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L’expansion de Turkish Airlines en Afrique

Depuis 2003, la Turquie déploie de grands moyens avec la présence d’ambassades, celle d’investisseurs du secteur privé, pour étendre, de manière conséquente, les vols vers de nouvelles destinations africaines. Un défi et des enjeux importants pour la Turquie, mais aussi pour l’Afrique.

Avec pour objectif de faire partie des dix premières compagnies aériennes dans le monde, Turkish Airlines vise les 24 milliards de dollars de chiffre d’affaires, en 2023. La compagnie a su exploiter une stratégie de développement rigoureuse en direction de l’Afrique. Elle dispose d’un vaste réseau et propose un service de qualité. Cela en fait d’ailleurs un concurrent redoutable pour les différentes compagnies aériennes. « Cette concurrence s’inscrit au-delà de l’axe Afrique-Turquie puisque la compagnie turque s’appuie sur une stratégie de hub à Istanbul. Elle concurrence donc par exemple, les compagnies européennes en Afrique en offrant un itinéraire alternatif vers l’Europe via Istanbul, ce qui est certes plus long. Néanmoins, Turkish Airlines semble proposer des tarifs globalement moins élevés que certains concurrents grâce à une stratégie d’exploitation des vols qui se veut la moins coûteuse possible : la compagnie privilégie l’utilisation d’avions moyen-courrier sur une grande partie de ses routes vers l’Afrique (Boeing 737, ou bien Airbus 320) ; l’ouverture d’une escale se fait souvent par ajout sur une liaison existante (par exemple Maputo en continuation de Johannesburg) ; enfin, les fréquences se limitent généralement à 3 vols hebdomadaires dans un premier temps, et peuvent ensuite être augmentées si la demande le justifie », précise Julien Lebel, doctorant à l’Institut français de géopolitique (IFG) de l’Université Paris 8 Saint-Denis. Ses recherches portent sur les concurrences et les stratégies des compagnies aériennes, ainsi que leurs liens avec les acteurs politiques et économiques. Turkish Airlines a ouvert de nombreuses escales, ces dernières années. Pourtant, la compagnie turque n’opérait encore aucun vol régulier vers l’Afrique subsaharienne, au début des années 2000. « A ce jour, Turkish Airlines dessert plus de 30 destinations dans cette région. Toutefois, il faut garder en tête que cette expansion s’inscrit dans une stratégie d’essor mondial du transporteur qui s’est également fortement implanté en Asie ainsi qu’en Europe, durant la décennie passée. En ce sens, Turkish Airlines construit un véritable hub à Istanbul où elle fait transiter une part croissante de passagers internationaux vers de multiples destinations », ajoute Julien Lebel.

Des actionnaires principalement issus du secteur privé

 

Si la Turquie s’est vu attribuer un siège de membre non-permanent, en 2008, c’est en grande partie grâce au soutien apporté par une cinquantaine de pays africains. Cela a très certainement convaincu le pays de poursuivre ses différentes démarches de développement en vue de devenir une puissance mondiale. « La politique étrangère multidirectionnelle mise en œuvre en Turquie par le gouvernement AKP, après son arrivée au pouvoir en 2003 – sous la houlette d’Ahmet Davutoglu qui est ensuite devenu Premier ministre – a ouvert la voie à l’accroissement de la présence turque sur le continent africain. Cependant, dès 1998 le gouvernement turc avait lancé un « Plan d’action pour l’Afrique » marquant déjà l’ambition d’ouvrir des ambassades, de favoriser les contacts diplomatiques et d’encourager les échanges commerciaux. Toutefois, ces projets ont été retardés notamment en raison de la crise économique que la Turquie a traversée en 2000-2001. L’AKP, dont le noyau est constitué d’entrepreneurs, les « tigres anatoliens »,  à la tête de petites et moyennes entreprises d’exports à l’international, a donc repris à son compte, quelques années plus tard, ces mêmes ambitions et Recep T. Erdogan – qui était Premier ministre à l’époque – a déclaré 2005 comme « l’année de l’Afrique » pour la Turquie, ce qui s’est traduit par des rencontres diplomatiques, mais aussi des réunions d’information à l’attention des entrepreneurs turcs à la recherche de nouveaux débouchés pour leurs exportations », explique Julien Lebel. Ces entrepreneurs et les délégations officielles d’hommes d’affaires allant à l’étranger ont donc un accès plus facile à de nouveaux marchés. Les liens établis entre les domaines économiques et politiques turcs sont donc importants.

L’impact négatif des tensions géopolitiques

Turkish Airlines dessert aujourd’hui, pas mois d’une quarantaine de destinations en Afrique. « La grande majorité n’est toutefois pas desservie de façon quotidienne. Parmi les escales annoncées, Juba doit intégrer le réseau du transporteur turc dans les prochains jours. Conakry et Luanda ont été annoncées en 2014, mais ne sont toujours pas desservies à ce jour. Il semble néanmoins que l’ouverture de Conakry soit de nouveau d’actualité suite à la visite d’Erdogan en Guinée, début mars. Quant à Luanda, l’Angola octroie difficilement des droits de trafic aux compagnies étrangères, ce qui constitue peut-être un frein à l’arrivée de Turkish Airlines, si des négociations sont toujours en cours entre les autorités turques et angolaises. Par ailleurs, il est important de noter que les tensions géopolitiques ne sont pas sans impact sur la stratégie de Turkish Airlines. « La compagnie avait par exemple annoncé, en décembre 2014, l’ouverture de deux nouvelles routes en Egypte, durant l’année 2015. Un projet qui ne s’est pas réalisé tandis que les relations entre les gouvernements turc et égyptien étaient de plus en plus tendues à la suite du renversement de Mohamed Morsi qu’Erdogan considère comme un allié. De même qu’en Libye, la compagnie turque a arrêté, du jour au lendemain, ses vols vers Tripoli, Benghazi et Sebha après qu’Erdogan ait pris position en faveur du gouvernement islamiste de Tripoli. Ce qui n’a pas manqué de fragiliser puis susciter le rejet de la présence turque dans un pays en proie à de fortes tensions internes », ajoute Julien Lebel.

Des opportunités de taille pour l’Afrique

Chaque nouvelle escale de Turkish Airlines s’accompagne souvent de l’ouverture d’ambassades turques. S’ensuivent également, selon Julien Lebel, « la venue de délégations officielles accompagnées d’acteurs économiques, des représentants d’associations des milieux d’affaires, notamment la MÜSIAD qui regroupe une grande partie des entrepreneurs anatoliens qui entretiennent une certaine proximité idéologique avec l’AKP. « Tout cela s’accompagne d’un discours bienveillant de la part des autorités turques, Erdogan ne manquant pas de souligner dans ses discours que la Turquie n’a aucun passé colonial en Afrique subsaharienne. Aussi, la présence turque en Somalie constitue un symbole fort, Turkish Airlines étant d’ailleurs la seule compagnie internationale à se poser à Mogadiscio. Les gouvernements africains semblent percevoir cette démarche des autorités turques comme une opportunité pour désenclaver leur territoire et attirer des investissements étrangers afin de développer l’économie locale. Je ne sais pas si la relation est vraiment réciproque au final et peut-être est-il encore trop tôt pour le dire. En revanche, les exportations turques vers le continent africain ont atteint 14 milliards de dollars en 2014, ce qui représentait une croissance de 52% par rapport à l’année 2008 et donc l’une des régions les plus dynamiques pour les entrepreneurs turcs ». Des entrepreneurs qui, de par l’expansion de Turkish Airlines en Afrique, continuent d’affluer sur le continent.


Par Darine Habchi
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