Le Forum économique mondial (FEM) s’ouvre cet hiver à la station des Alpes suisses de Davos, comme de coutume avant la pandémie de Covid 19. Des personnalités africaines se sont une nouvelle fois déplacées, pour des négociations bilatérales, mais aussi pour poursuivre l’élan du plaidoyer de Macky Sall. Défendre le rang du continent pour prendre enfin place autour de la table des décideurs mondiaux.
Par Mérième Alaoui
Le Forum économique mondial (FEM) se retrouve à Davos, réputée être la ville la plus haute en altitude d’Europe, pour la 53ème édition cet hiver. Annulée en 2021, puis organisée au printemps dernier de façon exceptionnelle, c’est le fondateur et président exécutif du Forum économique mondial, Klaus Schwab, qui a ouvert l’ensemble des manifestations le 16 janvier pour les clôturer le 20 janvier.
“ Il faut reconnaître que le développement économique doit être rendu plus résilient, plus durable et que personne ne doit être laissé pour compte »
Alors que la guerre en Ukraine sévit toujours aux portes de l’Union Européenne, et que les effets du dérèglement climatique se font de plus en plus sentir, le thème du forum « La coopération dans un monde fragmenté », tente de redéfinir les relations économiques dans ce nouvel ordre mondial en pleine mutation. En particulier après la levée des restrictions en Chine. Mais aussi, et surtout, il s’agit d’établir des solutions entre le public et le privé pour relever ces défis. « Nous constatons que les multiples forces politiques, économiques et sociales créent une fragmentation accrue au niveau mondial et national. Pour s’attaquer aux causes profondes de cette érosion de la confiance, nous devons renforcer la coopération entre les gouvernements et les entreprises, en créant les conditions d’une reprise solide et durable. Dans le même temps, il faut reconnaître que le développement économique doit être rendu plus résilient, plus durable et que personne ne doit être laissé pour compte », a déclaré Klaus Schwab.
Cette année, une trentaine de chefs d’État et de gouvernement ont fait le déplacement mais pas de président américain, ni chinois (représenté par le vice-Premier ministre Liu He), ni français, encore moins le Brésilien Lula à peine élu. Sont présents le chancelier allemand Olaf Scholz, le secrétaire-général de l’ONU Antonio Guterres ou celui de l’Otan Jens Stoltenberg, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen entre autres. Comme l’année dernière, le président Volodymyr Zelensky interviendra en visioconférence.
“La singulière diversité des positions africaines à l’égard de ce conflit (en Ukraine) est un indicateur de la place spécifique que le continent tend à occuper dans la configuration politique globale ”
Du côté des décideurs africains, Cyril M. Ramaphosa qui avait confirmé sa présence, a dû annuler à cause d’une grave crise énergétique dans son pays, Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo, Samia Suluhu Hassan, présidente de Tanzanie, Najla Bouden, chef du gouvernement de Tunisie, sont bien arrivés en Suisse. Le Niger est également représenté par son président Mohamed Bazoum… Parmi les temps forts à l’agenda, est programmée une allocution spéciale de Aziz Akhannouch, chef du gouvernement du royaume du Maroc.
Si les annonces officielles sont scrutées par la presse internationale, le Forum est surtout connu pour ses négociations fructueuses en marge des salons feutrés et des conférences. Ainsi, cette édition 2023 est présentée comme celle qui rassemble le plus d’entreprises avec plus de 600 PDG de multinationales.
Pour les décideurs africains, “c’est aussi l’occasion d’éprouver leur capacité de négociation dans un contexte de recomposition géopolitique mondiale, dont on mesure davantage la réalité dans le contexte de la guerre en Ukraine. La singulière diversité des positions africaines à l’égard de ce conflit est un indicateur de la place spécifique que le continent tend à occuper dans la configuration politique globale. Il s’agit désormais pour les dirigeants africains de confirmer cette tendance et de préciser leurs stratégies en vue d’accroître les marges de manœuvre du continent sur la scène internationale, sur les plans diplomatique et économique” analyse Francis Laloupo, journaliste, essayiste, enseignant en géopolitique, chercheur associé à L’IRIS.
“Augmenter la représentation du continent dans les délibérations du G20 permettra une continuité et un engagement plus réactif”
Décideurs ou entrepreneurs africains, tous ont en tête le dernier G20. Et le vibrant plaidoyer de Macky Sall, en sa qualité de président en exercice de l’UA, qui avait appelé à une intégration de l’organisation panafricaine dans ce groupe. Considérant qu’une telle disposition renforcerait la gouvernance économique mondiale. « La présence de l’Afrique en tant que membre permanent par l’intermédiaire de l’Union africaine renforcera le G20. Augmenter la représentation du continent dans les délibérations du G20 permettra une continuité et un engagement plus réactif », avaient appuyé Mohamed Maait, le ministre egyptien des finances, Ken Ofori-Atta, ministre de l’économie du Ghana et Amadou Hott, ministre de l’économie du Sénégal, dans une lettre adressée aux ministres des Finances et Gouverneurs des banques centrales du G20. Une requête qui apparaît à ce jour d’autant plus évidente que l’ensemble des pays du continent représente la 8e plus grande économie du monde. “La France et les Etats-Unis, notamment, ont apporté leur soutien à cette demande africaine” précise Francis Laloupo.
“De tels sommets devraient être considérés comme une opportunité aux pour exprimer et surtout préciser les orientations politiques et économiques du continent”
Davos après le G20, est ainsi le prochain grand rendez-vous qui permet aux Africains de rappeler leur position. Mais “s’il ne faut rien en attendre de spectaculaire pour l’Afrique, le fait qu’elle y soit représentée illustre logiquement sa participation dans les mécanismes de la mondialisation. De tels sommets devraient être considérés comme une opportunité pour les décideurs africains d’ exprimer et surtout préciser les orientations politiques et économiques de leur continent, ainsi que les choix stratégiques qui les sous-tendent” poursuit le journaliste et essayiste.
Une présence africaine qui peut se renforcer grâce à l’agriculture dans ce contexte mondiale de disette. L’une des conférences organisée au FEM n’est-elle pas intitulée “Réaliser le siècle de l’Afrique”, rappelant que le continent est le plus jeune et celui qui croît le plus rapidement. Et qu’il détient 65% des terres arables non cultivées restantes dans le monde, un vaste potentiel d’énergie renouvelable et une abondance de minéraux essentiels à la transition énergétique.
Avant la guerre en Ukraine, l’Egypte par exemple, importait 61 % de son blé de Russie et 23 % d’Ukraine. Il s’agit pour les acteurs privés et représentants politiques africains, d’explorer tous les moyens pour se substituer à cette dépendance.
Lors du dernier Forum en mai dernier, Emmerson Mnangagwa, le président du Zimbabwe avait déjà annoncé d’importants investissements dans le secteur agricole. Comme les autres délégations de pays africains, dont le président rwandais Paul Kagamé, qui avait appelé à une convergence au niveau de l’Union africaine (UA) pour un agenda commun en matière de souveraineté alimentaire.
Aujourd’hui, l’Afrique ne transforme que 20 % des matières premières qu’elle consomme, faute d’infrastructures. Si les échanges interafricains plafonnent à 20%, l’objectif est bien de le porter à 50% d’ici 2030. Davos est un endroit privilégié pour négocier avec des investisseurs du monde entier. Les Africains comptent donc poursuivre leur mission de persuasion pour eux, mais aussi pour l’économie mondiale.