Union africaine, BAD…: l’Afrique renouvelle son top management
L’année 2025 sera marquée par l’élection des présidents de la Commission de l’Union africaine (UA) et de la Banque africaine de développement (BAD). Occasion pour ANA de décrypter cette actualité sous le prisme des profils des candidats et des défis à relever.

Lors de la 38ème session ordinaire du sommet des chefs d’Etat africains, les 15 et 16 février 2025 à Addis-Abeba, en Ethiopie, va choisir le successeur du Tchadien Moussa Faki Mahamat comme président de la Commission de l’UA. Le collège électoral aura le choix entre le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf, le Kényan Raila Odinga et le Malgache Richard Randriamandrato. A l’évidence, jusqu’en 2029, le poste sera tenu par un ressortissant de l’Afrique de l’Est, en vertu du principe de rotation voulu par la réforme des institutions de l’UA en vigueur depuis 2018.
Mahamoud Ali Youssouf, le ministre des affaires étrangères djiboutien depuis 2005, qui, en juillet 2024, déclarait être « le seul candidat capable de faire la passerelle entre les différentes régions de l’Afrique, étant francophone, mais également anglophone et arabophone ». S’il est élu, l’homme de 59 ans, se propose de « faire taire les armes [dans un continent secoué par de multiples crises] ».
L’Afrique doit mobiliser ses propres ressources pour garantir l’indépendance financière de l’Union africaine
Sur sa route, Mahamoud Ali Youssouf va d’abord croiser Raila Odinga, 79 ans, figure emblématique de la politique kényane, panafricain résolu. Rien d’étonnant pour le fils de Jaramogi Oginga Odinga, héros de l’indépendance du Kenya et ardent défenseur du panafricanisme. Avec un parcours marqué, sur la scène nationale, par un combat constant pour la démocratisation du pays et pour l’unité nationale, Raila Odinga propose pour le continent une vision
fondée sur l’unité, l’indépendance économique et la durabilité environnementale pour le continent. Son leitmotiv : « L’Afrique doit mobiliser ses propres ressources pour garantir l’indépendance financière de l’Union africaine ».
Lors de ses récentes visites en Afrique du Nord, il a insisté sur la nécessité de renforcer la coopération intra-africaine et de maximiser les échanges commerciaux grâce à la mise en œuvre
complète de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Le Malgache Richard Randriamandrato, quant à lui, veut « libérer le potentiel économique de l’Afrique ». L’ancien ministre malgache des Affaires étrangères s’engage à « prendre des mesures progressives en vue d’une libéralisation totale du commerce, afin de garantir une croissance économique inclusive dans une Afrique dont le commerce intra-africain est faible (12,6 % seulement de l’ensemble des échanges sur le continent) et accuse un retard considérable par rapport à des régions comme l’Union européenne ». L’économiste et financier malgache voudrait renforcer les blocs économiques régionaux et de réduire l’influence étrangère dans les affaires de sécurité de l’Afrique.
L’élection à la présidence de la Commission de l’UA se déroule dans un contexte marqué par six défis majeurs
L’élection à la présidence de la Commission de l’UA se déroule dans un contexte marqué, selon les observateurs, par six défis majeurs : « le renouvellement de l’engagement des États membres envers les valeurs communes de l’instance ; la finalisation la politique de répartition des tâches entre l’UA et les communautés économiques régionales ; l’augmentation du nombre de positions africaines communes sur les principaux défis mondiaux ; l’adoption d’une approche systématique des partenariats stratégiques de l’UA avec les acteurs multilatéraux et bilatéraux ; l’achèvement du processus de réforme financière et institutionnelle de l’organisation ; l’avancement du développement d’une « union des citoyens », comme le prévoit l’Agenda 2063, « L’Afrique que nous voulons », le plan directeur pour l’avenir du continent ».
Choc de réseaux à la BAD
En mai 2025, la BAD va élire son prochain président pour succéder au Nigérian Akinwumi Adesina. C’est un choix stratégique qui influencera les priorités de développement du continent pour l’avenir. Et pour cause, l’institution est un pilier du financement en Afrique, portée par un modèle de capital hybride qui combine fonds propres et ressources externes. Ce modèle a permis des réalisations majeures, comme l’autoroute Abidjan-Lagos et des parcs solaires en Afrique de l’Est.
Le futur président de la BAD va s’attaquer à la lutte contre la pauvreté, la diversification économique et la résilience climatique
Le futur président devra poursuivre cet élan tout en s’attaquant à des enjeux critiques : la lutte contre la pauvreté, la diversification économique et la résilience climatique. Les attentes sont fortes, tant du côté des actionnaires africains que des partenaires internationaux, qui détiennent 40 % du capital.
Pour la prochaine élection, l’on s’accorde à dire que tout se jouera entre l’actuel ministre des Finances du Bénin, Romuald Wadagni et le vétéran de la Banque mondiale originaire de Zambie, Samuel Munzele Maimbo.
Romuald Wadani est reconnu pour avoir transformé l’économie de son pays grâce à des réformes structurantes et une gestion rigoureuse des finances publiques. Sous sa direction, le Bénin est devenu le premier choix pour les investissements étrangers dans la sous-région, renforçant sa crédibilité auprès des investisseurs internationaux. Grâce à des opérations inédites, Wadagni a placé le Bénin sur la carte mondiale des marchés financiers.
Quant à Samuel Munzele Maimbo,financier expérimenté avec près de 30 ans au sein de la Banque mondiale, il a gravi les échelons depuis le programme pour jeunes professionnels pour devenir vice-président chargé du budget, de la performance et de la planification stratégique. Au cours de sa carrière, il a dirigé des initiatives majeures de mobilisation de ressources pour l’Association Internationale de Développement (IDA) et a contribué à orienter les priorités de l’institution vers des projets d’impact mondial, comme la lutte contre le changement climatique et la pauvreté. Si sa candidature est plombée par sa maîtrise limitée du français, le Zambien, essentiellement anglophone, pourrait réduire son attrait auprès des électeurs de la BAD, qui privilégient souvent des candidats bilingues et enracinés dans les réalités africaines.
Cette élection met en lumière la persistance des élites africaines à maintenir leur influence et la force des réseaux
D’autres candidatures sont également déclarées. Celles d’Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) pour le Tchad, et Amadou Hott, ancien ministre de l’Économie du Sénégal, mettent en lumière la persistance des élites africaines à maintenir leur influence. Et imposent un dilemme pour les électeurs de la BAD (54 pays africains et 27 non-Africains). Ils devront choisir entre pérenniser la vieille garde ou céder à la force des réseaux.
Des candidatures, considérées comme des outsiders, sont en embuscade. Il s’agit de Bajabulile Swazi Tshabalala pour l’Afrique du Sud et Ousmane Mamoudou Kane pour la Mauritanie. Bajabulile Swazi Tshabalala, ex-Vice-présidente de la BAD, et Ousmane Mamoudou Kane, ex-Ministre des Affaires économiques et de la Promotion des secteurs productifs de Mauritanie, représentent la continuité, avec chacun une carrière rodée dans les cercles économiques et administratifs du continent.
Après l’approbation de sa candidature par son gouvernement, Bajabulile Swazi Tshabalala a quitté son poste de vice-présidente principale en novembre 2021, « conformément aux règles et règlements de la Banque, afin d’éviter tout conflit d’intérêt potentiel dans le cadre de ma candidature ». Elle a le soutien du président de la BAD qui la présente comme « un membre précieux du groupe de direction de la Banque ». Et la félicite pour « ses importantes contributions à la Banque, notamment dans la mise en œuvre de nos stratégies et nos opérations ». Mais cela suffira-t-il pour qu’elle obtienne la majorité des suffrages du collège électoral en mai 2025 ? La est toute la question.
Pour ce qui est du Mauritanien Ousmane Mamoudou Kane, c’est un ancien vice-président de la BAD en charge des services institutionnels, où il a passé une quinzaine d’années. L’homme est connu pour son engagement en faveur d’un développement inclusif et durable, souligné dans le plan stratégique 2003-2007 de la BAD qu’il a contribué à élaborer. Il a également soutenu la nécessité d’améliorer les infrastructures, l’innovation et l’intégration régionale dans ses récentes déclarations. Selon une note du 27 août 2024, la candidature de Kane bénéficie d’un soutien solide de la part de divers pays africains et non africains, d’organisations de la société civile et du monde des affaires. Ses compétences en leadership et son sens économique ont été salués par des personnalités influentes du secteur financier et des gouvernements. Pas vraiment « un outsider » comme le prédisent les pronostics.
Au final, toutes les analyses s’accordent pour dire qu’au-delà des profils, « cette élection met en lumière la persistance des élites africaines à maintenir leur influence et la force des réseaux ».