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Sénégal : quand la menace terrorise l’économie

Le Sénégal n’est pas épargné par la menace terroriste et ce n’est plus un secret. La diffusion récente d’un message conjoint des diplomaties française et américaine, conseillant d’éviter certains marchés de Dakar, et certains lieux touristiques de la Petite Côte, a fini par ralentir une bonne partie de l’activité économique de ce pays d’Afrique de l’Ouest. ANA est allée à la rencontre d’acteurs du secteur économique.

Dimanche 1er mai 2016, nous sommes au marché Tilène de Dakar, un des endroits déconseillés. Habituellement bondé de monde, ce marché, dont la plupart des commerçants viennent de la Guinée Conakry, a visiblement désempli. L’alerte donnée par les autorités françaises et américaines, reprise par le Sénégal, est respectée. La raison est bien simple : « Les gens ont maintenant peur de faire leur marché ici à Tilène. Ceux qui ne peuvent pas éviter notre marché, font tout pour ne pas perdre de temps quand ils viennent. Ils achètent le nécessaire, le reste, ils préfèrent aller l’acquérir dans d’autres endroits jugés plus sûrs pour eux », nous souffle Mamadou Bâ, la quarantaine révolue, qui tient une boutique où l’on vend les denrées de première nécessité, notamment, le riz, l’huile, le sucre, le lait, des oignons et autres pommes de terre. « Avant cette alerte, je pouvais me faire un chiffre d’affaires quotidien pouvant facilement dépasser les 500 000 FCFA, mais actuellement, difficile de boucler la journée avec 300 000 FCFA », lance-t-il la mine serrée.

« On ne voit plus les clients comment avant »

Au Marché Soumbédioune, quasiment le même constat : les gens n’achètent plus le poisson comme avant. Ce haut lieu de la vente de poisson, aux abords du village artisanal de la même localité, grouillait de monde jadis. Une fois le soleil couché, les populations de Dakar, notamment de la Médina, de Castors, des HLM, du Plateau et autre Fann où se trouvent nombre de représentations diplomatiques, prenaient d’assaut ce marché où l’on trouve tous les types de fruits de la mer. Outre des poissions, des écrevisses, crevettes et autres homards. C’était en effet le coin secret des expatriés qui adorent pour la plupart les fruits de mer bien frais. « On ne voit plus les clients comment avant », souffle Sokhna Fall, la trentaine sonnée, le pagne bien noué à la taille, devant son étal de poisson frais, notamment de Thiof, Capitaine et autres. « Je broie du noir en ce moment. Tous mes clients potentiels, surtout des Asiatiques, ne viennent plus comme avant. Le peu d’entre eux qui viennent, ne font que des flashs, juste pour acheter le nécessaire. Avant, ils prenaient leur temps de venir, voir les poissons, choisir et faire écailler sur place. Ils prenaient une bonne quantité de poisson, mais depuis un moment, plus rien ne marche. Il m’arrive de penser à soit changer de lieu ou laisse r ce métier et faire autre chose », se lamente la jeune dame qui met cette chute des ventes sur le compte de la menace terroriste, mais surtout du dispositif sécuritaire mis en place sur la Corniche Ouest qui regorge d’hôtel.

En effet, non loin de cette plage Soumbédioune se trouvent les hôtels Terrou-Bi et autre Radisson Blu. Ici, les curieux n’ont pas leur place. Et pour y accéder, il faut montrer patte blanche, avec des détecteurs de métaux tous azimuts. La surveillance est visible et les agents de sécurité, renforcés par les forces de l’ordre de la police et de la gendarmerie nationale, arme au poing, pratiquent la tolérance zéro. Les véhicules sont fouillés au peigne fin, les personnes passées au crible. Rien ne passe. Ce qui inquiète un peu les touristes, au point que « certains préfèrent ne pas courir le risque de venir. Par contre, d’autres apprécient cette sécurité et se disent tranquilles. Mais le fait que l’accès à notre complexe soit rendu difficile depuis un moment avec les fouilles systématiques, rappelle aux visiteurs l’imminence d’une attaque terroriste. Et forcément, cela joue sur le secteur. Les recettes vont, pour sûr, connaître un sacré coup », nous confesse ce travailleur dans un restaurant de la place.

« Quel est endroit est le plus sûr dans ce monde ? »

A 80 kilomètres de Dakar, plus précisément à Saly Portudal, ville touristique par excellence, située dans la région de Thiès, département de Mbour, la menace est pressante, mais elle se ressent moins dans les ruelles qui grouillent d’Occidentaux. « Vous voulez que je fasse quoi », nous demande ce sexagénaire français. « J’ai ma maison ici à Saly où je vis depuis bientôt 5 ans, je ne vais pas l’abandonner et partir sous prétexte qu’il y a la menace terroriste. Et puis, quel est endroit est le plus sûr dans ce monde ? C’est là la question. Les terroristes ont frappé en France, ils ont frappé en Belgique. Pourtant, ces pays sont supposés plus sûr que l’Afrique, et ils ont été touchés par les terroristes. Alors, si on me demande si je suis en sécurité ici au Sénégal, je répondrai par l’affirmatif », lance-t-il avec assurance. Cela se comprend en partie, compte tenu du dispositif sécuritaire mis en place.

En effet, selon ce gradé de l’armée sénégalaise qui a préféré requérir l’anonymat, « outre les services de sécurité visibles sur le terrain, le Sénégal a déployé beaucoup plus d’agents de s force de l’ordre qui sont en civil et se fondent dans la foule. Ils sont armés et prêt à intervenir. A mon avis, toute personne qui compte mener un forfait sera abattu par un agent en civil avant qu’il n’agisse ». Une assurance donnée, mais qui ne se reflète pas chez les citoyens puisque ce petit commerçant d’objets d’art dit se tourner les pouces depuis les alertes données quant à une imminente menace terroriste sur le Sénégal. Mamadou Diouf est convaincu que si les touristes se font davantage rares dans son petit commerce, il va plier bagages et rentrer dans son fief, un village qui se trouve derrière la ville de Touba. « Le menace terroriste a vraiment ralenti les affaires ici à Saly, depuis que le gouvernement a lancé l’alerte. Les touristes sont moins fréquents sur les lieux publics. Ils vont moins dans les marchés et autres restaurants. Cela joue beaucoup sur les recettes. Il ne serait pas étonnant de voir certains complexes hôteliers mettre la clé sous le paillasson tellement la clientèle se fait rare ».

A Obama Beach, un complexe hôtelier situé sur la plage, les touristes sont présents, mais beaucoup moins qu’avant. La raison coule de source : « La menace terroriste annoncé sur le Sénégal. Mais nous on ne sent pas trop cette incidence su notre clientèle qui est diverse et variée », nous confie cette serveuse sous le couvert de l’anonymat. Elle poursuit en avouant que le complexe « reçoit moins d’Occidentaux qu’avant. Et c’est normal, car la menace a été annoncée partout. Forcément, certains seront réticents quant à l’idée de fréquenter des plages, surtout que l’attaque d’Abidjan a été perpétrée sur une plage ». Pour autant, elle « prie pour que les terroristes ne frappent jamais le Sénégal, qui est un pays musulman et frère par ailleurs ».

Le constat est là, la menace terroriste est présente au Sénégal. Elle affecte d’autant plus les commerces et autres établissements hôteliers qu’elle a fini d’installer la psychose dans ce pays d’Afrique de l’Ouest jadis connu pour sa stabilité politique certes, mais aussi et surtout sécuritaire, socle d’une économie en bonne santé.


 

Par Malick Diallo

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