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Côte d’Ivoire : Le dur envol du programme de logements sociaux

Partie intégrante du programme social de Président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, le programme présidentiel de logements sociaux tarde à prendre son envol, au point que certains observateurs indiquent qu’il est dans un coma.

« Si dans une semaine rien n’est fait, ce sera l’arrêt total ! », entrevoit Soro Doté, président de la Confédération des PME et PMI du secteur du bâtiment et des travaux publics de Côte d’Ivoire. L’homme est amer et crie son désarroi face à une initiative saluée au départ par tous les Ivoiriens. Des concitoyens d’Alassane Ouattara, initiateur du programme de logements sociaux dont il a fait une promesse électorale, pensent que les maisons devraient être habitées avant paiement.

Avant d’envisager l’occupation, il faut bien construire et c’est là que toute l’équation se pose. Le programme et les travaux sont à l’arrêt comme constaté par ANA. Vingt (20) petites et moyennes entreprises du secteur du bâtiment ont été agréées dans le cadre de ce projet et 180 choisies comme constructeurs par l’Etat. Le gouvernement ivoirien voulait, par cette approche, résorber le chômage des jeunes.

Avec en moyenne 100 travailleurs sur les chantiers, le compte est bon ! Malheureusement, selon Soro Doté, « il n’y a plus d’avancée dans le programme. Les banques ne veulent pas accompagner le projet. Elles estiment les risques trop grands et demandent par conséquent une garantie de l’Etat. Elles ont ralenti le préfinancement des travaux ».

Réduire le risque

Le président de la Confédération ivoirienne des PME et PMI du secteur des BTP estime à 600 milliards de FCFA le montant possible de la garantie que l’Etat devrait apporter aux banques afin de les rassurer. C’est que très peu d’entreprises du secteur manœuvrent avec un budget qui atteint 100 millions de FCFA. Pour les 46 promoteurs agréés par l’Etat pour ce projet, chacun devrait, sur 5 ans, fournir 3 000 logements prêts à être habités.

« Nous n’avons pas de garantie, les partenaires potentiels qui viennent nous voir, et qui voudraient bien nous accompagner, estiment que l’Attestation de construction définitive (ACD) sur les terrains n’est pas une garantie suffisante », poursuit Soro Doté. Pour les promoteurs immobiliers ivoiriens, la solution : « la mise en place d’un fonds de garantie immobilier pour le programme de logements sociaux », soutient Soro Doté.

Le ministre de l’Habitat et du logement social, Gnamien Konan, a sa solution. Au sortir de la réunion tenue à son cabinet, ce mardi 26 avril 2016, sa position est sans appel : le promoteur incapable de trouver un financement extérieur pour achever ses travaux sera purement et simplement retiré de la liste des promoteurs agréés.

Cette décision, les promoteurs des PME et PMI du secteur la rejettent. « Nous ne sommes pas plus nantis que l’Etat », reconnaît Soro Doté dont la banque a gelé le prêt de 100 millions de FCFA dont il avait bénéficié dans le cadre de ce projet. « Avec 2 milliards de FCFA par promoteur comme garantie, nous sommes capables de livrer 400 logements l’an pour les maisons de 5 millions de FCFA (2 à 3 pièces).

Augmentation du nombre de logements sans financement

Alassane Ouattara tient à son projet comme à la prunelle de ses yeux. En dépit des chantiers à l’arrêt, il a augmenté le nombre de logements à construire, passant de 60 000 à 150 000 logements. Sans un soutien financier conséquent de l’Etat, maître d’ouvrage du projet.

Le logement social fut lancé par le premier Président ivoirien Félix Houphouët-Boigny au lendemain de l’indépendance, en 1960. La Société ivoirienne de construction et de gestion immobilière (SICOGI) est créée le 22 mars 1962. La SOGEFIHA (Société de gestion financière de l’Habitat) contribue, pendant 20 ans, à la mise en œuvre de la politique du logement des Ivoiriens économiquement faibles.

Quoique le Smig ait augmenté pour se situer à 60 000 FCFA, le loyer moyen à Abidjan, dans des quartiers populaires est de 70 000 FCFA. Le studio à Yopougon (Ouest d’Abidjan, plus grande commune du pays) se situe entre 40 et 50 000 FCFA. Le déficit de logement, selon le gouvernement, est de 400 000 logements dans le pays. Aujourd’hui, 80% des chantiers du programme de logements sociaux est concentré sur Abidjan qui a le tiers des 22 671 331 habitants.

A la Société ivoirienne de développement des infrastructures (SIDI), Rajesh Bédi son directeur des Opérations indique que « nous participons au programme de logements sociaux mais pour l’heure, les maisons témoins sont pour le standing et le haut standing à Grand –Bassam ».

Annoncés pour janvier 2016, le début de réalisation des 9 000 appartements sociaux sur 300 ha n’est toujours pas effectif. 1250 milliards de FCFA seront consacrés à ce projet dont l’effectivité dépendra de certains facteurs, selon Rajesh Bédi. « Nous attendons les exonérations fiscales pour réduire les prix des maisons, même si nous reconnaissons que le gouvernement fait beaucoup », soutient-il.

L’autre difficulté réside dans le prix d’acquisition. L’acquéreur doit débourser 10% du montant de la maison. Selon UN Habitat, en 2001, 44% de la population ivoirienne était citadine. Il faudra à l’acquéreur payer entre 5 millions de FCFA et 10 millions de FCFA pour le logement social, entre 10 millions et 15 millions de FCFA pour le logement économique et une habitation de moyen standing, et plus de 25 millions de FCFA pour le haut standing. Au centre de facilitation, il lui faudra d’abord payer 30 000 FCFA pour les formalités d’usage avant qu’il ne soit référé vers un opérateur immobilier.

Si le logement social a intéressé les Ivoiriens, ils sont nombreux à avoir déchanté. C’est le cas pour cet officier de l’armée qui, sous couvert de l’anonymat, dit mener des démarches pour la rétrocession de son million de FCFA payé dans cette affaire. Comme lui, Jean Baptiste Yéo, comptable, dit vouloir se retirer du projet. « J’ai un ami qui mène les démarches pour reprendre son argent. Je vais voir le délai et me préparer à reprendre mon argent. Depuis 2013, je n’ai plus aucune suite », fait-il savoir.

Face à la léthargie constatée, la Fédération ivoirienne des consommateurs « Le Réveil » a transmis en exclusivité à ANA, une déclaration de presse relative au sujet. La Fédération, tout en demandant le bilan exact au ministre de l’Habitat et du logement social, Gnamien Konan, déclare qu’il y a 60 000 souscripteurs qui attendent leurs maisons.

« Mais, malheureusement, depuis le démarrage de ce programme jusqu’à ce jour, aucun acquéreur n’a pu rentrer en possession de sa maison et ce qui est décevant, c’est que les conditions d’acquisition données par le centre de facilitation, après les inscriptions ont emmené beaucoup de demandeurs à abandonner, car l’œuvre n’étant plus sociale, n’était plus à leur portée », dénonce Soumahoro Manssa, le président de cette fédération. Il se dresse contre l’appel de Gnamien Konan aux Ivoiriens à poursuivre les souscriptions dans ce flou sans maison.

Grandes attentes et solution

Le directeur des opérations de la Société ivoirienne de développement des infrastructures (SIDI), estime que si l’avancée de ce projet « dépend des banques ; qu’elles changent », recommande-t-il tout en reconnaissant que « les banques ivoiriennes sont proactives ». SIDI est un groupe tenu par des indiens mais de droit ivoirien et leurs maisons témoins sur la route de Grand Bassam attestent de leur surface financière confortable. Toute chose qui n’est pas le cas des PME ivoiriennes. Toutefois, Amaos Group de Kouassi Koffi Félix qui doit livrer 3 000 logements a pu tisser un partenariat avec un partenaire chinois et propose une « nouvelle technologie », selon lui.

Il entend promouvoir « le prêt à habiter plus économique, solide et durable sur 200 ans », et n’utilise pas de briques traditionnelles. Kouassi Koffi Félix dit pouvoir livrer une maison basse de 3 à 5 pièces en 15 jours et un duplex de 14 pièces en 25 jours. Sa technologie chinoise permettrait de faire une économie de 40% sur le coût du logement. « Il faut passer de l’archaïque au moderne », recommande-t-il.

Il dit pouvoir produire entre 40 à 100.000 logements avec 10 000 travailleurs formés. Evoquant l’engouement autour de ce projet, il reconnaît « qu’il y a eu engouement ». Et de poursuivre : « j’ai bénéficié de l’appui de l’Etat en termes d’avantages fiscaux et de terrains viabilisés. Seulement, avec le système ancien à base de briques, aujourd’hui, si un operateur n’a pas de soutien extérieur, on ne peut résoudre la problématique du logement », estime-t-il.

La sempiternelle question de la garantie revient chez les PME tout comme les grandes sociétés. « Il faut rentrer dans l’industrialisation du logement. Si l’Etat met des parcelles viabilisées à ma disposition, je loge 1 000 personnes », soutient-il. Néanmoins, l’apport de l’Etat est toujours réclamé. « L’Etat doit mettre les terrains à notre disposition avec hypothèque pour rassurer les banques », plaide-t-il.

En face, le gouvernement, par la voix de Nialé Kaba, ministre du Plan et du Développement reconnaît que « le défi est grand ; financer les PME est une entreprise difficile, car ce sont les secteurs les plus risqués dans le financement », estime-t-elle.

Elle admet tout de même que « le promoteur a besoin d’être soutenu, surtout dans nos pays où les PME sont l’essentiel de notre tissu d’entreprises ». Nialé Kaba soutient que « aujourd’hui, les banques ont fait beaucoup d’efforts dans le financement des PME ».

L’autre solution pour faciliter la mise en œuvre du programme de logement social des Ivoiriens, la location-vente. « Elle permettra de loger très rapidement les ivoiriens qui n’ont pas d’argent pour payer comptant des maisons », avancent tous les promoteurs.

En attendant de trouver le meilleur mécanisme pour bien loger les Ivoiriens à moindre coût, ceux-ci broient du noir avec les loyers insoutenables dans le pays. La décision de plafonnement de la caution prise par le gouvernement n’a jamais été appliquée. Au grand dam des Ivoiriens. Le chacun chez soi n’est donc pas pour demain.


 

Par Issiaka N’Guessan

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