L’industrie du livre en Afrique : entre promesses économiques et puissance culturelle
L’UNESCO publie pour la première fois un rapport complet sur le secteur du livre en Afrique, révélant un potentiel de croissance estimé à 18,5 milliards de dollars. Cette analyse met en lumière les défis, les opportunités et les leviers à activer pour faire du livre un pilier du développement culturel et économique du continent.

Par Bylkiss Mentari
Le 19 juin 2025 à Paris, l’UNESCO a levé le voile sur une cartographie inédite de l’industrie du livre en Afrique. Intitulé « L’industrie du livre en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance », ce rapport met en lumière un secteur sous-exploité qui, s’il bénéficie de politiques adaptées, pourrait générer jusqu’à 18,5 milliards de dollars de revenus. La Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, y voit une priorité : « Ce nouveau rapport démontre la nécessité de renforcer les politiques publiques pour le livre et la lecture afin que les histoires africaines puissent être écrites, publiées et lues. »
L’Afrique ne représente que 5,4 % des recettes globales de l’édition
Malgré une contribution limitée au marché mondial – l’Afrique ne représente que 5,4 % des recettes globales de l’édition – le dynamisme est réel. Le continent génère environ 7 milliards de dollars de revenus, avec une forte concentration sur l’édition scolaire, qui constitue près de 70 % du marché. Pourtant, les importations restent largement supérieures aux exportations : en 2023, 597 millions de dollars de livres ont été importés, contre seulement 81 millions exportés.
Dans ce paysage encore déséquilibré, les talents africains brillent sur la scène mondiale. En 2021, Abdulrazak Gurnah, Mohamed Mbougar Sarr et Damon Galgut ont respectivement remporté les prix Nobel, Goncourt et Booker. Le continent accueille également plus de 270 festivals littéraires par an, soutenus par un réseau de 200 associations professionnelles. Des villes comme Conakry, Accra et Rabat ont été désignées Capitales mondiales du livre, contribuant à dynamiser l’accès à la lecture et à structurer des écosystèmes locaux.
Le numérique, une alternative prometteuse
Face à la pénurie d’infrastructures – une librairie pour 116 000 habitants, une bibliothèque publique pour 189 000 – le numérique offre une alternative prometteuse. Des plateformes telles que Snapplify ou Akoobooks permettent aux lecteurs d’accéder à des livres électroniques et à des audiolivres, dépassant les limites logistiques et géographiques.
Mais les freins restent nombreux : 90 % des pays africains ne disposent pas de législation dédiée à l’industrie du livre, au-delà du droit d’auteur et du dépôt légal. La production locale reste faible et les infrastructures logistiques, limitées. Les imprimeries manquent, les circuits de distribution sont fragmentés, et les données fiables sur la lecture sont rares.
Construire un marché intérieur solide
Pour répondre à ces défis, l’UNESCO appelle à renforcer les cadres juridiques et institutionnels, en modernisant les lois sur le droit d’auteur, en créant des agences nationales ISBN et en établissant des conseils du livre. Il est également nécessaire de construire un marché intérieur solide, en intégrant le secteur du livre aux stratégies industrielles, en soutenant les éditeurs locaux, en incitant à l’exportation, et en encadrant les investissements étrangers. Enfin, il est essentiel d’élargir le lectorat : cela passe par des investissements dans les bibliothèques, un appui aux plateformes numériques, des campagnes nationales de lecture, et la conduite régulière d’enquêtes sur les pratiques des lecteurs.
Ce rapport s’inscrit dans une dynamique engagée par l’UNESCO depuis 2021 pour soutenir les industries culturelles africaines. Après le cinéma et la mode, le livre devient un nouveau pilier de cette stratégie. Il ne s’agit pas seulement d’un secteur économique, mais d’un vecteur essentiel de souveraineté culturelle, d’accès à la connaissance, et de cohésion sociale.