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Rokhaya Diallo : “Marche pour l’égalité, célébrer nos aînés, faire dialoguer les générations”

A l’occasion du quarantième anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme initiée en France, la journaliste, réalisatrice et essayiste Rokhaya Diallo a conçu un cycle d'événements au Centre Pompidou à Paris, du 10 au 12 novembre. Interview.

Propos recueillis par Mérième Alaoui, à Paris

Partis de Marseille le 15 octobre 1983, douze jeunes enfants d’immigrés, ont lancé une marche pacifiste pour dénoncer des crimes racistes, dont le déclencheur fut une énième bavure policière. Ils sont accueillis à Paris le 3 décembre 1983 par une manifestation de plus de 100 000 personnes, avant d’être reçus par le président de la République François Mitterrand. Ce qui a déclenché de nouveaux droits pour les immigrés.

La Marche pour l’égalité et contre le racisme, rebaptisée « marche des Beurs » par les médias, a 40 ans cette année. Mais si elle est considérée comme « le Mai 68 des enfants d’immigrés », elle peine toujours « à imprimer notre mémoire collective » déplore Rokhaya Diallo. Sur proposition de l’infatigable journaliste et réalisatrice franco-sénégalaise, le Centre Pompidou à Paris, rassemble les acteurs, témoins, chercheurs et artistes à revenir sur cet événement politique, sur trois journées dédiées.

Où en est la lutte ? Quel dialogue entre les pionniers et les jeunes générations? Un cycle de débats, de conférences qui est avant tout un événement commémoratif pour donner forme à « l’espérance de voir la mémoire aider à affronter les défis du présent» explique Rokhaya Diallo. L’événement résonne en effet tristement avec l’actualité récente en France, qui a connu une flambée de révoltes suite au décès de Nahel Merzouk, 17 ans, après un contrôle policier.

Rokhaya, pourquoi avoir initié ce cycle de conférences autour de l’anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme?

Moment-clé dans l’histoire de l’immigration et de l’antiracisme en France, la Marche pour l’égalité et contre le racisme s’est déroulée du 15 octobre au 3 décembre 1983@Centre Pompidou

En 2022, j’ai contacté Mathieu Potte-Bonneville (NDLR : philosophe et directeur du Département culture et création du Centre Pompidou), que j’avais rencontré quelques semaines auparavant alors que j’animais une conversation au centre Pompidou autour du film d’Alice Diop “Nous”. Il s’est montré très ouvert à l’idée de commémorer les 40 ans de la Marche. Nous avons réfléchi à une programmation pour concevoir tous les aspects : l’engagement sur le terrain, la présence des femmes, les violences policières, les médias, la mobilisation anti-raciste,et ce, en essayant de mener des dialogues intergénérationnels. C’est un sujet qui m’importe depuis longtemps puisque j’ai réalisé mon premier documentaire “Les Marches de la liberté” sur le parallèle entre la Marche sur Washington menée entre autres par Martin Luther King et la Marche pour l’égalité et contre le racisme en France, initiée par Toumi Djaïdja, (victime d’une violence policière et un des initiateurs de la Marche NDLR) que les jeunes Américains de mon film avaient rencontré à Paris en 2013. Dix années plus tard, je me suis dit qu’il était important de poursuivre ce travail. J’avais à cœur de célébrer nos aînés et toutes celles et tous ceux sans qui je n’aurais pas la possibilité de m’exprimer, comme je le fais aujourd’hui contre le racisme. 

Quelle est justement la portée d’un tel événement organisé au Centre Pompidou, musée national d’art et de culture connu dans le monde?

La question de la légitimité de l’antiracisme et des mobilisations prend aussi forme dans les lieux de culture et d’art. Le Centre Pompidou avait monté en 1984 une très grande exposition qui s’appelait “Les enfants de l’immigration”, cette commémoration fait donc totalement sens. La question de la mémoire qui m’habite et me hante depuis très longtemps. La France est un pays qui fabrique l’amnésie et qui empêche les enfants d’immigrés de connaître les noms de celles et ceux qui ont agi pour que nous soyons debout aujourd’hui. Cela participe aussi à notre fragilité et souvent à notre détresse, à notre colère parce que sans une connaissance du passé, il est très difficile de construire l’estime de soi et sa légitimité. J’ai voulu aussi mettre à l’honneur les marcheuses, car souvent elles sont invisibilisées. Les femmes prendront la parole et rappelleront leur rôle en 1983.

Quel est votre regard sur l’évolution de la lutte antiraciste depuis 1983 ?

Malheureusement après la Marche il y a eu une prise en main politique et un effacement des mouvements de terrain notamment par la création de SOS Racisme, qui est devenu la face médiatique d’un antiracisme dépolitisé. Ce discours a mobilisé de nombreuses célébrités mais a, d’une certaine manière, éloigné les préoccupations de terrain à savoir la fin des violences policières. Aujourd’hui on prend en pleine figure l’effacement de thématiques qui étaient pourtant centrales. Au début et à la fin des années 2000, de nouveaux mouvements se sont concentrés sur des groupes spécifiques : les musulmans, les Roms, les Noirs, les Asiatiques… Parce que l’antiracisme institutionnel n’était pas parvenu à tenir compte de toutes les singularités et toutes les spécificités du racisme tel qu’il s’adressait aux différents groupes. Et je pense que c’est important. L’antiracisme inclut les groupes minorés, mais chacun doit pouvoir définir les moyens de sa propre lutte liée à des histoires particulières.

Et puis il y a l’actualité récente avec la mort de Nahel Merzouk, 17 ans, tué par la police le 27 juin dernier après un contrôle routier, qui a déclenché des révoltes de la jeunesse dans toute la France…

Malheureusement… Lorsque j’ai conçu l’évenement j’ignorais qu’il se tiendrait après, les révoltes engendrées par le meurtre de Nahel Merzouk. C’est glaçant : la Marche déclenchée par une violence policière, est toujours d’une actualité brûlante. C’est vraiment triste de voir l’histoire se répéter, et de constater que la police est aujourd’hui bien plus militarisée qu’auparavant. Si les médias comme les politiques ont des difficultés à reconnaître la dimension raciste de ces crimes, une forme de militantisme plus politique que ce que pouvait être SOS Racisme gagne en visibilité et renoue ainsi avec les origines de la Marche. A travers les événements que j’ai conçus, j’ai à cœur de faire dialoguer les générations, et j’espère que ce dialogue sera productif.

Y participer :

Ouvrir la marche

1983-2023 : 40 ans de lutte contre le racisme

Centre Pompidou, Paris

10 – 12 nov. 2023

https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/p4dtyPP#:~:text=Cet%20%C3%A9v%C3%A8nement%20comm%C3%A9moratif%20donne%20forme,%C3%A9galit%C3%A9%20et%20contre%20le%20racisme

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