Togo, carrefour du commerce de la friperie en Afrique de l’Ouest
Le commerce de la friperie est en passe de devenir l’un des fleurons de l’économie informelle au Togo. Tous les lundis et jeudis, le marché de friperie de Hedzranawoé grouille de monde à l’aube. Ce qui montre à suffisance l’importance que les Togolais portent au commerce de la friperie communément appelée «Abloni».
Secteur jadis dominé par les commerçants Ibos en provenance du Nigeria, on retrouve aujourd’hui dans le commerce de la friperie des Togolais qui n’hésitent plus à s’adonner à cette activité mercantile. Mademoiselle Akoeley Amevor, la trentaine, a abandonné sa profession de secrétaire de direction pour se reconvertir en revendeuse de friperie. « J’ai suivi une formation en secrétariat bureautique, en 2005, à l’intérieur du pays. Mais face au chômage galopant qui frappe la jeunesse, j’ai décidé, depuis cinq ans, de m’engager dans ce commerce. C’est une autre forme d’entrepreneuriat. Ce commerce me permet aujourd’hui de nourrir toute ma famille », confie Amevor. Aujourd’hui, elle ne regrette pas son choix puisqu’elle dispose d’un magasin de prêt-à-porter dans l’une des banlieues de Lomé, la capitale togolaise. A l’instar de cette revendeuse, des milliers de Togolais envahissent, dès l’aube, les hangars du marché sous lesquels sont exposés des balles contenant des habits de «deuxième main» en provenance d’Europe, des États-Unis et parfois d’Australie.
Adjoa Amoussou, la cinquantaine, trie un tas d’habits qu’elle revendra après un passage à la buanderie à des fonctionnaires qui en raffolent. Elle estime que la concurrence devient de plus en plus rude parce que les jeunes s’y mêlent pendant les vacances pour pouvoir s’acheter les fournitures et payer leur scolarité à la rentrée : « On rivalise d’adresse pour pouvoir acheter les bons habits destinés à la vente après un tour à la buanderie. La concurrence devient rude parce que de plus en plus de jeunes font ce commerce pendant les vacances. Ils le font pour pouvoir s’acheter les fournitures et payer leur scolarité à la rentrée ».
Les prix fixés selon la qualité et la provenance
La vente s’effectue à la criée sous le regard vigilant des revendeurs qui n’ont qu’un seul : avoir une meilleure offre pour leurs articles. « Je viens très tôt le matin pour d’abord faire le tour des étalages afin de détecter les produits à acheter selon la demande de ma clientèle. Je négocie avec les vendeurs nigérians pour avoir le meilleur prix. Dans ce commerce, il faut avoir l’art de marchander et s’avoir repérer la bonne qualité, car il y en a pour toutes les qualités et tous les prix », précise Nadège Amélé, une revendeuse de friperie porte à porte. Le prix des balles sont fixés selon la qualité et la provenance des habits. En effet, les balles en provenance des États-Unis coûtent beaucoup plus cher que celles qui viennent d’Europe. « Les prix varient de 150.000 FCFA à 200.000 FCFA. Les balles en provenance des pays comme la France, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique coûtent environ 150.000 FCFA alors que les balles venues des États-Unis sont vendues entre 200.000 et 220.000 FCFA. Une balle peut contenir entre 200 et 250 pièces », indique Ndukwé John, un vendeur nigérian implanté au Togo depuis quelques années. Toutefois, il a tenu à rappeler que les prix varient suivant les saisons des pays de provenance. Il est aidé dans sa tâche par trois de ses compatriotes. « Eh, mon patron, il a de l’argent. Il va tout le temps en Angleterre avec l’argent de la friperie. Il a deux maisons au Nigeria et une grande maison ici. Nous l’aidons pour avoir de l’argent et faire comme lui un jour », confié l’un des employés de Ndukwé John. Selon des sources proches de la direction du Port Autonome de Lomé, des milliers de balles arrivent chaque mois au Togo avec le pic en période hivernale.
Un marché qui génère des milliards de FCFA
A Amoutivé, un quartier commercial de Lomé, Alain Ametepé, propriétaire d’une boutique de prêt-à-porter affirme avoir décidé de se lancer dans ce commerce après avoir géré une boutique appartenant à son frère aîné. Il estime qu’il faut avoir un bon sens du marketing, élément important pour pouvoir s’imposer dans ce commerce où la concurrence devient rude à cause de l’engouement qu’il suscite. Selon M. Ametepé, il faut au minimum deux à trois millions de FCFA pour ouvrir un prêt-à-porter de friperie. « J’ai dépensé en tout trois millions pour ouvrir ma boutique. Au début, j’avais acheté 15 balles à raison de 150.000 FCFA l’unité. Je peux vous assurer qu’il faut décaisser entre deux et trois millions FCFA pour une telle boutique de friperie à Lomé ». Même si les données officielles sur les chiffres d’affaires ne sont pas disponibles, au ministère du Commerce et de la Privatisation, on estime que le secteur génère plusieurs milliards de FCFA, chaque année, au Togo et qu’il serait nécessaire de le règlementer afin qu’il puisse participer au produit intérieur brut (PIB). « Je ne pourrai pas vous donner des chiffres clairs puisque nous n’en disposons pas pour le moment. Mais, nous n’allons pas tarder à se pencher dessus, car ce commerce génère plusieurs milliards de FCFA par an. C’est un secteur créateur de richesse et d’emplois, mais il va falloir bien le règlementer afin qu’il puisse contribuer suffisamment au PIB du pays », pense M. Lawson, un cadre du ministère du commerce et de la promotion du secteur privé.
Le secteur informel constitue l’un des fleurons de l’économie togolaise et contribue à près de 40% au PIB national. Il joue également un rôle de régulateur social et représente 80% des activités économiques du pays. Soucieux de son importance pour l’économie du pays, les autorités togolaises ont mis en place en la Délégation à l’organisation du secteur informel (DOSI), en 2009, afin d’organiser et structurer le secteur, de proposer des textes législatifs et réglementaires devant le régir et enfin contrôler et réguler les activités du secteur. Ingrid Awadé, Directrice générale de la DOSI, rappelle ce que signifie l’organisation du secteur informel, ainsi que les avantages que celle-ci revêt pour les commerçants. « L’organisation du secteur informel pour nous à la DOSI, c’est de trouver les moyens pour que chacun de nous puisse s’assurer une retraite, pour que chacun puisse maintenir son train de vie quand il sera vieux ou vieille ».
Un carrefour incontestable du commerce de friperie
Dans sa boutique sise au quartier administratif, en train d’étiqueter des habits dans l’attente de l’arrivée imminente de ses clients en provenance d’un pays voisin, Aline Kpadenou parle, avec une certaine fierté, de ce commerce aux avantages énormes, mais avec beaucoup de risques. « Malgré les risques qui en découlent, ce commerce est très lucratif. Il suffit d’avoir de bon clients », a-t-elle confié avant de préciser que « l’arrivée de plus en plus de clients en provenance des autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso, le Bénin et même le Gabon en est la preuve ». En effet, la réputation de la capitale togolaise pour le commerce de la friperie a franchi ses frontières. De plus en plus de clients arrivent des pays voisins de la sous-région pour se « ravitailler » en habits. A en croire Alice Houessou, une cliente béninoise rencontrée dans cette boutique, cette activité a de beaux jours devant elle. Car, la qualité n’est jamais mise en cause et le coût ne pose pas problème non plus. « J’achète des chaussures et sacs à main pour revendre à Porto Novo. Je peux vous assurer que ces articles sont d’une qualité irréprochable et coûtent cinq fois moins cher que dans les prêts-à-porter de luxe. Je fais un bénéfice net d’environ 400.000 FCFA à chaque passage à Lomé », confie Mlle Houessou tout en scrutant une paire de chaussures qu’elle tient dans ses mains.
La vente de friperie aux abords des routes gagne du terrain au Togo, un peu partout dans la capitale et ses banlieues, avec une demande de plus en plus croissante des consommateurs en quête de bonnes affaires. Des sacs à mains aux foulards en soie en passant par les vestes et les cravates, chacun y trouve son compte. Toutefois, Elisabeth Akakpo, une cliente rencontrée aux abords d’un boulevard à Lomé, rappelle que l’essentiel ici « c’est que la tendance va vers l’élégance et les prix sont à la portée de toutes les bourses ».
Par Blamé Ekoué