Selma Malika Haddadi : « L’Afrique peut-elle s’élever dans un monde fracturé ? »
Lors de la 32ᵉ assemblée annuelle d’Afreximbank à Abuja, Son Excellence l’Ambassadrice Selma Malika Haddadi, vice‑présidente de la Commission de l’Union africaine, a prononcé un discours majeur intitulé « Can Africa Rise in a Fractured World? ». Face à des crises mondiales multiples, elle a lancé un appel vibrant en faveur d’une plus grande intégration continentale, d’un financement souverain, de l’émancipation des jeunes et d’une voix africaine unifiée sur la scène internationale. Un plaidoyer pour transformer la résilience en leadership et imaginer un avenir dessiné par les Africains eux-mêmes.

Par Selma Malika Haddadi*
« Can Africa Rise in a Fractured World? »
C’est un grand honneur d’être ici à Abuja, cœur vibrant de l’Afrique de l’Ouest, pour l’assemblée annuelle d’Afreximbank, lieu de vision, de dessein et d’ambition pour le continent africain. J’exprime, au nom de la Présidente de la Commission de l’Union africaine, Son Excellence Mahmoud Ali Youssouf, la plus profonde reconnaissance de l’Union africaine à AfreximBank pour votre engagement durable dans le développement de l’Afrique et votre leadership audacieux face à l’adversité.
Le thème qui nous réunit, Can Africa Rise in a Fractured World?, n’est pas qu’une question : c’est le défi de notre époque. Un appel au courage, à la vision et à la responsabilité collective. Et il est opportun. Mais comment ?
Première partie : dans un monde fracturé, la promesse de l’Afrique
Nous sommes confrontés à des crises mondiales profondes et croisées. Le système multilatéral est sous tension, le commerce mondial se fragmente, les catastrophes climatiques s’intensifient, l’insécurité alimentaire s’amplifie et les conflits se multiplient. La confiance envers les institutions internationales se délite. Pourtant, au cœur de cette turbulence, l’Afrique incarne une double réalité : vulnérabilité et promesse. Nous sommes le continent le plus jeune, riche en ressources naturelles, mais encore plus riche en potentiel humain. Nous avons traversé des chocs économiques, des pandémies et des montagnes de dettes, et nous restons debout, résilients et pleins d’espoir. La question n’est pas de savoir si l’Afrique peut s’élever, mais comment elle le fera à ses propres conditions.
Deuxième partie : intégration et Agenda 2063 – le plan de montée de l’Afrique
La réponse de l’Afrique à un monde fracturé réside dans une plus forte intégration, non dans la division. Notre projet phare, la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECAf / AfCFTA), est l’instrument le plus puissant pour réaliser cette vision d’un continent intégré. La ZLECAf relie 55 nations en un marché commun, promesse de croissance et de développement. Cette vision s’appuie sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, notre feuille de route pour transformer l’Afrique en puissance mondiale. Agenda 2063 se concrétise par des investissements dans les chaînes de valeur régionales, la numérisation du commerce et des finances, et des partenariats qui privilégient les solutions africaines. La ZLECAf en est le moteur économique, avec des institutions comme Afreximbank en partenaires catalyseurs.
Et déjà, des signes concrets émergent. Les expéditions pilotes dans le cadre de la ZLECAf ont commencé, les protocoles douaniers s’améliorent. Les PME – notamment celles dirigées par des femmes et des jeunes – accèdent à de nouveaux marchés à travers le continent. Le commerce intra‑africain a dépassé les 200 milliards de dollars, en partie grâce au Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS) d’Afreximbank, facilitant les transactions transfrontalières. L’intégration n’est pas un idéal, mais une voie concrète vers la prospérité partagée.
Troisième partie : financer l’avenir de l’Afrique avec des solutions indigènes
L’Afrique ne peut s’élever sans financements inclusifs et souverains. Pendant trop longtemps, les créanciers externes ont imposé des conditions qui ne nous servaient pas ; l’Afrique trace donc une voie différente. Afreximbank prouve que des solutions financières africaines fonctionnent : prêts contracycliques en crises, soutien aux chaînes d’approvisionnement régionales, innovations avec PAPSS (paiements) et MANSA (due diligence). Ces efforts démontrent que l’Afrique peut financer son propre développement.
La Commission de l’Union africaine milite activement pour la mobilisation des ressources domestiques. L’Afrique perd environ 89 milliards de dollars chaque année à cause des flux financiers illicites – de l’argent qui devrait servir à construire des écoles et à améliorer la santé. Nous devons stopper cette hémorragie par une gouvernance renforcée, la coopération régionale, et des réformes pour élargir les bases fiscales et freiner les fuites illicites. Nous disposons aussi de pools de capitaux inexploités : les fonds de pensions africains gèrent collectivement environ 777 milliards de dollars d’actifs. Nous devons canaliser davantage ces économies locales vers les infrastructures et entreprises africaines. Nous plaidons aussi pour un système financier mondial plus juste : une voix africaine renforcée au FMI et à la Banque mondiale, et la fin des notations de crédit biaisées qui pénalisent nos coûts d’emprunt.
Quatrième partie : exploiter la puissance de la jeunesse et la force de la diaspora
De Lagos à Los Angeles, la musique et le cinéma africains captivent le monde. Ce rayonnement n’est pas seulement culturel : c’est un soft power et une opportunité économique, révélant l’émergence audacieuse de l’Afrique sur la scène mondiale. Pour libérer pleinement le potentiel de notre jeunesse, nous devons investir dans une éducation de qualité (particulièrement en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), développer la formation technique et professionnelle, et assurer l’inclusion numérique pour que chaque jeune Africain ait accès aux opportunités. L’Union africaine soutient ces objectifs à travers des initiatives comme un corps renouvelé de volontaires jeunesse de l’UA et de nouveaux programmes continentaux de stages et d’emplois.
La diaspora africaine est également un atout formidable. Chaque année, des millions d’Africains à l’étranger envoient plus de 100 milliards de dollars de remesas et apportent des expertises et réseaux mondiaux. Nous devons les considérer comme de vrais partenaires de l’essor africain et comme des co‑créateurs. J’encourage nos gouvernements et banques à créer des obligations diaspora et des fonds d’investissement pour canaliser ces capitaux vers le développement africain. Notre jeunesse et notre diaspora sont essentiels à notre avenir ; leur inclusion complète est impérative. Un continent divisé ne peut s’élever.
Cinquième partie : affronter la crise climatique et exiger justice
L’Afrique est au front de la crise climatique – tout en étant peu responsable de celle‑ci. Nos populations subissent la sécheresse, les inondations et la désertification. Ces phénomènes ne sont pas que des problèmes environnementaux : ce sont des menaces existentielles pour des vies et des économies sur le continent. Nous devons investir dans l’énergie bas carbone pour croître et bâtir des infrastructures résilientes pour protéger nos communautés. En même temps, nous devons exiger la justice climatique et tenir les pays riches pour responsables. Ils se sont engagés à mobiliser 300 milliards de dollars par an d’ici 2035, pour atteindre 1 300 milliards à long terme. L’Afrique exigera que ces promesses soient tenues, avec un soutien adéquat et ponctuel pour relever l’urgence climatique.
Nous devons protéger nos économies des politiques climatiques extérieures. Des mesures unilatérales comme les droits carbone pourraient fragiliser nos exportateurs. Nous devons garantir à nos industries les moyens de verdir leurs activités et rester compétitives. L’Afrique ne doit pas être pénalisée pour adopter la durabilité ; elle a besoin d’un soutien pour s’ajuster sans compromettre sa croissance.
Sixième partie : une voix unifiée dans un monde multipolaire
Le monde n’est plus bipolaire ou unipolaire – il est multipolaire, et l’Afrique doit s’affirmer comme un pôle d’influence confiant. L’inclusion de l’Union africaine en tant que membre permanent du G20 est une avancée diplomatique majeure, reconnaissant l’importance mondiale de l’Afrique. Mais nous devons transformer cet acquis en influence réelle. Les 55 nations africaines doivent parler d’une seule voix dans les forums internationaux – sommets climatiques, négociations commerciales, débats à l’ONU. Avec une population de plus de 1,4 milliard de personnes et une puissance économique croissante, l’Afrique peut passer de la périphérie des décisions à leur centre par l’unité. Notre force collective garantira que les décisions mondiales reflètent mieux les intérêts de l’Afrique.
Septième partie : soutenir l’essor – leadership et unité
Alors, l’Afrique peut-elle s’élever dans un monde fracturé ? La vérité est que l’Afrique s’élève déjà. Nous le voyons dans notre commerce intra‑africain en hausse, nos innovations financières, et la créativité et détermination de nos peuples. Nous nous élevons parce que nous choisissons la coopération contre le conflit, l’autonomie contre la dépendance, et l’unité contre la fragmentation. Cependant, ce progrès n’est pas automatique ni garanti. Maintenir notre ascension requiert leadership responsable, institutions efficaces, politiques inclusives et partenariats respectueux. En somme, cela exige bonne gouvernance et un engagement constant à inclure chacun dans notre développement. L’essor de l’Afrique ne sera pas le fruit du hasard ; il sera le résultat de notre design, de notre détermination et de notre action collective.
Et enfin : s’élever par la résilience et le design
Trop longtemps, l’histoire de l’Afrique a été dominée par l’adversité. Pourtant, chaque défi – colonialisme, conflits, pandémies, exclusion économique – nous a rendus plus résilients et plus unis. Cette résilience est le socle de notre avenir, et il est temps de la magnifier.
Aujourd’hui, je lance un appel vibrant à tous les Africains : il est temps d’imaginer ensemble l’avenir que nous voulons.
- Libérons le capital africain et investissons-le dans notre développement.
- Finançons des infrastructures transformatrices à travers le continent.
- Investissons dans les entrepreneurs africains, en particulier les jeunes et les femmes.
- Numérisons les systèmes financiers pour booster le commerce intra‑africain.
- Construisons une économie continentale autosuffisante.
À notre diaspora : vos connaissances, réseaux et ressources sont précieux. Nous vous invitons à « rentrer à la maison », avec votre vision et expertise, en partenariat avec les institutions africaines.
Ensemble, façonnons le destin de l’Afrique en cohérence avec l’Agenda 2063, pour que la prochaine génération hérite d’un continent prospère et fier. L’Afrique n’est pas en manque de potentiel. Dans un monde fracturé, qu’elle soit la réponse à ses propres défis. Unie dans la conviction et la volonté, l’Afrique ne se contentera pas de s’élever : elle s’envolera.
Élevons-nous, résilients, ingénieux, prêts.
Élevons-nous, construisons l’Afrique que nous méritons.
Que l’Afrique s’élève, que l’Afrique s’unisse, que l’Afrique conduise.
Merci.
Merci. Shukran. Obrigado. Asante Sana.
Que Dieu bénisse l’Afrique.
*Discours de l’Ambassadrice Selma Malika Haddadi, Vice‑Présidente de la Commission de l’Union africaine, lors de la séance plénière de la 32ᵉ assemblée annuelle d’Afreximbank, 27 juin 2025.