Perspectives économiques régionales pour l’Afrique : l’Afrique portée par l’essor des « petites nations »
Le dernier rapport du Fonds monétaire international (IMF) consacre la montée en puissance de « petites nations » africaines telles que le Rwanda, l’Ouganda, ou le Bénin désormais parmi les économies à la croissance la plus rapide du continent. Une nouvelle géographie de la croissance africaine se dessine… Analyse.

Le “Regional Economic Outlook for Sub-Saharan Africa”, publié le 16 octobre 2025 à Washington, dresse le portrait d’une Afrique qui se réinvente. Alors que les grandes économies comme le Nigeria et l’Afrique du Sud peinent à redresser la barre, de plus petits pays, souvent considérés hier encore comme « émergents en devenir », affichent aujourd’hui les meilleures performances du continent.
Selon le FMI, la croissance moyenne de la région atteindra 4,1 % en 2025, avec une légère accélération prévue en 2026. « La croissance économique de l’Afrique subsaharienne devrait se maintenir à 4,1 % en 2025, avec une légère reprise attendue en 2026.
», a indiqué Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du FMI, lors de la présentation du rapport à Washington.
Cette dynamique, ajoute-t-il, « reflète les progrès continus en matière de stabilisation macroéconomique et d’efforts de réforme dans les principales économies ». Autrement dit, ce sont les réformes, la rigueur budgétaire et la volonté politique qui distinguent ces pays de leurs pairs plus puissants mais moins réformateurs.
Le succès des politiques de rigueur et d’investissement
Rwanda, Ouganda, Éthiopie, Bénin, Côte d’Ivoire… ces pays partagent une approche commune : un cadre macroéconomique maîtrisé, une gestion prudente de la dette, et un investissement soutenu dans les infrastructures et la production manufacturière.
« Plusieurs pays — le Bénin, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Rwanda et l’Ouganda — comptent parmi les économies les plus dynamiques au monde », souligne le rapport. Cette phrase résume à elle seule un basculement : la vitalité africaine n’est plus portée par les géants démographiques, mais par des nations plus petites, réformistes et disciplinées.
Au Rwanda, la politique de bonne gouvernance et l’ambition de devenir un hub de services et d’innovation continuent de produire leurs effets. L’Éthiopie, malgré un contexte politique difficile, poursuit sa stratégie d’industrialisation et d’investissement massif dans les infrastructures. Si, la Côte d’Ivoire confirme sa place de locomotive ouest-africaine grâce à la relance de son secteur agro-industriel et à la stabilité politique retrouvée, le Bénin, salué pour sa réforme fiscale et sa rigueur budgétaire, attire de nouveaux investisseurs, tandis que l’Ouganda renforce sa compétitivité régionale grâce à une gestion monétaire maîtrisée.
« Il est encourageant de constater que la région fait preuve d’une résilience remarquable, bien que celle-ci continue d’être mise à l’épreuve dans les mois à venir », a rappelé Abebe Selassie. Car si la performance est réelle, elle reste fragile.
Des défis persistants malgré la résilience
Le FMI met en garde contre des risques multiples : une dette publique qui s’alourdit, une inflation persistante, et un environnement international de plus en plus incertain. « La hausse du service de la dette réduit les dépenses consacrées au développement », avertit le rapport, soulignant que la hausse du coût de la dette réduit les marges budgétaires pour les dépenses sociales et les investissements productifs.
L’inflation, bien qu’en baisse à l’échelle régionale, reste supérieure à 10 % dans près d’un cinquième des pays. De plus, les conditions de financement international demeurent tendues, malgré une légère amélioration. « Les conditions de financement externe se sont quelque peu améliorées, permettant à quelques pays, notamment le Kenya et l’Angola, d’accéder aux marchés financiers internationaux », note le FMI. Mais ces avancées ne profitent qu’à une minorité.
Autre motif d’inquiétude : la détérioration du contexte commercial et de l’aide internationale. La fin de certaines préférences d’accès aux marchés américains, notamment sous l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), pèse sur les exportations. Le rapport évoque aussi une «forte baisse de l’aide étrangère » qui laisse les économies les plus fragiles « particulièrement exposée ».
Deux priorités pour consolider la trajectoire
Le FMI insiste sur deux leviers essentiels pour ancrer durablement la croissance :
mobiliser davantage de recettes fiscales et renforcer la gestion de la dette publique.
«Il existe un potentiel important pour les pays de la région d’augmenter leurs recettes grâce à des réformes fiscales globales et à une meilleure administration de la fiscalité », souligne Abebe Selassie. Il appelle à moderniser les systèmes fiscaux, à digitaliser la collecte et à réduire les dépenses fiscales inefficaces, tout en « renforcer la confiance du public dans les institutions fiscales ».
Concernant la dette, l’institution prône plus de transparence et une meilleure supervision budgétaire : «Renforcer la transparence de la dette et améliorer la gestion des finances publiques peut contribuer à réduire le coût de l’endettement et à libérer des financements innovants ».
Depuis 2020, le FMI a injecté près de 69 milliards de dollars dans les économies d’Afrique subsaharienne, dont environ 4 milliards en 2025, pour soutenir les réformes et renforcer les capacités institutionnelles.
Les « petites nations », grands symboles d’une Afrique en mutation
De fait, le FMI confirme un tournant : la réussite africaine n’est plus l’apanage des grands États. Ce sont désormais les « petites nations » – plus agiles, mieux gouvernées, plus cohérentes dans leurs choix économiques – qui incarnent l’émergence du continent.
« Ces priorités sont essentielles pour renforcer la résilience et soutenir une croissance inclusive et durable à travers l’Afrique subsaharienne », conclut Abebe Selassie.
Le Rwanda, le Bénin, l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire et l’Ouganda démontrent qu’en Afrique, la taille du territoire ou de la population compte moins que la constance des réformes, la transparence et la discipline économique. Des leçons que les « grands » du continent feraient bien d’écouter.