Yaw Kissi : “Vous voulez changer l’Afrique ? Montez une usine, pas un podcast !”
Dans cette tribune incisive, Yaw Kissi dénonce la glorification du discours au détriment de l’action concrète. Selon lui, l’avenir de l’Afrique se joue dans les usines, pas dans les studios d’enregistrement : seule l’industrialisation permettra au continent de sortir du cycle de dépendance.

Par Yaw Kissi*
Vous voulez changer l’Afrique ? Ouvrez une usine, pas un podcast!
La véritable révolution, c’est la propriété. Pas les likes.
Tout le monde veut « inspirer » l’Afrique. Peu veulent la construire.
L’Afrique n’a pas besoin de plus de contenu. L’Afrique a besoin de capacités
Ces dernières années, une vague de créateurs, d’influenceurs et de conférenciers motivationnels a envahi l’espace numérique, prônant l’autonomisation de l’Afrique sur des plateformes conçues dans la Silicon Valley, hébergées sur des serveurs en Europe, et financées par des publicités venues de l’Ouest. Tout le monde a un message. Mais voici la vérité :
L’Afrique n’a pas besoin de plus de contenu.
L’Afrique a besoin de capacités.
La voix la plus puissante du continent aujourd’hui ? Elle n’est pas derrière un micro, elle est derrière une machine. C’est le bourdonnement d’un métier à tisser en Éthiopie, le grondement d’un transformateur de cacao au Ghana, l’étincelle d’une chaîne de montage de véhicules électriques au Rwanda. La propriété de la production l’emporte sur la propriété de l’opinion. À chaque fois.
Parce que voici ce que l’algorithme ne vous dira pas : les likes ne font pas circuler le capital. Les retweets ne réduisent pas les importations. Les hashtags ne nous fourniront pas des médicaments lorsque les chaînes d’approvisionnement mondiales seront bloquées. Ce qui le fera ? Des usines locales. Une propriété locale. Des solutions locales.
Demandez à la Corée du Sud comment elle est passée d’un pays ravagé par la guerre dans les années 1950 à une puissance économique mondiale : l’industrialisation. Demandez à l’Allemagne pourquoi elle a mieux résisté au COVID que la plupart des autres pays : la force de sa production nationale. Demandez à la Chine ce qui lui a donné du poids géopolitique : la production, pas les podcasts.
La véritable autonomisation, ce ne sont pas des citations motivationnelles. Ce sont des machines sur les lignes de production. Ce sont des emplois pour les jeunes locaux. C’est le contrôle de nos chaînes de valeur, pas seulement de nos récits
L’Afrique ne représente que 3 % de la production manufacturière mondiale. Ce n’est pas une statistique. C’est une crise.
Tant que nous ne pourrons pas transformer le coton brut en vêtements finis, transformer le cacao en chocolat, et assembler nos propres appareils électroniques, nous resterons prisonniers d’un cycle de dépendance, applaudissant la souveraineté tout en important même nos biens les plus essentiels.
La véritable autonomisation, ce ne sont pas des citations motivationnelles. Ce sont des machines sur les lignes de production. Ce sont des emplois pour les jeunes locaux. C’est le contrôle de nos chaînes de valeur, pas seulement de nos récits.
Oui, les conversations comptent. Mais sans usines, ce ne sont que du bruit. On ne peut pas industrialiser un continent avec TikTok. On ne peut pas « construire en public » si l’on ne construit rien du tout.
Vous dites vouloir changer l’Afrique ?
Alors arrêtez de parler. Et commencez à construire.
*Basé à Accra, Yaw Kissi est consultant en politiques économiques et auteur spécialisé sur les enjeux de transformation structurelle en Afrique. Il s’exprime régulièrement sur les thèmes de la souveraineté industrielle et des stratégies de développement.