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Professeur Callixte Kabera : « Le patrimoine culturel constitue une richesse cachée dont l’Afrique peut pleinement bénéficier »

Propos recueillis par Teddy KABERUKA

La multiplication des investissements hôteliers internationaux en Afrique traduit un optimisme économique croissant. Elle crée des emplois, stimule les entreprises locales et témoigne d’un avenir prometteur pour le tourisme sur le continent. Mais face à cet essor, les experts appellent à préserver l’authenticité culturelle, afin que le développement touristique reste inclusif, renforce les communautés locales et protège l’identité africaine.
Parmi eux, le Professeur Callixte Kabera, vice-chancelier de l’Université d’Afrique de l’Est au Rwanda, spécialiste du tourisme fort de 18 ans d’expérience. Membre de la Chambre du Tourisme du Rwanda et président de l’Association des Enseignants en Hôtellerie et Tourisme du Rwanda, il livre son analyse sur la relance du secteur touristique post-Covid, l’arrivée d’investisseurs étrangers et l’urgence de concilier croissance et enracinement culturel.

La reprise du tourisme post-Covid semble bien engagée en Afrique. Quels pays ou modèles vous inspirent aujourd’hui ?

Le Rwanda est un très bon exemple de reprise. Le gouvernement a mis en place des stratégies efficaces pour soutenir les acteurs du tourisme. Le Fonds de relance économique a beaucoup aidé le secteur à se relever, et la collaboration entre les secteurs public et privé a permis de mettre en œuvre les bonnes mesures.
 L’île Maurice est également un modèle inspirant : c’est à la fois une destination touristique reconnue et un pays doté de politiques solides en faveur des entreprises. Dans les classements sur le climat des affaires, Maurice, le Rwanda et l’Afrique du Sud arrivent en tête grâce à des politiques qui attirent toujours plus d’investisseurs. Le Kenya et le Maroc enregistrent également de très bons résultats.

Comment analysez-vous l’implantation croissante de groupes hôteliers internationaux comme Marriott, Radisson ou Accor en Afrique ?

Aujourd’hui, on parle de « renaissance africaine », et ce message circule parmi les investisseurs. Ces derniers cherchent toujours des zones où leur investissement sera rentable. Or, l’Afrique regorge d’opportunités.
 Les grandes marques s’installent dans des pays stables, peu corrompus, avec des infrastructures solides, une main-d’œuvre qualifiée et à coût modéré, ainsi qu’un climat de paix. Certains États africains ont su bâtir un leadership exemplaire qui attire les investissements, notamment dans les secteurs minier, agricole ou touristique.
 Mais le transport reste un défi : qu’il soit aérien ou routier, il demeure très coûteux. Il devient urgent de développer des politiques soutenant le marché commun africain. Un visa unique pour circuler plus librement, notamment en Afrique du Nord, faciliterait grandement les échanges. Des pays comme le Rwanda ou le Kenya ont déjà simplifié l’entrée en proposant des visas à l’arrivée.
 L’implantation d’enseignes telles que Radisson, Accor, Marriott ou encore Zaria Court illustre la confiance renouvelée dans le potentiel touristique du continent. Elle traduit une perspective de croissance solide et une reprise économique encourageante.

Quelles politiques publiques faut-il promouvoir pour bâtir un modèle d’hospitalité africain compétitif, inclusif et ancré dans les réalités locales ?

Il faut d’abord promouvoir la paix et la sécurité régionales. Ensuite, les pays africains doivent collaborer avec des organisations internationales comme l’OMC pour adopter des politiques favorables au développement des affaires.
 Mais au-delà des textes, il est essentiel de renforcer les capacités des populations locales. Le monde est désormais numérique, et les citoyens doivent être formés à ces outils pour faire prospérer leurs activités. L’investissement humain est fondamental : les populations constituent la première richesse du continent.
 Enfin, des investissements massifs dans les infrastructures sont nécessaires — routes, ports, aéroports, chemins de fer — pour fluidifier la circulation des biens et des personnes.

Comment préserver l’authenticité culturelle dans les offres de tourisme haut de gamme ?

L’Afrique possède un patrimoine culturel exceptionnel, rare et précieux. Il faut en faire un produit touristique à part entière. C’est ce que recherchent de nombreux touristes, notamment ceux du haut de gamme.
 La majorité des visiteurs viennent pour la faune sauvage, c’est indéniable. Mais la richesse culturelle du continent est tout aussi impressionnante. Malheureusement, elle est souvent négligée, voire détruite dans certains pays.
 Il est donc urgent de la préserver, tout en l’adaptant à l’évolution des temps sans en altérer l’authenticité. Ce patrimoine est une richesse cachée, une ressource stratégique pour les économies africaines. Les États doivent investir dans sa sauvegarde et sa valorisation, notamment à travers la technologie et l’intelligence artificielle. Les lieux religieux, les traditions communautaires ou les sites patrimoniaux sont autant d’expériences à intégrer dans des offres touristiques authentiques et bien pensées.

Le tourisme de luxe bénéficie-t-il aux communautés locales ? Quelles bonnes pratiques renforcer ?

Oui, sans aucun doute. Prenons l’exemple du Rwanda : 10 % des revenus touristiques sont réinjectés dans les projets communautaires.
 Les communautés locales bénéficient aussi directement des activités touristiques, à travers l’emploi ou en créant des entreprises — transport, guidage, artisanat, restauration, etc. Les agriculteurs locaux trouvent un débouché en fournissant les hôtels et restaurants.
 Mais pour en tirer pleinement profit, il faut structurer ces acteurs en coopératives ou en associations afin qu’ils répondent mieux aux attentes du secteur touristique.

Quel rôle les États africains doivent-ils jouer pour concilier attractivité économique et préservation identitaire ?

Les États doivent investir à la fois dans les infrastructures et dans la formation. Il faut une main-d’œuvre qualifiée et bien formée. Mais l’apprentissage doit aussi être pratique.
 Quelqu’un formé aux métiers de l’aérien doit vivre l’expérience d’un vol. Quelqu’un formé au service du champagne doit le manipuler plusieurs fois.
 Les entreprises privées doivent s’impliquer dans la formation. Sans leur participation, le développement des compétences reste théorique et freine l’émergence d’une expertise durable.

Le tourisme sportif est en plein essor. Comment l’Afrique peut-elle en tirer parti pour développer son tourisme ?

C’est une tendance de fond. Le continent regorge de talents dans de nombreuses disciplines : football, basketball, volleyball, etc. Lors de compétitions internationales, les Africains se démarquent systématiquement.
 Aujourd’hui, certains commencent à tirer profit de leur notoriété sur la scène mondiale. Regardez l’industrie du football au Royaume-Uni, où les revenus sont colossaux, avec des millions versés aux joueurs.
 L’Afrique peut suivre cet exemple. Le sport peut devenir un levier puissant pour attirer des visiteurs et promouvoir un tourisme dynamique, jeune et connecté à la culture contemporaine du continent.

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