A la uneActualité

UM6P : “Nous abordons l’IA avec une approche pluridisciplinaire : scientifique et éthique”

Fleuron de la technologie de pointe du Maroc, l’université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), centre national de recherche et d’intelligence artificielle, se présente comme un pôle d’excellence international pour une nouvelle génération de leaders africains. Avec ses 4500 étudiants, elle table sur 6000 venus de tout le continent. Établie par la puissante Fondation du groupe industriel de phosphate OCP...

Propos recueillis par Mérième Alaoui

Quelle est la genèse de l’UM6P sortie de terre en 2017, avec pour ambition de devenir un centre national de l’IA ? 

La création de cette université est venue principalement pour apporter de l’innovation, de la recherche scientifique à travers de la recherche appliquée au projet de développement du Maroc. Les projets engagés par l’UM6P sont en relation avec l’agri tech, le traitement de l’eau, la cartographie des sols…, tout cela nous apporte une masse importante de données constituées, qu’il va falloir traiter, analyser, essayer d’en sortir des conclusions. Donc bien évidement l’IA s’est imposée comme un sujet central, sachant que l’université est encore jeune (inaugurée en janvier 2017 par Mohammed VI, NDLR), depuis la thématique est devenue transversale. Il y a 2 ans, nous avons lancé AI Movement : un centre de recherche et de formation basé dans notre campus de Rabat. Les deux principaux axes sont la recherche autour des métiers de l’agriculture, l’eau, les smarts cities… Il fallait développer des solutions moroco-marocaines dans une université marocaine à vocation Africaine pour contribuer à répondre à ces nouveaux challenges. Le deuxième pilier principal est autour des sciences sociales et rassemble tout ce qui est en lien avec l’éthique de l’intelligence artificielle. Avec tous les débats sur ChatGPT et les plateformes similaires, les rôles de la substitution de l’IA par rapport aux métiers de l’humain etc, ces deux volets vont de pair aujourd’hui. 

A ce titre, un débat est en cours sur la scène internationale sur la “dimension” éthique de l’IA. Comment l’Afrique se positionne, ou non, sur cette question? 

C’est justement toute la beauté du travail à l’université, c’est qu’on aborde l’IA avec une approche pluridisciplinaire. Pas uniquement d’un point de vue technologique, de la science, mais aussi d’un point de vue des sciences humaines et des sciences sociales. Le sujet de l’éthique devient prépondérant. 

De fait, l’IA étant un élément de prise de décision plus rapide que dans un processus classique, s’il n’y a pas cette composante éthique, cela serait très compliqué à dompter à posteriori. En 2018, nous avons commencé un grand travail avec l’Unesco qui a donné lieu à une conférence à Benguerir au siège de l’université.  La “déclaration de Benguerir” qui en a émané est devenue un document fondateur de la vision que nous souhaitons avoir pour l’Afrique en matière d’IA, repris dans des forums internationaux organisés par l’Unesco sur cette thématique. 

Aujourd’hui c’est notre contribution à la proposition commune de l’université comme centre de recherche pour l’essor de cette IA. Un essor que l’on veut raisonner, c’est une technologie qui doit être au service de l’homme et pas l’inverse.

A travers notre slogan : “Empower talent, Empower Africa”, notre parti pris est de positionner, renforcer et solidifier le continent africain à travers le renforcement des talents et des compétences

Vous affichez une ambition panafricaine, comment développer ce volet continentale ? 

A travers notre slogan : “Empower talents, Empower Africa”, dès le départ notre parti pris est de positionner, renforcer et solidifier le continent africain à travers le renforcement des talents et des compétences. Ainsi le rôle de l’université c’est cela. Tout d’abord être un réceptacle de compétences africaines que ce soit sur le continent mais aussi de la diaspora. C’est un élément essentiel, car nous voulons offrir à la diaspora des opportunités pour revenir et contribuer à travers leur expertise. Deuxième volet, nous voulons offrir des formations internationales de très haut niveau pour les jeunes du continent. Aujourd’hui, un jeune qui a son Bac au Nigéria, au Bénin ou autre, réfléchit s’il en a l’opportunité, d’aller en Europe, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis etc. Nous voulons renforcer leur ancrage local, continental, avec une formation de niveau équivalent à celle dispensées dans les universités internationales, mais tout en restant en Afrique et maintenir cette connexion avec le continent. Qu’ils viennent d’Afrique francophone ou anglophone. D’ailleurs, nous avons de plus en plus tendance à aller vers l’anglais, certaines formations sont déjà à 100% en anglais. Mais si on prend la moyenne, nous sommes à 50/50 aujourd’hui. Dans les prochaines années nous serons plus proche à un ratio de 80, 20% majorité anglais. On se rend compte que les jeunes sont plus à l’aise en anglais qu’en français parce qu’ils l’apprennent en dehors de l’école via Netflix, Youtube etc. Et évidemment, la plus importante masse de publications scientifiques est actuellement en anglais.  

Concrètement, comment l’université marocaine peut répondre aux défis locaux du continent ? 

A travers des thématiques en relation directe avec les problématiques du continent. Vous savez que l’Afrique rassemble plus de 60% des terres arables non exploitées, on parle ainsi du futur grenier du monde. Aujourd’hui personne ne s’y intéresse car l’Afrique est trop associée à la guerre, la pauvreté, la famine… Alors qu’on a tout ce qu’il faut. Le Maroc a de son côté, plus de 60% des réserves mondiales du phosphate qui peuvent être utilisées pour cultiver cette terre. 

 Nous devons trouver les solutions locales qui répondent à ces besoins : sécurité alimentaire, problématique de l’eau d’irrigation etc… Tout en passant par les politiques publiques. Nous avons besoin pour ce faire, d’une nouvelle génération de leaders ouverts sur le monde mais tout aussi conscients des problématiques liés à leur continent. Nous avons lancé par exemple, un master des sciences et technologie des fertilisants. 80% de ses étudiants viennent d’Afrique subsaharienne et 20% sont marocains. Nous voulons que ces étudiants reviennent dans leur pays pour appliquer ce qu’ils ont appris chez nous. On a également un master double diplomation avec HEC, intitulé “Géopolitique et géoéconomie de l’Afrique émergente”, nous en sommes à la cinquième promotion cette année. C’est un master exécutif qui permet concrètement de former et préparer des étudiants qui sont déjà dans un cadre professionnel mais qui se projettent. C’est ce genre d’initiatives que nous avons, que ce soit via la science dure mais aussi avec les sciences humaines, la géopolitique…

Nous devons trouver les solutions locales qui répondent à ces besoins : sécurité alimentaire, problématique de l’eau d’irrigation etc

Comment évolue l’Université à l’échelle du Maroc, du continent ? 

Le total d’étudiants à l’université est de 4500 répartis sur les différents campus. Nous en avons 2500 sur des formations dites non conventionnelles comme par exemple “l’école 1337”. Une école de codage qui n’exige pas de diplôme ni à l’entrée ni à la sortie. On forme de futurs codeurs, des jeunes pour travailler dans la cybersécurité, des ethical hackers etc… Et 2000 personnes dans les formations conventionnelles : bachelor, master et doctorat. Sur ces 2000, 7% viennent de l’Afrique subsaharienne. Notre ambition dans les trois prochaines années est d’arriver à 6000 étudiants en formations conventionnelles dont à minima 20% qui viendrait d’Afrique subsaharienne. Nous travaillons pour, nous avons lancé plusieurs actions de mobilisation de nos partenaires sur plusieurs pays d’Afrique qu’ils soient anglophones ou francophones. Cette année les inscriptions sont en croissance. 

L’UM6P accueille également des startups, on pense à la marocaine Chari (e commerce B2B) qui vient de lever 1 million de dollars via Orange… 
Nous avons une plateforme, sous forme d’un “startup campus”, un modèle équivalent à la station F (le plus grand incubateur au monde créé par Xavier Niel à Paris, NDLR) marocaine qui a pour objectif de créer un écosystème qui permet aux startups d’êtres accélérées, aux porteurs d’être accompagnés… Nous avons des fonds d’investissements qui prennent des participations pour les encourager. Aujourd’hui nous avons accompagné 500 porteurs de projets, pratiquement 26 startups ont émergé sachant que nous avons été freinés par la pandémie du Covid. Chari a d’ailleurs été accompagnée par un de nos programmes, conjoint avec l’incubateur américain “Plug and Play”, que nous sommes les premiers à avoir amenés au Maroc et en Afrique. Nous disposons également d’un data center, hébergeant le supercalculateur le plus rapide d’Afrique. Mais surtout la particularité et pas des moindres pour les entreprises en générale, c’est de leur permettre de préserver la souveraineté numérique. Nous avons dernièrement signé le lancement du premier service Cloud au Maroc hébergeant les solutions RISE with SAP, leader mondial de gestion d’ERP, ce qui permettra de donner accès à des solutions fiables tout en gardant les données sur le territoire Marocain.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page