emploi et de petits commerces, coût des opérations de sauvetage, de déblaiement et de reconstruction, etc. Les structures économiques des pays concernés s’en trouvent fragilisées et la croissance est ralentie. Les domaines touristiques et d’investissement étrangers sont les plus concernés. L’environnement sécuritaire et les affaires vont de pair. Aucun investisseur ne souhaite investir dans un pays non stable. C’est pour cela que l’Institut Mandela incite les pays africains à se positionner clairement sur les fondamentaux de la sécurité dans une dynamique de développement. Le terrorisme et les conflits sont des facteurs perturbateurs des stratégies étatiques de développement et d’émergence économique. Par exemple, Boko Haram au Nigeria, à la frontière du Cameroun, du Tchad et du Niger, demeure une source d’insécurité et de menace dans la sous-région charnière d’Afrique Occidentale et Centrale. Dans cette dynamique, comment penser la croissance durable dans une perspective de stabilité structurelle ? Comment transformer la formidable croissance exceptionnelle à une stratégie d’émergence régionale ? Comment sécuriser l’investissement et développer une stratégie efficace de partenariat public-privé ?

 

La lutte contre le terrorisme détermine ainsi des enjeux politiques, socio-économiques et sécuritaires. Dans cette optique l’Institut Mandela accompagne les décideurs politiques dans une réflexion stratégique et doctrinale pour construire une politique de sécurité afin d’adopter de nouvelles stratégies pour s’adapter à une menace terroriste en pleine évolution.


 

Propos recueillis par Darine Habchi

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