A la uneCart’Afrik

L’intelligence artificielle : immersion dans une  tornade socio-technologique

L’intelligence artificielle (IA) fait partie de ces révolutions technologiques qui bousculent, émerveillent, disruptent mais aussi inquiètent la société. Tout le monde en parle, l’utilise parfois sans s’en rendre compte. Mais pour comprendre cette tornade technologique, il faut plonger en immersion dans les méandres de l’intelligence artificielle…

Par Reine Mbang Essobmadje, CEO of Evolving Consulting

Le terme « intelligence artificielle », créé par John McCarthy, en abrégé « IA » (ou «  AI » en anglais, pour artificial intelligence) est définie par son créateur comme « la  science et l’ingénierie de la fabrication de machines intelligentes, en particulier de  programmes informatiques intelligents.

L’intelligence artificielle est un ensemble de procédés technologiques permettant de  simuler l’intelligence humaine. En d’autres termes, l’IA est l’ensemble des machines  et des logiciels basés sur des algorithmes pour aider aussi bien les individus que les  entreprises dans leur quotidien. 

Pour les profanes, ce concept englobe tout et rien. En effet, il est difficile de  conceptualiser ou matérialiser l’abstrait, vos neurones ndlr. Aussi, pour mieux  comprendre l’intelligence artificielle et ses domaines d’application, il convient de  connaître au préalable les différents types d’algorithmes utilisés et les types  d’intelligence artificielle.

L’IA s’appuie sur l’apprentissage automatique ou machine learning (produire des règles et modèles à partir de données et résultats) et sur la pensée computationnelle.

Le Machine Learning a été  défini par son pionnier Arthur Samuel en 1959 comme le « champ d’étude qui donne aux ordinateurs la capacité d’apprendre sans être  explicitement programmés à apprendre ». C’est une approche fondée sur des  analyses statistiques, permettant aux ordinateurs d’améliorer leurs performances à  partir de données, et à résoudre des tâches sans être explicitement programmés  pour celles-ci. Le Deep Learning est une technique de Machine Learning. C’est une  méthode d’apprentissage automatique qui s’inspire du fonctionnement du système  nerveux des êtres vivants. Les algorithmes du Deep Learning traitent l’information  reçue de façon similaire à ce que feraient nos réseaux de neurones en réponse aux  signaux nerveux qui leur sont destinés.

Un exemple simple avec nos « smartphones » : vous saisissez régulièrement des  mots en « argot » sur votre téléphone, il les ajoute à sa base de connaissance et  définit vos règles et modèles pour mieux anticiper vos propos.

La pensée computationnelle s’intéresse à la résolution de problèmes, à la  conception de systèmes ou même à la compréhension des comportements humains  en s’appuyant sur les concepts fondamentaux de l’informatique théorique. La pensée computationnelle s’exprime dans la synergie entre l’intelligence créative de  l’être humain et les capacités de  traitement de l’information offertes par les technologies de l’information et de la communication.

Elle prend appui sur les outils, techniques et concepts informatiques soient la décomposition, l’abstraction, la reconnaissance de forme et le raisonnement algorithmique).

            •           Une prouesse technologique

L’intelligence artificielle (IA) décuple les potentialités avec une rapidité propre aux  machines, qui permet via des calculateurs importants, de produire bonne quantité  d’informations, de données en un temps record. Elle trouve des champs d’application  dans divers secteurs d’activités : 

🡺 Dans les transports : les véhicules autonomes, grâce aux systèmes de  conduite virtuelle, aux cartes haute définition et aux itinéraires optimisés,  apportent plus de confort de conduite, augmentent la sécurité et préservent l’environnement.

🡺 Dans l’agriculture : l’IA combine la gestion du climat, l’analyse des sols, la  détection des maladies, l’hygrométrie pour améliorer le rendement des  cultures.

🡺 Dans la finance : l’IA permet entre autres la détection de la fraude, le KYC (know your customer) et, la mise en conformité réglementaire.

🡺 Dans le marketing et la publicité : l’IA permet la création de contenus audios,  vidéos et textes

🡺 Dans la santé : les systèmes d’IA aident à diagnostiquer et prévenir les  maladies et les épidémies, accélèrent la découverte des traitements, en plus  de la démocratisation des outils d’autosurveillance

🡺 En matière de justice : l’IA est utilisée pour la gestion des crises et l’évaluation des risques de récidive. Elle est par ailleurs de plus en plus utilisée dans la  lutte contre la cybercriminalité.

Elle apparaît comme un maillon essentiel de la réalisation de l’ODD4 (Objectifs de  développement durable) qui vise à « assurer l’accès de tous à une éducation de  qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au  long de la vie » Les possibilités infinies de l’IA sont la garantie de l’éducation  pour tous y compris dans les zones à ce jour sinistrées du point de vue  éducationnel.

            •           Une utilisation croissante 

Les statistiques de l’IA fournies par Tech Jury montrent une adoption massive et une  utilisation croissante : 

▪ La taille du marché mondial de l’Intelligence Artificielle était évaluée à 136,6  milliards de dollars en 2022.

▪ Le marché mondial de l’IA devrait atteindre 1 811,8 milliards de dollars d’ici  2030.

▪ Le PIB mondial augmentera de 15,7 trillions de dollars d’ici 2030 grâce à l’IA. ▪ Le taux d’adoption mondial de l’IA a augmenté régulièrement et est  maintenant de 35%.

▪ L’investissement dans les startups IA a augmenté 6 fois depuis 2000. ▪ L’IA pourrait augmenter la productivité des entreprises de 40%.

▪ Déjà 77% des appareils que nous utilisons présentent une forme d’IA ou une  autre.

▪ 97% des utilisateurs de mobiles utilisent des assistants vocaux alimentés par  l’IA.

L’IA s’impose dans notre vie au quotidien et remplace progressivement des fonctions  exercées par les humains générant ainsi des pertes et disparitions de savoir. Mais,  elle modifie surtout notre société. De plus, elle apporte son lot de risques,  notamment liés à :

🡺 La propriété intellectuelle, les bases d’informations importantes qui sont  utilisées par les outils d’intelligence artificielle. Quid des droits d’auteurs, de  propriété intellectuelle sur l’ensemble des éléments exploités par les outils  d’intelligence artificielle ? Ces logiciels s’enrichissent-ils du contenu qui est  fourni par les différents utilisateurs ? Quels types de licences pourrait-on  attribuer à ces productions de logiciels d’intelligence artificielle ? Il faudrait  évidemment se poser la question de la régulation pour garantir que les  prestations intellectuelles, les savoirs, sont bien la propriété de leurs auteurs  et que ceux-ci sont cités, à chaque fois que leurs productions sont réutilisées. 

🡺 La Cybercriminalité : les multiples usages de Deepfake peuvent ouvrir la voie à  des dérives cybernétiques entraînant vol et usurpation d’identité, cyber  harcèlement….

            •           Vers une fracture sociale?

L’intelligence artificielle entraîne inexorablement dans son sillage la disparition de  certains métiers remplacés plus efficacement, plus rapidement par les machines. Selon un rapport du McKinsey Global Institute, l’IA devrait remplacer environ 15% de  la main-d’œuvre mondiale, soit environ 400 millions de travailleurs, d’ici 2030.

🡺 L’IA pourrait-elle surpasser l’humain ? Could AI overcome human ? Dans un contexte où les outils d’intelligence artificielle deviennent de plus en plus  fiables, il faudrait donc faire évoluer certains métiers, entraînant ainsi une perte  d’emploi pour des milliers de personnes. Comment donc gérer cette concurrence que  les machines opposent aux humains ? Vers quel type de société s’oriente-t-on  lorsque la machine est en compétition avec l’humain ? Comment organiser ces  différents équilibres pour permettre une cohabitation harmonieuse et surtout un  épanouissement dans une époque où la santé mentale est un sujet de plus en plus  important, et la pression de la performance est encore accentuée par cette compétition. Il convient évidemment que chaque Etat examine l’adoption de l’IA  selon les défis sociétaux auxquels il fait face…

🡺 Quid des biais 

L’informatique a ceci de particulier que les algorithmes sont majoritairement développés par des hommes, qui représentent plus de 75% de la force vive de ce  secteur. On observait déjà un certain nombre de biais dans les différents logiciels,  outils ou applications, ceci pourrait tendre à s’accroitre avec l’IA (qui s’enrichirait d’un  modèle social et cognitif biaisé), avec une moindre capacité à mitiger ces risques là  et donc une fracture un peu plus importante entre les hommes et les femmes, entre  les populations qui sont des alphabètes numériques, et les analphabètes numériques.  L’illectronisme à l’ère de l’IA est une tare, là où la machine est capable de produire  beaucoup plus, beaucoup plus vite, mieux que l’être humain. 

🡺 Potentielles dérives de l’IA :

L’IA représente une menace non négligeable à la cybersécurité. De manière non  exhaustive, on peut citer :

– Les Deepfakes : conception et diffusion de fausses vidéos ou contenus audios conçus par une IA

– Les piratages de voitures autonomes : S’emparer des commandes d’un véhicule pour perpétrer une attaque terroriste par exemple

– Les piratages des systèmes ou des infrastructures électriques, logistiques ou sanitaires

– La diffusion de fausses informations (usurpation d’identité, cyberharcèlement) – Les violations des droits de l’homme 

– Les violations des droits de propriété intellectuelle

– …

Illustration par le cas de ChatGPT

ChatGPT (Generative Pre-trained Transformer) est l’une des intelligences artificielles  les plus utilisées (plus de 100 millions d’utilisateurs dans les deux mois suivants son  lancement). 

A qui appartiennent les droits de propriété intellectuelle sur les contenus  générés par ChatGPT? 

La question de la propriété des contenus générés par ChatGPT fait l’objet de débats  juridiques. En effet, l’article 3(a) des conditions générales d’utilisation d’OpenAI prévoit le transfert à l’utilisateur des droits sur le contenu  généré (https://openai.com/policies/terms-of-use). Cela signifie en principe que les  articles, blogs, livres et autres textes générés par ChatGPT appartiennent à leur  utilisateur. Ce dernier peut de fait utiliser ce contenu à toutes fins légales, y compris  à des fins commerciales (vente, publication) à condition de respecter les conditions  générales d’utilisation d’OpenAI (article 3(a)). De même, la responsabilité du  contenu est dévolue à l’utilisateur qui doit s’assurer qu’il n’enfreint aucune loi en  vigueur, encore moins les conditions générales d’utilisation d’OpenAI. Les Conditions  générales d’OpenAI interdisent cependant de présenter les données produites par  cette IA comme étant le fruit d’un travail humain. De même, l’utilisation du contenu  généré automatiquement doit être conforme à la politique d’usage d’OpenAI, laquelle  interdit l’utilisation de ChatGPT à toute fin contraire à la loi. 

Précédents liés à l’utilisation de l’IA 

Compte tenu de la nouveauté des questions autour de l’IA, les précédents liés à son  application sont assez rares. Néanmoins aux Etats-Unis, l’avocat Steven  SCHWARTZ a été entendu par un juge après avoir utilisé des informations erronées  générées par ChatGPT. Ce dernier avait notamment cité devant un tribunal des  décisions de justices inexistantes fournies par l’IA. Cela pose la question de la  fiabilité, de la véracité et de l’intégrité des données lorsque les sources et bases de  données de ChatGPT ne sont pas listées ou connues.

L’IA s’enrichit -elle du contenu des utilisateurs 

L’application est aussi utilisée pour corriger des textes, traduire des documents ….  On peut naturellement supposer que l’IA s’enrichit de ce contenu. Quid donc de la  propriété intellectuelle du producteur initial qui aura utilisé ChatGPT à des fins de  traduction uniquement ? Peut-on imaginer une licence de type Common Creatives ?  Les licences Creative Commons constituent un ensemble de licences régissant les  conditions de réutilisation et de distribution d’œuvres.

            •           Où en est la législation ?

🡺 Quelques exemples dans le monde

En Europe : sous l’égide de la Commission Européenne, les pays membres ont  proposé un règlement sur l’IA dans le but de mieux réguler ces innovations  technologiques et de promouvoir une utilisation éthique et responsable. Dans la suite  des travaux de la Commission Européenne, le Parlement Européen a entrepris  d’adopter le premier texte juridique de portée internationale sur l’IA (https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20230601STO93804/loi-sur-l-ia-de-l-ue-premiere-reglementation-de-l-intelligence-artificielle ). Néanmoins,  l’encadrement juridique de l’IA ne fait pas encore l’objet d’un texte juridique  contraignant. Toutefois, on dénombre plusieurs initiatives non contraignantes visant  à promouvoir les règles éthiques en matière d’IA (Chartes, Codes de déontologie,  guides de bonnes pratiques, lignes directrices) 

Aux Etats-Unis: en dépit des discussions entamées au sujet de l’encadrement  juridique de l’IA, aucune norme impérative n’a été adoptée pour l’instant aux Etats Unis.

🡺 En Afrique : RDC et République du Congo

✔ La RDC fait partie des premiers pays africains à s’intéresser au développement  de l’IA. En l’état actuel, la RDC n’a pas encore légiféré dans ce domaine. Mais dans son Plan National du Numérique, le pays promeut le lancement des  projets en intelligence artificielle, en réalité augmentée, en robotique, en  domotique, en nanotechnologie, en bionique (prothèse intelligente, humain  augmenté) 

Il existe tout au moins quelques instruments non contraignants, notamment  les Lois d’Asimov sur la robotique, qui restent la référence en matière de  régulation de l’IA en RDC (https://paradigmhq.org/politiques-de-lintelligence artificielle-et-de-prise-de-decision-automatisee-en-rd-congo/?lang=fr)

✔ La République du Congo abrite depuis le 24 février 2022 le premier centre de  recherche sur l’intelligence artificielle en Afrique (ARCAI). Financé par la  Commission Économique pour l’Afrique (CEA) et quelques partenaires,  l’objectif global de l’ARCAI est de réduire la fracture numérique par une  appropriation des outils numériques par les africains.

De manière générale, il faut retenir que l’IA ne fait pas encore l’objet d’un  encadrement juridique strict et contraignant même si beaucoup de pays sont en voie  de légiférer sur cette matière. Pour le moment, la plupart des instruments existants  n’ont pas une véritable force obligatoire du point de vue du droit. Il est dès lors  urgent d’encadrer les activités relevant de l’IA qui très souvent entraînent de  nombreuses dérives.

5. Quel nouveau modèle social et sociétal ? 

L’intelligence artificielle permet la production ou l’amélioration de contenus mais  aussi la transformation des contenus. L’IA s’impose dans l’ensemble des secteurs  d’activités, du marketing à la robotique en passant par l’éducation, la santé, la  finance ou l’agriculture. 

On parle énormément de Deepfake, où on est capable de vieillir un visage, de  modifier un visage, de changer une vidéo, et donc de créer des scénarios qui  n’existent pas.

🡺 Sommes-nous ultra protégés ou ultra exposés ? 

On ne peut s’empêcher de parler de l’accroissement des risques liés à la  cybercriminalité, l’usurpation d’identité, le cyber harcèlement que peuvent induire un  mauvais encadrement légal ou une mauvaise utilisation des outils d’intelligence  artificielle. De fait, une vraie réflexion sur toute l’éthique entourant l’IA est  essentielle, elle s’impose. 

Au vu du retard de l’Afrique en matière de digital versus le reste du monde, on  s’interroge naturellement sur les risques liés à cette avalanche de solutions, de  produits, de technologies qui pourraient fragiliser une société encore en pleine  construction et, dont la majorité de la population est jeune, avide de technologies et  ouverte au monde. Il apparaît donc essentiel d’avoir une véritable réflexion autour  des usages de l’IA spécifiquement en Afrique, sur les avantages qu’elle pourrait  apporter en termes de changements climatiques, en termes d’agriculture, et même  dans l’amélioration de l’éducation, versus les risques qu’elle présente sur une société  qui est en manque de repères, déstructurée, fragmentée, et parfois en rébellion avec  les institutions. Les outils technologiques ne trouvent leur place que dans  une société où les personnes sont éduquées à les utiliser avec  responsabilité et intelligence pour améliorer le quotidien de tous, et ne  laisser personne en arrière. 

🡺 Comment réguler une technologie en perpétuelle évolution ? La question fondamentale est donc la réglementation de l’IA afin de prévenir des  usages néfastes et, garantir un cadre d’exploitation qui ne viole pas les droits des  producteurs de contenus sur internet. On a pu observer lors d’évolutions  technologiques majeures telles que le Mobile Money ou d’autres sujets, qu’il a fallu  du temps pour mettre en œuvre une régulation appropriée. Les possibilités de l’IA  comparativement à des sujets comme la finance digitale, la gestion des données à  caractère personnel, la 5G sont infiniment plus grandes et nécessitent donc une vraie  concertation, entre les parties prenantes pour garantir les droits et le bien-être en  ligne de tous.

Découvrez le dernier ANAmag intitulé « Diaspora, une expertise à valoriser » conçu en partenariat avec Expertise France

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page