Reportage CAMEROUN : pépinière Ntic
Comme ailleurs sur le continent, les jeunes camerounais peinent à trouver un emploi à la hauteur de leurs ambitions. Les plus ingénieux, eux, ont trouvé une option : les nouvelles technologies. Même si l’écosystème n’est pas encore adapté, la jeunesse camerounaise fait preuve d’innovations en la matière.Reportage à Yaoundé et Douala, par Lilia Ayari.
Par Dounia Ben Mohamed.
« C’est là que nous sommes nés, à Technopôle Sup-valor, en novembre 2014», se souvient Alain Nteff, co-fondateur de Gifted Mom, une application pour les femmes enceintes. Si aujourd’hui, ils sont confortablement installés dans leurs propres bureaux, tout juste en face, il y a quelques mois, ils naissaient au sein de l’incubateur Technopôle Sup-valor. Créé en 2012 par l’Ecole nationale supérieure polytechnique de l’université de Yaoundé, , accompagne de jeunes entrepreneurs en herbe à travers de la formation, du conseil, du financement en plus de l’hébergement. Une formule complète qui porte ses fruits : Technopôle Sup-valor est un véritable nid de génies. Le parcours d’Alain en témoigne. « Nous sommes restés 18 mois dans l’incubateur. Plus que des locaux, nous avions du coaching, des formations, Un véritable accompagnement. » C’était l’idée.
« Un de nos start-uppeur vient de décrocher un contrat avec Hollywood, un autre a inventé le cardioPad,… »
Situé en plein milieu universitaire, l’établissement à vocation à promouvoir l’entreprenariat des jeunes, identifier les projets et les accompagner à maturité, ainsi que l’explique Mariette Bissene Moulongo, directrice de Technopôle Sup-valor. « Le Technopole a été créé pour accompagner les jeunes vers la création d’entreprises. Nous, nous sommes spécialisés dans le numérique et nous avons formé depuis de nombreux jeunes, tous n’arrivent pas à bon port. » Mais les plus assidus, motivés, et innovants, excellent en revanche. « Un de nos start-uppeur vient de décrocher un contrat avec Hollywood, un autre a inventé le cardioPad, nous en avons d’autres dans l’éducation, le recyclage… » Tous accueillis ici et bénéficiant, entre autre, des conseils avisés de Mariette, elle même ancienne chef d’entreprise. « J’étais la meilleur dans mon domaine, n’hésite-elle pas à confier. J’ai créé une société qui a très bien marché, je l’ai ensuite vendu pour tout quitter et reprendre des Etudes management. » Et transmettre à d’autres son goût de l’entreprenariat, et son sens avisé du business.
Les frères Bélibi, fondateurs de Pneu pure, eux avaient déjà un sens prononcé pour les affaires. Benjamin et Frédéric, véritables jumeaux, ont été formés « à la maison », dans la concession automobile familiale. Et c’est là que le déclic leur vient : « A force de voir les pneus de voitures usés s’amasser dans l’atelier, et la difficulté à s’en débarrasser, on a eu l’idée de les recycler » explique tour à tour les deux frères. Le résultat Pneu Pure, né quelques temps plus tard, après plusieurs recherches et essais et l’accompagnement de Campus France et Arts et métiers-Paris Tech, une société spécialisée dans le recyclage des. Incubé à l’heure actuelle au Technopôle Sup-valor, Pneu pure va bientôt s’installer sur son propre site, un terrain, familial, de 4 hectares en périphérie de Yaoundé, où tout le cycle de production sera installé. Alors que le Cameroun importe plus de 6000 tonnes de pneus par an pour satisfaire une demande de véhicules qui affiche 7% de croissance, les frères Bélibi ont mis la main sur une véritable niche.
Plan Cameroun numérique 2020 : d’autres incubateurs à venir
Une réussite qui est en train de faire école dans le pays. Technopôle Sup-valor fait en effet office de référence pour les autorités camerounaises, qui dans le cadre du Plan Cameroun numérique 2020, prévoit d’installer d’autres incubateurs. Sur le même modèle de celui-ci qui a largement porté ses fruits. Afin d’offrir à la jeunesse camerounaise un écosystème mieux adapté à leurs ambitions. « Les freins que connaissent les jeunes quand ils veulent entreprendre, nous les connaissons tous. Mais le principal est le manque d’accompagnement. Un porteur de projet peut avoir la meilleure idée qui soit, si sa structure n’est pas solide à la base, il n’ira pas au bout, souligne la directrice. Parce qu’il n’a pas bénéficié d’un accompagnement à ses débuts. L’incubateur est là pour leur apporter tous les conseils, les outils, l’écosystème nécessaire qui fera qu’ils iront au bout de leur projet… et de leur rêve finalement. Car à l’origine de tout projet entrepreneurial, il y a un rêve. Parfois un peu fou. Mais même les idées les plus folles peuvent aboutir si elles sont suivies dans leur premier mois. »
Des applications qui répondent aux préoccupations du quotidien
Force est de constater en effet que la jeunesse camerounaise ne manque ni de talents ni d’idées. A l’image des fondateurs de ces start-up qui participent à faire du Cameroun une terre d’innovation. Si Gifted Mom, une application créée en 2013 pour fournir gratuitement informations et conseils aux futurs et jeunes mamans, a déjà séduit plus de 20 000 femmes et 34 centres de santé installés dans cinq régions du Cameroun, ses deux promoteurs ne veulent pas en rester là : alors que la plateforme s’exporte déjà au Nigeria et au Mali, avec une phase pilote en cours à Haïti, ils visent les 60 000 utilisatrices enregistrées d’ici la fin de l’année ; 100 000 en 2017. Sachant que chaque jour, plus de 800 femmes meurent pendant leur grossesse ou en accouchant, dans le monde…
Autre succès made in Cameroun, Kiro’o Games, le premier jeu vidéo 100 % africain. Kiro’o Games s’est avant tout une histoire collective. Celles d’ Olivier Guillaume Madiba, Dominique Yakan et Hugues Wouafo Nono. Des passionnés de jeux vidéo à l’origine d’Aurion, l’Héritage des Kori-Odan, le premier jeu vidéo 100% made in Cameroon. Un jeu où le héros doit hériter du pouvoir au sein de sa chefferie. Pour l’aider, il doit recueillir les conseils de ses ainés, des sages du village mais également combattre de nombreux ennemis. En somme un parcours semé d’embuches comme tout bon jeu vidéo. « On a puisé dans les traditions africaines pour poser à cette question : finalement, on critique tous nos gouvernements, mais si moi demain, j’avais le pouvoir, est-ce que je ferais mieux qu’eux ? interpelle Olivier. Et ce n’est pas un sujet qui concerne que l’Afrique mais est universel. C’était le pari : créer un jeu à dimension universelle. Le jeu s’adresse à un public international». Et c’est le marché que vise Kiro’o Games, à travers notamment une diffusion sur les plateformes de ventes en ligne.
Des applications qui répondent également aux préoccupations du quotidien. Ainsi à Douala, Taxi Vairified ou selon son slogoan « Circuler à Douala en toute sécurité », offre une réponse aux accidents de la route, qui affichent tous les ans des chiffres records dans la ville. D’où l’intérêt de la Communauté Urbaine de Douala (CUD), qui a mise en circulation, en avril dernier, 250 taxis sécurisés appelés «Taxi Vairified». Et ce, grâce à une application disponible sur Google play et sur l’App Store. Le fruit du travail de Patrick Ehode. « Nous avons un problème dans nos villes, le secteur du transport n’est pas bien réglementé, beaucoup font ce métier par défaut. Ils roulent parfois sans permis. Ce qui a des répercussions sur le trafic mais surtout est source d’accidents. » Cette plateforme de taxis sécurisés qui compte aujourd’hui milles véhicules à Douala, Yaoundé et Limbé, a par ailleurs décliné ses prestations : transport d’enfants, de personnels d’entreprise… Car tant qu’il y a des besoins, il y a des marchés en devenir. Et cela nos jeunes entrepreneurs 3.0 camerounais l’ont parfaitement compris.