Matina Razafimahefa : l’informatique pour lutter contre la pauvreté
Directrice de Sayna, plateforme d'e-learning, Matina Razafimahefa veut permettre aux Malgaches de sortir de la précarité, grâce aux métiers de l'informatique. Son école en ligne est accessible à toutes et à tous, sans prérequis, ni diplôme ou dossier de candidature.
Par Mérième Alaoui
Sayna signifie « intelligence » en malagasy. C’est aussi le nom d’une plateforme de formation ludique en ligne. Sous forme de jeux vidéo, plusieurs apprentissages sont proposés, d’une durée de trois à six mois. « Il s’agit, dans un premier temps, d’apprendre la culture digitale. Je vous assure, cela s’apprend et ce dès le plus jeune âge » explique la jeune entrepreneuse de 25 ans, Matina Razafimahefa. « Ensuite, nous proposons d’autres validations, plus ou moins spécialisées, dans le but de former des techniciens du web » ajoute-t-elle. Six niveaux sont possibles. Pour motiver les apprenants à poursuivre leur cursus, Sayna propose des micro-tâches rémunérées à effectuer, pour le compte de l’entreprise ou d’autres. A chaque niveau validé, les tarifs augmentent de 5 %.
Un ingénieux système de développement et de financement. La jeune malgache a rapidement compris que, aussi lumineuse soit sa vision, elle ne pourrait pas poursuivre son ambition sans un modèle économique viable. Et sans, non plus, rémunérer correctement ceux qui participent à son développement. Il faut dire que sa mère, co-fondatrice de Sayna, a déjà expérimenté cette situation. « Maman est une entrepreneuse dans l’âme, elle a lancé sa société d’informatique, vingt ans auparavant ». Malheureusement, même si sa mère avait aussi l’ambition de démocratiser le secteur de la formation, elle a dû mettre la clé sous la porte, faute de financement pérenne.
Rôle modèle
Côté finances, la startup Sayna s’en sort plutôt bien. Étape après étape, Matina et sa mère ont réussi à lever 600 000 euros de fonds auprès de Launch Africa Venture, Orange Ventures et du club d’investisseurs malgaches (MAIC). Son partenariat avec Orange s’est d’ailleurs enrichi. A tel point que Jérôme Hénique, directeur d’Orange pour l’Afrique et le Moyen-Orient, auteur de African digital champions 2023, paru cet automne, a tenu à ce qu’elle fasse partie des portraits sélectionnés dans l’ouvrage, faisant d’elle, un rôle modèle, pour inspirer les jeunes Africains.
Née en Côte d’Ivoire, Matina Razafimahefa a grandi sur la Grande île, Madagascar, jusqu’à l’âge de 10 ans. En 2009, elle rejoint la France après le coup d’Etat d’Andry Rajoelina. Le pays, déjà pauvre, plonge dans une profonde crise économique. La famille, privilégiée, pose ses valises dans la région française de Loire-Atlantique. « Comme je pratiquais le tennis à haut niveau, j’ai rejoint un cursus sport-études ». Ceci explique, en partie, sa discipline et son niveau d’exigence.
En cherchant sur YouTube, j’ai découvert de nouvelles façons d’utiliser le web
En découvrant le milieu scolaire français, l’idée de créer Sayna commence alors à germer. « J’étais dans un lycée public, l’éducation était gratuite. Tout était possible, quel que soit l’environnement familial. Ce n’est pas ce que j’ai connu à Madagascar. Je me demandais pourquoi nous n’avions pas cela dans notre pays » se souvient-elle.
La pédagogie scolaire ne répond pas toujours à ses besoins. Elle fait alors appel à internet pour réviser son baccalauréat de mathématiques. « En cherchant sur YouTube, j’ai découvert de nouvelles façons d’utiliser le web. Tout n’est pas que loisirs et amusements sans fondements sur cette plateforme » détaille celle qui a finalement obtenu une note de 16/20 en maths.
Des ambitions vers l’Asie
A 19 ans, elle lance Sayna alors qu’elle étudie encore les sciences politiques à La Sorbonne. Ses concitoyens, restés sur la Grande île, n’ont pas cette chance. Très touchée par les enjeux sociaux, Matina Razafimahefa veut « former les Malgaches au codage pour les sortir de la précarité » et leur offrir des solutions concrètes sur le long terme. De fait, son école en ligne est accessible à toutes et à tous, sans prérequis, ni diplôme ou dossier de candidature.
Cependant, la formation à l’académie Sayna est payante : 9,90 euros par mois. Un tarif dégressif pour les élèves développeurs qui réalisent des micro-tâches. A ce jour, Sayna a formé plus de 5 000 personnes et 25 000 tâches informatiques ont été rémunérées. Consciente que ces métiers offrent un avenir plus serein aux femmes, Matina Razafimahefa est fière que la moitié des apprenants appartienne au genre féminin. Très ambitieuse, la dirigeante ne veut pas se limiter au public malgache et vise l’Asie. Et même la France : « Je parle de Sayna à chaque chauffeur Uber que je rencontre, pour les motiver à nous rejoindre ! » sourit-elle.
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