Sécurité, souveraineté et matières critiques : l’urgence de solutions africaines
La Conférence internationale sur la sécurité en Afrique (ISCA), tenue à Kigali du 19 au 21 mai 2025, a réuni plus de 1 000 experts africains et internationaux pour discuter des défis sécuritaires et stratégiques du continent. Entre cybersécurité, souveraineté sur les ressources naturelles, intelligence artificielle et terrorisme, l'événement a souligné l'urgence de solutions africaines face à un monde en mutation.

Par Dounia Ben Mohamed, à Kigali
Face à un monde fragmenté, sous tension géopolitique et technologique, l’Afrique n’a plus le luxe de l’attentisme. La première édition de la Conférence internationale sur la sécurité en Afrique (ISCA), organisée à Kigali du 19 au 21 mai 2025, a marqué une étape majeure dans la construction d’un discours stratégique africain. Avec la participation de délégués venus de 17 pays, la rencontre avait pour objectif de « fournir une plateforme de dialogue et de coordination politique adaptée aux enjeux sécuritaires africains », selon Moussa Faki, ancien président de la Commission de l’Union africaine et président du Conseil consultatif de l’ISCA.
Durant trois jours, plus de 1 000 acteurs – responsables gouvernementaux, experts du renseignement, représentants de la société civile et du secteur privé – ont exploré les menaces majeures qui pèsent sur la sécurité et le développement du continent : cybermenaces, terrorisme, instabilité politique, criminalité transnationale, mais aussi la course mondiale aux matières premières critiques.
Plus qu’un diagnostic sur les menaces, cette rencontre de haut niveau a posé les bases d’une vision souveraine et intégrée de la sécurité, articulée autour de trois leviers : la maîtrise des technologies, la transformation des ressources critiques, et une nouvelle gouvernance du développement.
Cybersécurité, IA : pour une autonomie stratégique

La transformation numérique, si elle représente une promesse de croissance, constitue aussi un champ de vulnérabilités. À Kigali, le message a été clair : les cybermenaces, l’ingérence numérique et les solutions technologiques importées doivent inciter le continent à affirmer sa souveraineté technologique.
Tout ce qui est conçu ailleurs ne sert pas forcément nos intérêts
« Tout ce qui est conçu ailleurs ne sert pas forcément nos intérêts », a averti Noordin Haji, directeur du renseignement national du Kenya. Derrière cette déclaration se cache un impératif : développer des politiques africaines en matière d’intelligence artificielle, adaptées aux contextes locaux, aux besoins des institutions, mais aussi aux valeurs culturelles du continent.
Au cœur du débat, la nécessité de rendre le renseignement exploitable par les systèmes judiciaires a également été soulignée : « Nous avons longtemps eu du mal à transformer le renseignement en preuves recevables. Il faut que l’intelligence serve efficacement les systèmes judiciaires et policiers », a-t-il ajouté.
La ministre rwandaise des TIC, Paula Ingabire, a quant à elle mis en avant l’approche « zéro confiance » adoptée par son pays pour sécuriser l’espace numérique, combinée à l’engagement du Rwanda dans la Convention de Malabo, pierre angulaire de la coopération africaine en cybersécurité.
Ressources critiques : de la convoitise mondiale à la souveraineté économique
La ruée mondiale vers les matières premières stratégiques — lithium, cobalt, uranium — place l’Afrique au centre de rivalités géoéconomiques majeures. Mais dans cette nouvelle guerre silencieuse, le continent continue d’exporter à bas prix ce que d’autres transforment et valorisent.
Nous épuisons nos ressources à grande vitesse. Quand notre industrie décollera, nous risquons de devoir importer ce que nous avons aujourd’hui en abondance
Donald Kaberuka, ancien ministre rwandais des Finances et président de Southbridge Group, a pointé une réalité souvent éludée : « Certaines puissances achètent des minerais pour les stocker et priver leurs rivaux ». Et d’avertir : « Nous épuisons nos ressources à grande vitesse. Quand notre industrie décollera, nous risquons de devoir importer ce que nous avons aujourd’hui en abondance ».
Son constat rejoint celui de Lassina Zerbo, président du Rwanda Atomic Energy Board, pour qui la souveraineté ne se limite pas à l’extraction : « Les matières critiques ne sont pas qu’une affaire de commerce, elles relèvent de la sécurité ». Un chiffre, à lui seul, résume l’ampleur de l’enjeu : une tonne de bauxite brute se vend 65 dollars, contre 2 500 dollars une fois transformée en aluminium.
Une gouvernance repensée pour un développement résilient

À travers les interventions des experts et décideurs, une conviction s’est imposée : la sécurité du continent ne peut être dissociée de son développement économique, ni de sa capacité à transformer ses ressources et à s’affranchir des dépendances structurelles.
L’Afrique a une immense opportunité à saisir dans les 25 prochaines années. La demande mondiale en ressources naturelles va exploser. Ces perspectives peuvent transformer le continent, à condition de changer de mentalité et d’instaurer une bonne gouvernance
Kingsley Moghalu, président de l’Africa School of Governance, a défendu avec force l’idée d’un changement de mentalité : « Il faut en finir avec la logique de captation individuelle. L’avenir économique de l’Afrique dépend de notre capacité à remonter la chaîne de valeur ». Plus qu’un enjeu de compétitivité, la transformation locale est aussi une condition de stabilité géopolitique. « Ce n’est pas seulement vital pour le commerce, mais aussi pour l’équilibre des puissances à l’échelle mondiale », a-t-il précisé.
Pour Moghalu, la fenêtre d’opportunité est courte mais réelle : « L’Afrique a une immense opportunité à saisir dans les 25 prochaines années. La demande mondiale en ressources naturelles va exploser. Ces perspectives peuvent transformer le continent, à condition de changer de mentalité et d’instaurer une bonne gouvernance ».
Vers une architecture sécuritaire africaine
Au fil des discussions, la Conférence ISCA a esquissé les contours d’une architecture africaine de la sécurité, à la fois régionale, multidimensionnelle et anticipatrice. Une sécurité conçue non plus comme une simple défense contre les menaces, mais comme un outil de puissance, de négociation et de transformation.
Sortir d’une posture défensive pour adopter une approche proactive en matière de sécurité
Moussa Faki Mahamat, président du conseil consultatif de l’ISCA, a résumé l’enjeu : offrir à l’Afrique une plateforme adaptée à ses réalités, pour penser ses priorités au-delà des influences extérieures.
Pour Julie Gichuru, modératrice de l’un des panels et présidente de l’ALADI, il s’agit de « sortir d’une posture défensive pour adopter une approche proactive en matière de sécurité ». En clair : ne plus subir, mais bâtir. Et vite.
Un appel à l’action
La création d’ISCA comme forum permanent n’est pas un simple geste symbolique. Elle marque le début d’un cycle nouveau, où l’Afrique ambitionne de reprendre la main sur son destin stratégique.
Au-delà des diagnostics, Kigali aura été un appel à l’action. Pour une Afrique résiliente, souveraine, et pleinement actrice dans un monde en recomposition.