TAS 2023 : le digital pour une Afrique plus “Smart”
Accélérer l’agenda numérique africain, c’était tout l’enjeu de la sixième édition de Transform Africa qui se tenait du 26 au 28 avril, à Victoria Falls, au Zimbabwe. Pour cette première édition hors du Rwanda, plus de 5 000 délégués de plus de 100 pays se sont réunis sous l’égide de Smart Africa pour s’engager dans la transformation numérique du continent dans de multiples secteurs.
Par Dounia Ben Mohamed, à Victoria Falls, Zimbabwe
Historique. C’est ainsi qu’aura été qualifiée la sixième édition de Transform Africa Summit. Parce qu’elle se tenait pour la première fois hors du pays qui l’a vu naître, le Rwanda, pour être accueilli à Victoria Falls, au Zimbabwe; du fait de la participation de « haut niveau ». Cinq chefs d’État, dont un roi, 44 ministres et environ 4 000 délégués de 91 pays. « Une preuve de la mobilisation du continent en faveur de la transformation digitale » diront les organisateurs. Sans doute. Originaires des 5 continents, représentants du secteur public, responsables institutionnels et partenaires au développement, chefs d’entreprises et startuppeurs… Tous réunit par la même cause : accélérer la digitalisation du continent.
Pourtant, si les chants traditionnels, tapis rouges et autres distinctions étaient de la partie afin d’accueillir comme il se doit les prestigieux invités, aucune festivité n’aura été prévue alors que cette édition coïncidait avec le dixième anniversaire de Smart Africa Alliance, l’institution panafricaine à l’origine de l’événement. L’heure n’étant pas à la fête. Ainsi que l’aurons rappelé à nombreuses reprises les différents chefs d’états, responsables institutionnels, chefs d’entreprises et autres partenaires de l’Alliance conviés au RDV traditionnel de l’institutionnel, annuel mais qui n’avait pas eu lieu depuis la dernière édition à Kigali en 2019 en raison de la pandémie Covid 19. Laquelle aura plus que rappelé le rôle et l’impact des technologies en Afrique. Or si la révolution digitale qui s’opère en Afrique s’accélère, environ deux tiers du continent, soit 900 millions de personnes, n’ont toujours pas accès à internet.
Si le haut débit s’est répandu rapidement en Afrique, plus de 60% des personnes qui ont accès à
internet ne l’utilisent pas
« Transformer l’Afrique signifie digitaliser nos économies », ainsi que le soulignera le président rwandais Paul Kagame, par ailleurs président du conseil d’administration de Smart Africa. Or, observera le président « si le haut débit s’est répandu rapidement en Afrique, plus de 60% des personnes qui ont accès à internet ne l’utilisent pas. » En cause, le coût des connexions, encore trop élevés, mais également « parce que les utilisateurs ne sont pas encore à l’aise avec l’interface, dans une langue qu’ils ne comprennent pas. »
Renforcer les compétences et la littératie numérique; travailler sur les identités numériques et la cybersécurité; mettre en place, à l’aune de la ZLECAf, le marché numérique africain unique. Autrement dit les éléments essentiels selon lui, invitant au passage à accélérer la cadence, en adoptant au passage l’intelligence artificielle. C’est la mission que s’est attribuée Smart Africa. Lancée en 2013 par 7 chefs d’État africains, l’Alliance compte désormais 36 pays membres, représentant plus d’un milliard de personnes et plus de 40 membres du secteur privé, ainsi que des organisations internationales et d’acteurs mondiaux du secteur privé chargés de l’agenda numérique de l’Afrique. Résolue à accélérer le développement socio-économique durable sur le continent et à faire entrer l’Afrique dans l’économie du savoir grâce à un accès abordable au haut débit et à l’utilisation des TIC, avec comme vision de créer un marché numérique unique en Afrique d’ici 2030, la Smart Africa Alliance, après une première décennie d’expérimentation entame une nouvelle étape, et une nouvelle feuille de route.
Si la moitié de son marché n’a pas accès à internet, cela devient un marché numérique de seulement 700 millions de personnes. Ce n’est pas l’Afrique que nous voulons
« Dix ans, c’est un âge important pour une institution. Notre anniversaire n’est pas tant une festivité mais l’occasion de faire une pause et de revenir sur les dix dernières années pour regarder devant les montagnes que nous devons encore gravir » indiquera Lacina Koné, le directeur général de Smart Africa Alliance. Avec des débuts « modestes », trois membres du bureau et un capital de 600 000 dollars américains, « nous pouvons dire avec fierté que nous avons joué notre rôle ». Marquée par des « partenariats stratégiques »,_ plus d’une centaine, y compris avec des agences de développement et des organisations de financement telles que BMZ, GIZ, l’Union Européenne, la Banque Mondiale, la Banque africaine de développement, la BADEA…_ la décennieaura également vu grandir l’Institution. « Nous sommes passés de 7 états membres en 2013 à une alliance de 36 états membres représentant une population de 1,1 milliard de personnes et nous continuons de grandir. De 3 membres avec un capital de 600 000 dollars USD en 2023 le secrétariat de Smart Africa Alliance est passé à plus de 50 membres et un capital de 23 millions de dollars USD. » Alors que le Royaume d’Eswatini est devenu le 37ème Etat membre de l’alliance en marge du Sommet, les Républiques de Gambie et du Botswana ont également manifesté leur intention de rejoindre l’Alliance. De même, des membres du secteur privé, dont Irembo, Ascend Digital et Asmos Consulting Africa, ont également officialisé leur adhésion au cours du sommet.
« Mais l’intégration africaine reste jusqu’à présent limitée, concède -t-il. Les exportations intra-africaines ne représentent que 16,6 % des exportations totales par rapport à 68,1% dans l’Union Européenne, 59,4% en Asie, 55% en Amérique. De plus, l’Afrique est le continent avec le plus bas taux de pénétration d’internet avec environ 39 à 40% de la population par rapport à une moyenne mondiale de près de 60%. Si la moitié de son marché n’a pas accès à internet,cela devient un marché numérique de seulement 700 millions de personnes. Ce n’est pas l’Afrique que nous voulons. Pour bâtir l’Afrique dont nous rêvons nous devons aller plus vite et la 4ème révolution industrielle nous permet d’accélérer le rythme et de faire des sauts. L’Afrique que nous voulons est un continent transformé, innovant, connecté, ce qui est le thème de ce sommet, ce qui implique de traduire la feuille de route de la révolution numérique de l’Afrique et atteindre notre vision commune, la création d’un seul marché numérique d’ici 2030. »
Nous visons à avoir un plus grand impact sur la transformation économique et sociale de l’Afrique et placer les Africains au centre de la révolution digitale
Une vision et une ambition que Smart Africa Alliance, à travers sa nouvelle feuille de route 2023-2025 est résolue à accompagner, voire à « bousculer ». « Nous visons à avoir un plus grand impact sur la transformation économique et sociale de l’Afrique et placer les Africains au centre de la révolution digitale pour la création d’une société juste et inclusive qui offre des chances égales à tous. » Et d’en conclure : « Dix ans plus tard, notre mandat reste plus pertinent que jamais. »
Ce qui passe par une approche collaborative insistera Jenfan Muswere, ministre zimbabwéen des TICs, lors de la cérémonie d’ouverture. « Nous sommes réunis ici pour discuter des défis et des opportunités auxquelles l’Afrique est confrontée dans la réalisation de la transformation digitale, apprendre les uns des autres et trouver les moyens pour que chaque Africain ait accès aux avantages de la révolution digitale, aura rappelé le ministre. Nous pensons que la transformation digitale est essentielle pour le développement économique et le progrès social du continent. Nous nous engageons à travailler avec nos frères et sœurs africains et avec nos partenaires internationaux pour construire une Afrique numérique qui profite à tous en veillant à ne laisser personne sur le côté. » Citant à ce titre, les initiatives misent en place par son pays pour transformer l’économie nationale en une économie intelligente et faire du Zimbabwe « une smart nation ». « Notre gouvernement a reconnu l’importance du digital et en a fait une priorité. C’est pourquoi nous avons développé la politique nationale des TIC qui fournit un cadre pour le développement du secteur IT du Zimbabwe. » Un secteur qui a grandi de manière significative ces dernières années au Zimbabwe assurera -t-il, contribuant de manière significative au PIB, créant des opportunités d’emplois pour les jeunes, participant à l’émergence d’écosystèmes de startups dynamiques, se traduisant également par la croissance du e-commerce et des services numériques. Un effort collectif soulignera le ministre. « Le succès de la transformation digitale demande de la collaboration et des partenariats, entre Africains, avec la communauté internationale. Ces partenariats vont devenir essentiels pour atteindre nos objectifs et réaliser le plein potentiel de la révolution numérique africaine. »
Faire preuve d’ambition a enfin exhorté le président zambien, appelant à son tour à la mise en place d’un marché digital unique. « Nous nous réjouissons de la mise en place de guichet unique à nos frontières mais nous devrions être fiers et assez ambitieux quand il n’y aura plus de stop à nos frontières. Est-ce possible? C’est possible. Si nous mettons en place une plateforme numérique. » Et d’en souligner les bienfaits en termes d’économie de temps, d’argent, pour les entreprises, pour les Etats qui verront alors augmenter les ressources publiques. « Ce qui m’irrite en tant que président dans notre pays, la bureaucratie dans le secteur public. Or j’ai fini par comprendre que ce n’est pas seulement la bureaucratie mais les intérêts cachés. Plus le processus est lent, plus il est corrompu et moins les revenus du trésor sont collectés. »
La digitalisation nous donne l’opportunité d’unifier l’Afrique
« La digitalisation nous donne l’opportunité d’unifier l’Afrique », conclura le ministre zimbabwéen. Maintenant nous devons appliquer l’agenda de Smart Africa. » En attendant, le sommet a été marqué par la signature dedivers accords, dont un projet de 1,5 million de dollars de Smart Africa et de la Banque africaine de développement visant à rationaliser les politiques en matière de commerce numérique et de commerce électronique dans dix pays africains, un accord entre Smart Africa et le secrétariat de la zone de libre-échange continentale africaine visant à renforcer la collaboration dans le domaine de l’information, de la communication et des technologies afin de développer un marché numérique unique pour l’Afrique au sein de la zone de libre-échange continentale africaine, et la signature de l’Alliance fiduciaire Smart Africa (SATA) par huit États membres fondateurs afin de connecter tous les systèmes grâce à un cadre fiduciaire.
D’autres partenariats dans les domaines de la connectivité, de l’infrastructure numérique, de la cybersécurité, de l’entrepreneuriat et du renforcement des capacités ont également été signés, notamment avec la fondation I4Policy, Hitachi Systems Security, Zhejiang, Gaia-x European Association for data, Internet Society et Estonian ICT Cluster (ITL).