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Sommet Italie-Afrique : Rome et Bruxelles à la recherche d’un nouveau pacte avec le continent

Le 20 juin 2025, Rome a accueilli un sommet d’envergure réunissant dirigeants africains, responsables européens et acteurs économiques autour d’un objectif ambitieux : jeter les bases d’une nouvelle coopération euro-africaine à travers le Plan Mattei italien et la stratégie Global Gateway de l’Union européenne. Derrière l’élan diplomatique, les tensions géopolitiques, les attentes africaines et les critiques de la société civile rappellent la complexité des relations entre l’Europe et l’Afrique.

Le cadre prestigieux de la Villa Doria Pamphilj, à Rome, a servi de décor à une rencontre politique d’importance le 20 juin dernier. C’est là que s’est tenu le sommet intitulé « The Mattei Plan for Africa and the Global Gateway: A common effort with the African Continent », coprésidé par la Première ministre italienne Giorgia Meloni et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Cette rencontre marque une étape clé dans le déploiement du Plan Mattei, du nom du fondateur d’Eni, Enrico Mattei, dont l’Italie entend reprendre l’esprit de partenariat avec le continent africain.

Plan Mattei :  Rome ambitionne de s’ériger en interlocuteur privilégié de l’Afrique au sein de l’Union européenne

À travers ce sommet, Rome ambitionne de s’ériger en interlocuteur privilégié de l’Afrique au sein de l’Union européenne, en misant sur une diplomatie du développement axée sur l’investissement, les infrastructures et la coopération énergétique. Le Plan Mattei, lancé en 2024, prend ici une dimension concrète avec l’annonce d’un premier paquet de projets d’une valeur de 1,2 milliard d’euros. Ces initiatives, soutenues par les instruments financiers de la coopération italienne et du Fonds pour le climat, visent quatorze pays africains, parmi lesquels figurent la Côte d’Ivoire, le Kenya, l’Angola ou encore le Sénégal.

Ce volontarisme italien s’inscrit dans une dynamique plus large, celle du Global Gateway, la stratégie européenne lancée en 2021 pour mobiliser jusqu’à 300 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2027, dont 150 milliards sont destinés à l’Afrique. Face à l’influence croissante de la Chine sur le continent, Bruxelles entend proposer une alternative fondée sur des principes de transparence, de durabilité et de partenariat mutuellement bénéfique. C’est donc une convergence politique que les deux dirigeantes ont affichée, à travers un alignement stratégique entre les ambitions nationales de Rome et les priorités continentales de l’UE.

Parmi les projets emblématiques mis en avant figurent la participation au développement du corridor de Lobito, une ligne ferroviaire de 830 kilomètres reliant l’Angola, la République démocratique du Congo et la Zambie, avec des perspectives d’extension jusqu’à la Tanzanie. Cet axe logistique devrait faciliter le transport de minerais stratégiques et de produits agricoles, dans une logique d’intégration régionale. L’Italie investit également dans la connectivité numérique à travers l’interconnexion Blue-Raman, un câble sous-marin à fibre optique destiné à relier l’Europe à l’Afrique de l’Est et au Moyen-Orient. Autre initiative marquante : l’inauguration à Rome, en marge du sommet, d’un centre d’intelligence artificielle pour le développement durable.

« L’investissement seul ne suffit pas »

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Mais au-delà des annonces, les dirigeants africains présents ont rappelé que les défis structurels du continent exigent davantage qu’un simple afflux de capitaux. Le président kényan William Ruto a ainsi souligné que « l’investissement seul ne suffit pas » et dénoncé le poids écrasant de la dette. Il a rappelé que les pays africains doivent parfois payer leurs emprunts « cinq fois plus cher » que les États européens. Une réalité qui mine les marges de manœuvre budgétaires et compromet les perspectives de développement. En réponse, Giorgia Meloni a présenté un programme d’allègement de la dette, incluant la conversion de 235 millions d’euros en projets de développement et la promesse d’une réduction de 50 % de la dette des pays à revenu intermédiaire inférieur.

Ce repositionnement de l’Italie sur la scène africaine ne relève pas uniquement d’une volonté altruiste. Il s’inscrit dans un cadre stratégique clair : réduire l’immigration clandestine vers l’Europe en agissant « à la racine » du phénomène. « Le défi pour nous est que l’Afrique puisse grandir […] en offrant une perspective à ses jeunes », a martelé la cheffe du gouvernement italien. Le slogan « Aidons-les chez eux », souvent repris par la droite italienne, trouve ici une traduction politique, mêlant développement économique et gestion migratoire. Meloni insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une politique de charité, mais d’un partenariat « d’égal à égal », rompant avec une « approche prédatrice » du passé. Une allusion à peine voilée à la France, dont l’influence recule au Sahel.

Une logique opportuniste ?

Cette offensive diplomatique italienne intervient aussi dans un contexte européen tendu, marqué par la montée de l’extrême droite, les tensions budgétaires et la guerre en Ukraine. Rome entend utiliser la carte africaine pour renforcer sa stature géopolitique, notamment à l’approche du sommet Global Gateway prévu à Bruxelles en octobre 2025. Un autre sommet Italie-Afrique est d’ailleurs annoncé sur le continent africain au premier semestre 2026, preuve que l’initiative ne veut pas s’arrêter à une déclaration d’intention.

Mais les critiques ne manquent pas. Plusieurs organisations africaines de la société civile dénoncent une logique opportuniste, où les entreprises italiennes – comme le géant de l’énergie Eni ou le gestionnaire d’infrastructures Terna – sont positionnées pour bénéficier des projets. Le Plan Mattei, selon ces voix, risque de reproduire les schémas néocoloniaux en privilégiant les intérêts économiques transalpins au détriment d’un véritable transfert de souveraineté ou d’expertise locale. L’absence de consultation systématique des sociétés civiles africaines alimente également la méfiance.

L’enthousiasme officiel affiché à Rome ne doit donc pas occulter les interrogations profondes sur la gouvernance des projets, les conditions de leur financement, et la capacité réelle de l’Europe à proposer une alternative crédible et inclusive à la Chine. Si les discours sur le respect, la réciprocité et le développement partagé marquent une rupture rhétorique, la mise en œuvre concrète des promesses constituera le véritable test de crédibilité de ce nouveau partenariat.

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