Zone de libre échange africaine Du rêve à la réalité ?
Le 21 mars dernier, 44 chefs d’État réunis à Kigali au sommet de l’Union africaine ont signé l’accord de création de la zone de libre échange africaine. Un immense chantier qui pose de nombreuses questions.
Par Simon Vermot Desroches
1,2 milliard de consommateurs répartis dans 55 pays sans barrière douanière et un PIB cumulé qui culmine à 2500 milliards de dollars. Le projet de zone de libre-échange africain deviendrait, s’il aboutissait, le plus grand marché commun du monde. Aujourd’hui, l’accord est signé et met en route un immense chantier qui devrait aboutir en 2028. Les objectifs sont simples. D’abord en mettant fin aux barrières douanières, le marché retrouve « son origine », loin des frontières fixées par les puissances coloniales. De fait, les responsables politiques espèrent une augmentation des transferts de marchandises entre pays d’Afrique. Aujourd’hui seuls 16 % du commerce se fait entre pays du continent. Ce marché peut être également un formidable attrait pour les grands groupes industriels internationaux, notamment chinois et européens. Une manière de diversifier l’économie africaine actuelle qui consiste en grande partie, à exporter des matières premières et à importer des produits manufacturés. Cette zone de libre-échange ne pourra se faire sans investissements importants en terme d’infrastructures (routes, ports, aéroports, électricité) et permettrait donc à l’Afrique de devenir un continent connecté. Pour le moment, c’est la cohésion autour de ce grand projet qui pèche car le projet divise. Le Nigéria, première économie du continent, a ainsi refusé de signer cet accord, et se place en première ligne des pays réfractaires au projet.
Une zone de libre échange présente des risques
Premier point de divergence : les économies africaines se ressemblent. Le Ghana aura ainsi des difficultés à vendre son cacao à ses voisins également producteurs, tout comme le Burkina Faso son coton, mais tout deux importent des engrais et des outils pour leurs cultures. Il faudra donc diversifier l’économie africaine et la rendre hétérogène. Un premier chantier de taille. Entre pays de capital et pays industriel, main-d’œuvre qualifiée ou non, la zone de libre-échange devrait rebattre les cartes de l’économie africaine. Ensuite, il sera nécessaire de mettre en place des réglementations pour lutter contre le dumping, qu’il soit fiscal, à l’image de l’Irlande qui profite de taux d’imposition des entreprises très bas par rapport aux autres pays de l’Union européenne, ou social, comme la Chine qui a baissé les cotisations sociales de ses travailleurs pour être plus attractive lors de son essor. Ce dumping pourra également être environnemental, et causerait un attroupement d’entreprises polluantes au même endroit. Un travail de législation important attend donc les gouvernants africains. De même, les industries naissantes de certains pays du continent feront face à des industries déjà implantées et performantes. Comment de petits pays pourront-ils lutter contre la production automobile du Maroc ou de l’Afrique du Sud par exemple ? Cependant si la main d’œuvre est moins chère dans ces petits pays, pourquoi ne pas délocaliser la production chez eux ? Le libre échange aura ses gagnants et ses perdants. Enfin la fin de la taxe douanière, une ressource importante pour certains pays, notamment ceux profitant d’un port et qui desservent des pays totalement enclavés, pourrait constituer un autre frein aux négociations.
Le débat est donc ouvert sur la création du plus grand marché du monde. Un chantier immense, qui demandera temps et réflexion au risque de détruire les efforts consentis par certains pays depuis des années.