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Modeste N’Gou Graine de champion

Si le parcours de Modeste démontre que le travail est le principal facteur de réussite, il confirme également que le sens des affaires, c’est un don. Dont il a été doté manifestement et qu’il a au fil des années et des épreuves su développer. 

Par Dounia Ben Mohamed

A peine arrivé à Kampala, où se tenait la dernière édition d’Africa SME Champions Forum, son instigateur, Didier Acouetey, l’interpelle : “Modeste, mon champion !” De fait, l’itinéraire de l’entrepreneur ivoirien Modeste N’Gou, confirme, tout l’intérêt de cette plateforme dont il ne manquera aucune édition. 

“J’ai un parcours particulier”. C’est le moins que l’on puisse dire. Né en 1970 à Aboville, dans un village de Côte d’Ivoire, Modeste se retrouve un demi-siècle plus tard à la tête d’un groupe, panafricain, florissant. Entre-temps, un parcours sans faute pour ce mordu de travail, et sans aucun doute un véritable sens des affaires qui l’a amené à saisir les opportunités quand elles se présentent. Et peut-être une bonne étoile.

Dès dix ans, à l’école de la vie

“Petit, j’étais bon élève. J’étais même brillant. Mon instituteur a convaincu mes parents de m’envoyer poursuivre ma scolarité en ville, là où j’aurai de meilleures opportunités”. De fait, pris en charge par son frère aîné, Modeste se retrouve, à l’âge de 10 ans, à Abidjan. Élève studieux, il achève sa scolarité sans peine avant de poursuivre à l’université. Il lui faudra toutefois attendre le DEUG pour trouver sa voie. La comptabilité. Après son BTS il démarre une carrière dans la profession, évoluant très vite, de stagiaire à cadre, pour de grandes entreprises. “A ce moment-là, l’entreprenariat n’est pas très en vogue en Côte d’Ivoire”. Mais chez Modeste, c’est inné. Il commence à opérer, en marge de ses activités salariales, en tant que freelance, pour des entreprises de la place. Il monte de grosses opérations financières et commence à se faire un nom et un capital. “J’avais ça dans les veines”.  Survient la crise politique de 2002. Il perd son emploi. Mais un heureux hasard le conduit aux portes de CETELCOM. 

“ Je me fais audacieux, et je leur propose de me vendre la société…J’ai une bonne intuition”

“Pendant la crise, mon bureau a été pillé et cassé. Je suis resté à la maison plusieurs mois. Entre-temps, je prospecte dans mes réseaux et finit par intégrer CETELCOM, ma dernière société en tant qu’employé. Je me souviens, on avait passé l’entretien au Novotel où tout le gouvernement était bunkerisé. Je suis retenue. Très vite, je constate qu’ils ont des problèmes de trésorerie. J’utilise alors mon carnet d’adresse pour trouver des fonds. L’activité a très bien marché. L’année qui suit on me confie la gestion du pays.” Une première, les entreprises étrangères ont jusque-là pour habitude de confier la tâche à un de leurs expatriés. Modeste voyage, renforce son réseau, élargit son champ de compétence. Mais quand un des plus gros clients de l’entreprise rompt son contrat, la direction veut fermer boutique. “Moi, je veux continuer, j’en profite, je me fais audacieux, et je leur propose de me vendre la société. Leurs actifs mais également leurs passifs. Mais j’ai une bonne intuition. Au cours des seize derniers mois, je gérais déjà toute l’activité. J’étais partout à la fois, y compris sur le terrain. Je pouvais reprendre l’activité et la développer.” Avec un défi de taille au démarrage : “Quand ils partent, ils repartent avec le nom de l’entreprise. Les prestataires me connaissent, moi, en tant que personne pas mais ne connaissent pas la nouvelle société. J’ai cru en ma foi, j’ai refusé de m’endetter auprès du réseau, et j’ai choisi de participer à ses séminaires. C’est comme cela que j’ai atterri à Africa SME Champions Forum.” 

Des télécoms au BTP, de la Côte d’Ivoire au Cameroun

La plateforme, dédiée aux PME, permet de connecter Modeste à des partenaires financiers mais également à renforcer ses compétences. Studieux, Modeste participe à toutes les masterclass, toutes les éditions. Il y gagne en assurance. Son activité se développe… et se diversifie. “Quand je reprends la société, il n’y avait qu’une activité, qu’un client. Je ne veux pas répéter les mêmes erreurs. Je diversifie nos activités et j’élargis le portefeuille clientèle. Dans les installations, l’énergie, etc. On décroche Huawei, Orange, Moove… Les portes s’ouvrent. Tous les équipementiers de la place sont mes clients. Jusqu’à aujourd’hui.” Il couvre désormais toute la chaîne de valeur. De la fibre optique à la maintenance. “J’identifie les besoins et j’y apporte des solutions.” De quoi lui permettre d’aller sur d’autres marchés, l’électricité, le BTP, et d’autres pays, le Cameroun, le Togo, le Bénin et le Burkina Faso. 

Au cœur de sa réussite, deux éléments clés de l’entrepreneuriat  : le leadership et le financement. “Le leadership est un des éléments les plus importants quand on dirige une entreprise. Et quelque soit sa taille. On doit toujours se renouveler. L’entrepreneuriat n’est pas un long fleuve tranquille. On doit s’adapter et adapter. Son business, ses équipes. En Afrique, nous n’avons pas de problèmes de compétence mais de mindset.” De même, Modeste a su prendre les bonnes décisions en termes de financement, évitant les erreurs de ses pairs. “Le plus grand danger de l’entrepreneur est de vouloir aller chercher des fonds trop vite. Je me suis interdit certaines choses, confie-t-il. Quand une entreprise se développe comme la mienne, rapidement on fait face à des problèmes de trésorerie. Les business-angels, capital-investisseurs et autres viennent vers vous, tels des prédateurs, ils vous font les yeux doux, injectent 1 ou 2 milliards, mais finalement deviennent votre patron et imposent des orientations qui ne sont pas forcément adaptées à votre entreprise. Ce que j’ai évité, pour avoir une entreprise plus solide et garder toutes les cartes en main.” 

Et de souligner : “D’autant que nous, opérateurs locaux, contrairement aux multinationales, nous obtenons des financements à des taux d’intérêts insensés ! Entre 15 et 20% alors qu’en France ils se situent entre 1 et 3%. Quand nous sommes en concurrence sur un marché, cela leur donne une longueur d’avance sur vous de 15% minimum ! Des dossiers que nos Etats devraient endosser. Les structures d’accompagnement des entreprises locales existent mais le souci réside dans leur mise en œuvre. On assiste à une forte dynamique de l’entreprenariat privé en Côte d’Ivoire, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest, mais elle doit être soutenue par une réelle volonté politique. Ce qui est dans l’intérêt de ces Etats. Ces PME qui assurent 90% de l’économie, si elles sont stables, elles créent de la richesse, des emplois. SETELCI c’est plus de 150 employés. Des employés directs, sans compter les emplois indirects. Nos gouvernants gagneraient à apporter une meilleure solution à la problématique des entreprises. Tout ne tourne pas autour de l’argent. Il faut créer des cadres de renforcement des capacités, des cadres de réseautage.” 

En attendant, Modeste se lance dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, la promotion immobilière. 

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