Télécoms africaines : et si le vrai risque n’était pas la concurrence, mais l’inaction ?
OTT, hyperscalers, régulation, investissements… Dans cette Cart’Afrik, Didier Kla alerte : les télécoms africains doivent devenir les architectes du numérique ou risquent de rester spectateurs. Par Didier Kla*

Un modèle à bout de souffle
En moins de dix ans, les revenus voix et SMS des opérateurs africains ont fondu comme neige au soleil. Le smartphone avait pourtant ouvert une ère dorée avec l’explosion de la data mobile. Mais cette croissance s’essouffle à son tour, freinée par la saturation des marchés urbains, une pression réglementaire accrue sur les tarifs et la montée en puissance d’alternatives numériques. L’eldorado de la data n’est plus. Les signaux sont clairs : le modèle historique ne suffit plus à assurer la croissance de demain.
La triple rupture qui redéfinit le marché
Ce ralentissement n’est que la partie visible d’une transformation beaucoup plus profonde.
Première rupture : la concurrence s’est décuplée. Les OTT comme WhatsApp ou Zoom captent la valeur autrefois générée par les appels et les SMS, pendant que les hyperscalers (AWS, Azure, Google Cloud) grignotent le marché B2B. Les startups africaines, elles, innovent à une vitesse fulgurante dans des secteurs stratégiques tels que la fintech, l’e-santé ou l’agritech. Et désormais, les satellites comme Starlink ou OneWeb viennent bousculer le monopole historique de la connectivité.
Deuxième rupture : le cadre réglementaire devient plus exigeant. Couverture universelle obligatoire, suivi renforcé des indicateurs qualité, pressions constantes pour baisser les tarifs… Les contraintes pèsent de plus en plus sur les marges et limitent les leviers traditionnels de rentabilité.
Troisième rupture : la nécessité d’investissements massifs. Qu’il s’agisse de déployer la fibre, de généraliser la 4G/5G, de bâtir des datacenters ou de renforcer la cybersécurité, tout est à construire. Et ces chantiers exigent des capitaux considérables dans un contexte économique parfois incertain.
De la menace à l’opportunité : cinq leviers pour agir maintenant
Face à ce triple choc, rester immobile équivaut à reculer. Les opérateurs doivent passer d’un rôle de simples transporteurs de données à celui de véritables architectes du numérique africain. Le premier levier consiste à évoluer vers un modèle de TechCo. Il ne s’agit plus seulement de connecter, mais de proposer des solutions intégrées autour du cloud, de la cybersécurité, de l’IA et de la gestion de données. Les entreprises et institutions africaines ont besoin de partenaires technologiques, pas uniquement de fournisseurs d’accès.
Deuxième levier : nouer des alliances stratégiques. Plutôt que de voir les géants du cloud comme des rivaux, il faut les considérer comme des alliés potentiels. En devenant hébergeurs ou intégrateurs locaux, les opérateurs peuvent sécuriser une place centrale dans les écosystèmes numériques.
Troisième levier : co-innover avec les startups locales. Les marchés africains ont des spécificités fortes, et les jeunes pousses en connaissent les réalités mieux que quiconque. Santé connectée, agriculture intelligente, éducation numérique… ces collaborations peuvent générer des solutions à fort impact.
Quatrième levier : réinventer les infrastructures. Mutualisation des équipements, automatisation des réseaux, virtualisation via SDN/NFV… autant de moyens de réduire les coûts tout en améliorant la performance et la flexibilité.
Enfin, cinquième levier : repenser la relation client. L’enjeu n’est plus seulement de vendre un forfait, mais de créer une expérience sur mesure, différenciante, qui fidélise sur le long terme.
Agir avant qu’il ne soit trop tard
L’Afrique reste l’un des marchés télécoms les plus prometteurs au monde. Mais cette promesse ne se concrétisera pas pour les acteurs qui choisissent d’ajuster un modèle en déclin plutôt que de le réinventer. Dans cinq ans, il sera peut-être trop tard pour rattraper le retard. Les opérateurs ont aujourd’hui l’opportunité unique de passer du rôle de simples fournisseurs d’accès à celui de catalyseurs de la transformation numérique africaine. C’est un choix stratégique qui déterminera non seulement leur avenir, mais aussi la capacité du continent à bâtir un écosystème numérique souverain, innovant et inclusif.