Tribune Les créatifs, moteur(s) du metaverse africain
En vogue, le terme « metaverse » désigne la prochaine frontière de l’univers numérique. Un univers virtuel, riche en opportunités, et que doit dès à présent embrasser le continent africain, plaide le spécialiste des industries créatives Mohamed Zoghlami.
Par Mohamed Zoghlami *
Utilisé pour tout et n’importe quoi comme beaucoup de concepts tendance, hype, il devient difficile de s’y retrouver. Pour l’heure, le mot « métaverse » désigne une vision de ce que pourrait être l’avenir ; un monde numérique où vous pourriez mener une vie parallèle sans sortir de chez vous grâce à votre avatar.
Mais pour les technophiles, les geeks et les géants mondiaux de la Tech, le metaverse est l’évolution naturelle d’Internet, poussée par la convergence de plusieurs technologies, les progrès de l’IA, les réseaux 5G, la 3D, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, la blockchain et les NFT (jetons non fongibles). Mais également parce la pandémie du Covid-19 aura digitalisé de nombreuses pratiques.
Du coup, certains se réapproprient la notion de metaverse pour décrire des projets d’univers virtuels décentralisés, mais qui ne correspondent pas à ce qu’est censé être un metaverse, littéralement un « méta-univers » ; un univers d’univers.
Dans ce Metaverse, pourrait-on voir émerger à terme un univers ou des univers africains ?
Telle est la question, car si nous devions paraphraser le Président ivoirien Alassane Ouattara, « si l’Afrique [après avoir] raté le train de la révolution industrielle, […] n’a pas manqué celle de la révolution numérique », elle risque certainement de manquer la prochaine révolution, l’industrie 4.0 et l’économie immersive.
De fait, c’est bien la 4ème révolution industrielle, l’économie immersive et ses enjeux- les innovations- liés au metaverse, qui peuvent propulser l’Afrique vers le développement. Pour cela, il ne faudra pas rater ce train. Or, aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous en sommes très loin.
L’intelligence artificielle, la 3D, la réalité virtuelle, la réalité augmentée sont la colonne vertébrale de toute cette évolution technologique. Il est malheureux néanmoins de constater qu’il existe très peu de compétence à l’échelle du continent susceptibles de relever ce nouveau défi.
Le metaverse sera l’endroit où se joueront toutes les rivalités technologiques et les luttes de pouvoir dans les années à venir. Nous le constatons déjà avec les multiples acquisitions, projets, applications qui nous sont annoncés quotidiennement. Google a racheté 22 entreprises, Microsoft 56, et Amazon 29. En volume, ces transactions représentent respectivement 22 milliards, 25,7 milliards et 15,7 milliards de dollars. C’est finalement bien peu de choses à côté de la dernière acquisition de Microsoft, qui vient de racheter le groupe Activision Blizzard King pour 68,7 milliards de dollars.
« Cette acquisition par Xbox accélérera la croissance de l’activité de jeu de Microsoft sur mobile, PC, console et cloud et fournira des éléments de base pour le metaverse », a de fait annoncé Satya Nadella, le PDG de Microsoft. Tout est dit.
Le metaverse est au carrefour de plusieurs technologies numériques naissantes et existantes, et l’Afrique est déjà dépendante, consommatrice. Elle ne peut rien imposer sur les technologies, les infrastructures. Et, nous n’avons pas de grands groupes comme ailleurs sur les autres continents susceptibles d’être des locomotives dans l’IA, la VR, l’AR ou des États susceptibles d’impulser stratégies et plans d’actions sur le long terme.
L’IA est portée par des start-up et des associations en Afrique, parfois par des cursus universitaires. La 3D, la VR et l’AR sont enseignés dans très peu d’écoles, institutions, et rare sont les start-up utilisant ces technologies en Afrique. Ces outils numériques sont pourtant essentiels pour le metaverse.
Qu’en sera-t-il du metaverse africain ? Qui en sera le moteur, les États ? J’en doute fort, préoccupés qu’ils sont par les défis économiques et sociaux, de santé, d’alimentation, d’infrastructure, d’énergie, d’environnement, d’éducation…
Le metaverse ne sera pas leur préoccupation première. Dès lors, l’Afrique devra-t-elle se contenter d’être consommatrice ou bien devenir actrice à part entière ?
Qui sera capable d’investir dans des machines de calcul puissantes, dans la recherche et le développement, dans la production d’applications, de solutions et de contenus africains ? Le secteur privé ? J’en doute également car il attendra une rentabilité immédiate et une visibilité sur l’investissement.
En fonction de qui créera ce metaverse africain, se posera par ailleurs la question de son acceptation, et de son modèle. Dans ces conditions, doit-on se résigner à ne pas prendre part à cette compétition, qui façonne déjà le monde de demain. Doit-on accepter cette nouvelle forme de cyber colonisation sans réagir ?
L’Afrique face au metaverse
L’Afrique a la population la plus jeune. C’est dans cette jeunesse qu’il y a les leaders de demain.
Cette jeunesse est décomplexée, digital native, connectée au monde, elle est et sera une force de proposition dans un XXIe siècle à réinventer.Cette jeunesse africaine a su prouver sa réactivité, sa créativité, son agilité, pour faire face aux enjeux du Covid-19, grâce au numérique. Elle a largement démontré sa capacité d’innovation et de résilience, donnant un sens, une finalité à l’Afrique de demain.
Cependant, il faudra plus qu’une jeunesse technophile, inventive pour relever ce challenge du metaverse Africain. Car de nombreux défis pèsent sur le continent et constituent un véritable obstacle à son émergence.
Bien que le nombre de raccordements au haut débit sur le continent ait franchi la barre des 400 millions en 2018, le taux de pénétration de la 3G et de la 4G n’atteint que 25 % en moyenne aujourd’hui, représentant un « frein » au développement.
Et soyons réaliste, aujourd’hui, l’économie numérique est dominée par les Etats-Unis et la Chine. Ces deux ensembles représentent près de 90% du numérique à l’échelle mondiale. En comparaison, l’Afrique ne représente que 1,3% et l’Europe environ 3,7%.
Alors quel rôle jouera l’Afrique ? Difficile de le prévoir actuellement quand on voit le peu d’implication de l’écosystème numérique africain.
Mark Zuckerberg, pour faire la pub de son metaverse, a en tous les cas fait appel à Khaby Lame, un sénégalais star des réseaux sociaux, roi du « faire simple », pour sensibiliser les internautes à ses nouvelles ambitions numériques. Quoi de plus simple que de faire appel à celui qui a érigé la simplicité en concept pour expliquer le metaverse ?
La solution viendra certainement des universités, des institutions d’enseignement, des associations, de la société civile, et des start-up. Cette communauté en collaborant ensemble au niveau africain permettra, de la recherche et du développement, de l’expérimentation, de la production de contenus pour construire ce projet.
Or un metaverse se nourrit de technologie et de contenus… et l’Afrique regorge de contenus.
L’Afrique est une mosaïque culturelle, avec 54 pays et plus de 3 000 langues et cultures différentes. Le paysage socioculturel du continent est incomparablement riche et varié.
Le continent connaît une révolution culturelle exceptionnelle à travers la mode, le cinéma, les arts visuels, les sites culturels, les médias, le design, les jeux vidéo, l’animation, les Comics, le divertissement, la musique, la littérature. Les talents et la créativité sont là.
L’Afrique représente le futur, elle dispose de talents, mais ne les fait pas fructifier suffisamment.
Et si l’Afrique osait changer d’image ? La jeunesse africaine veut raconter son Afrique, diffuser un nouveau storytelling, sortir des stéréotypes et de la représentation négative. Elle recherche une narration qui s’intéresse à l’Afrique, elle veut un univers africain. Des super-héros noirs à l’image du continent africain avec ses propres codes culturels.
La créativité, matrice du metaverse africain
La pandémie a offert l’opportunité aux pays africains d’innover et de reconstruire leur économie grâce au numérique. Mais ils ne doivent pas se contenter de réparer celle-ci, mais bien de la recréer, autour de la transformation numérique. Alors pourquoi ne pas s’orienter vers les industries créatives culturelles numériques et le metaverse ?
L’Afrique recèle une communauté de créateurs, qui cherchent à influencer les consommateurs en adoptant l’innovation et la technologie, apportant de nombreuses avancées en particulier dans les secteurs clés liés à l’IA, à la blockchain, aux cryptomonnaies et surtout autour des NFT (jetons non fongibles – une donnée liée à la blockchain Ethereum et utilisée comme un actif numérique pour enregistrer la propriété unique de biens tels que des images, des vidéos, de la musique et d’autres objets de collection)
Les créateurs ont également une longueur d’avance lorsqu’il s’agit d’expérimenter et d’innover pour se rapprocher de leur public. Les créateurs africains seront essentiels dans l’adoption du metaverse ; ils font figure de défricheurs, de pionniers, maîtrisant le mode de création, de communication des réseaux sociaux et d’annonce d’un lancement d’une mode.
Les créateurs, un des éléments clés du metaverse
Le metaverse met au défi les créateurs africains d’être innovant. Leurs créativités et leurs compétences seront le moteur de ces expériences immersives. Ils devront s’investir dans cette révolution technologique, prendre des risques, être des acteurs du changement à l’échelle mondiale, coopérer, collaborer, créer des communautés pour développer un ou des univers africains.
Ces créatifs africains travaillent déjà ensemble pour résoudre les problèmes, mais le metaverse est un tout autre défi.
Ils ont une opportunité de développer de nouvelles expériences génératrices de revenus à travers ce nouvel univers virtuel grâce aux NFT et aux cryptomonnaies. D’autant que la pandémie de Covid-19 a eu de forts impacts économiques sur les artistes du continent avec l’annulation des biennales, foires et expositions, provoquant par contrecoup de lourdes conséquences sociales et financières.
L’art numérique va jouer un rôle prépondérant dans le développement de mondes virtuels immersifs africains, à mesure que la technologie de la réalité augmentée et virtuelle arrivera à maturité. Les crypto artistes africains pourront promouvoir leurs œuvres sur la blockchain et immortaliser leur influence culturelle sur le metaverse.
L’artiste nigériane Oyindamola Oyekemi Oyewumi, a vendu son premier NFT l’an dernier à plusieurs milliers de dollars. Et partout en Afrique, les créateurs d’art profitent de ce nouveau marché virtuel pour donner de la visibilité à leurs productions.
Uyi Amokaro a lancé WeAreMasters, une place de marché numérique spécialisée dans les cryptomonnaies de collection et les NFT africains. Ferdy ‘Ladi Adimefe, le fondateur de Magic Carpet Studios, accompagne également les artistes africains à surfer sur la tendance.
En mars, Osinachi a vendu des œuvres d’art pour 75 000 $ de NFT en 10 jours, avant de vendre Devenir Sochukwuma – un tableau représentant une danseuse noire enveloppée dans un tutu tourbillonnant sur un écran d’ordinateur – pour 80 000 $ sur le marché du crypto-art en avril.
Osinachi devient ainsi le crypto-artiste africain le plus coté, inspirant une centaine d’artistes digitaux au Nigeria notamment Niyi Okeowo, dont les œuvres « afrofuturistes » associent photographie, 3D, graphisme et son. De fait, le Nigéria truste la pole position du crypto-art en Afrique, et est le troisième utilisateur de monnaies virtuelles au monde après les Etats-Unis et la Russie. Selon une étude du cabinet Statista, en 2020, plus de 400 millions de dollars été échangés en cryptomonnaies dans le pays.
Le phénomène ne se limite pas seulement au Nigéria : partout en Afrique, les artistes se lancent dans les NFT, y trouvant un bien meilleur débouché pour leurs productions. Certains, à l’instar de l’artiste sénégalais Pape Moussa Kane alias Pamplumus, vendent leurs œuvres sur la plateforme Opensea. Le kenyan Rich Allela, cinéaste et photographe a mis aux enchères la première collection d’art du continent alimentée par les NFT.
L’artiste tunisien Idriss B., connu pour ses sculptures en 3D, a pour sa part lancé sa propre collection NFT, intitulée « Polyverse Art ». Elle comprend 11 000 sculptures animales numériques.
En 2021, plusieurs artistes africains ont franchi le cap et produit des œuvres numériques sur plusieurs plateformes comme Opensea, Foundation, Rarible, Super Rare, Mintable, Wax,Muda, AjeVerse et bien d’autres.
Invictus Capital, par le biais du Invictus NFT Lab, a dévoilé sa première collection NFT, Out of Africa Collection, qui vise à lancer de nombreux artistes numériques contemporains sur le marché mondial.
Africarare, le premier metaverse VR sud-africain abritant un espace numérique aux racines africaines, a lancé et vendu sa première collection d’art en octobre 2021. La première collection NFT de 52 pièces numériques de l’artiste Norman Catherine a rapporté 53 000 $ US.
Ces artistes passionnés créent des communautés telles que Africa NFT Community, Black NFT Art, Network of African NFT Artists, Afro Future DAO, Kenyan NFT Club, Nigeria NFT Community, Zulu Inu…afin de sensibiliser, d’éduquer, d’informer…
Ces communautés interagissent, servent d’espace de promotion, d’interconnexion et de collaboration. On y partage des idées, des ressources, des co-créations et des défis. On y organise des événements en ligne et hybrides, axés sur la narration, la promotion de l’art et l’aide aux artistes émergents.
Ces communautés incarnent ce sentiment d’appartenance et d’unicité africaine menant à la coopération et au partage. Alors pourquoi ne pas les transposer dans le virtuel, dans le metaverse avec les valeurs si chères à nos ancêtres – le respect, l’intégrité, l’humilité, le partage, le sens de la communauté, la générosité, la bienveillance, la confiance, la détermination, l’engagement, l’efficience – à opposer à une vision consumériste.
Les NFT peuvent aider à la création de nouveaux marchés et créer par ricochet plus d’entreprises et d’emplois numériques en Afrique. Les marques peuvent s’en servir pour apporter plus de valeur à leurs clients, surtout dans les industries de la mode, de l’art et du divertissement.
En juin 2021, le Museum of Modern Africa Art Gallery& Lifestyle (MOMAA) a eu recours à des NFT, pour le lancement d’une exposition d’art africain moderne.
Thrill Digital au Nigéria est une startup qui développe une vitrine de mode virtuelle et a lancé Astra, un jeu où les joueurs peuvent gagner des articles de mode réels. Le jeu a son propre jeton crypto.
Au-delà, les NFT donnent une opportunité unique aux artistes et créateurs africains de trouver une juste place dans le monde de l’art en général, la possibilité de faire émerger un marché de l’art radicalement nouveau, une économie de la création enfin au service des artistes africain. Les artistes peuvent vendre des actifs numériques directement aux acheteurs, éliminant ainsi les intermédiaires.
Il n’empêche, avec l’essor du marché de l’art numérique, l’impact environnemental des NFT pose un réel problème en Afrique avec son coût énergétique mais ais ce n’est pas la seule contrainte. Les cryptomonnaies sont mal vues par les gouvernements de certains des principaux marchés africains. En conséquence, ces gouvernements limitent déjà une participation active au metaverse.
Alors comment être partie prenante dans la construction de ce metaverse sans faire fi des obstacles.
L’héritage culturel, première étape d’un metaverse africain
Que penser, si nous devions encore évoluer dans un monde virtuel où l’imaginaire, les histoires que l’on nous propose ne font pas partie de notre vision du monde, de nos valeurs, de ce que notre civilisation porte ?
Dans le metaverse, le contenu digital – jeu vidéo, animation, comics, VR & AR, tourisme culturel – représente, une vitrine de choix pour ouvrir l’Afrique au monde, avec ses mythes, son patrimoine, son histoire. C’est un élément fondamental du soft power pour changer la vision négative, la perception du reste du monde à l’égard du continent.
Pour se développer, l’Afrique doit s’approprier cet Internet 3D, ce metaverse pour promouvoir, défendre sa culture, créer un storytelling numérique identitaire, maîtriser son récit à l’heure de la guerre globale de la culture et des médias.
L’Afrique regorge de milliers de sites archéologiques, son patrimoine est méconnu, et les contenus immersifs vont démocratiser l’accès à ses richesses, la création de musées interactifs ouvrir de nouvelles frontières touristiques. A travers nos propres applications, nous valorisons nos pays.
C’est à cette question que Meta et Africa No Filter (ANF), une organisation ayant pour but le changement du narratif sur l’Afrique, ont apporté un début de réponse en annonçant un partenariat pour lancer le programme « l’Afrique du futur : raconter des histoires, construire des mondes » qui vise à stimuler l’utilisation de la réalité virtuelle dans la narration en Afrique.
« La réalité virtuelle a le potentiel d’amener la narration à un autre niveau. Dans ce nouveau metaverse, le public ne se contente pas de regarder une histoire se dérouler, il la vit », explique ainsi Moky Makura, directeur exécutif d’Africa No Filter. C’est l’occasion pour les créateurs de contenu africains de repousser les limites de leur créativité et de leur innovation.
EON Reality, le leader mondial du transfert de connaissances et de compétences basées sur la réalité augmentée et virtuelle pour l’industrie et l’éducation, a de son côté acté un partenariat avec l’Éthiopie, nation riche en culture et en histoire, pour créer un centre metaverse de connaissances pour les étudiants, les enseignants et les entrepreneurs.
L’ONG Africa 2.0 s’est quant à elle associée avec Computecoin pour surmonter les obstacles informatiques auxquels sont confrontés les développeurs et les utilisateurs finaux du continent en fournissant une puissance de calcul abordable et produire du contenu africain.
Si l’on veut présenter les innovations du futur, démontrer le potentiel créatif, raconter des histoires positives sur l’Afrique, ce metaverse africain devra être alimenté par la créativité de millions de graphistes, ingénieurs, chercheurs, artistes et joueurs du continent. Et ce sens de la communauté et de la richesse partagée, rendra ce Metaverse africain unique. Pour cela la formation à ces métiers créatifs numériques sera primordiale.
De ce point de vue, nous devons prendre exemple sur 3D Netinfo (www.3dnetinfo.com)- centre africain spécialisé dans la formation aux métiers du codage créatif et de la production d’images de synthèse 3D-, qui construit sur le continent un réseau de formations aux métiers nécessaires au metaverse, accompagnant en particulier l’émergence de développeurs africains avec le programme AfricGameDev (200 jeunes de 10 pays formés) et bientôt l’African Metaverse Challenge, soutenu par Epic Games, Autodesk et NVidia.
*Mohamed Zoghlami est consultant International en Stratégie & Développement – Spécialiste des industries créatives en Afrique – Co-fondateur d’Afric’Up et d’Africa in Colors