“Le ralentissement du financement frappe l’innovation africaine : défis et opportunités”
Dans un contexte de déclin financier pour l'innovation en Afrique, du moins en apparence, Rivolala RATSIMANDRESY, qui accompagne depuis plusieurs années les entrepreneurs dans leur quête de financement, explore les défis et les opportunités émergentes, soulignant le besoin crucial de consolidation des écosystèmes technologiques du continent.
Par Rivolala RATSIMANDRESY, CEO de la Rencontre des Entrepreneurs | RDE*
La plateforme de collecte de donnée en investissement « Briter Bridge » dans son dernier rapport « Africa 2023 Investment report, crisis or Adjustment » fait état d’une baisse de volume d’investissement dans la tech africaine enregistrant une diminution en glissement annuel de 21%, tombant à un peu plus de 4 milliards de dollars, par rapport aux 5,2 milliards de dollars enregistrés en 2022. Par ailleurs, le rapport précise qu’il s’agit de la première baisse enregistrée sur la dernière décennie (2014-2023).
Ce constat de baisse du volume d’investissement dans la tech est également partagé par les conclusions du rapport « 2023 Africa Tech Venture Capital Report » du fonds d’investissement Partech Africa, qui observe un ralentissement similaire du financement par le capital-risque.
Par ailleurs, les deux rapports confirment la concentration de la captation des investissements dans quatre pays, à savoir le Nigeria, le Kenya, l’Égypte et l’Afrique du Sud, qui ont attiré 68 % des financements.
Envisager ce ralentissement du financement comme une opportunité pour consolider nos écosystèmes tech et ainsi mieux l’inscrire dans les réels besoins de nos jeunes et nos pays respectifs
Qu’est ce qui explique cette baisse ? La tech africaine est-elle devenue moins attractive à cause du manque d’innovation attendue par les investisseurs ? où serait-elle la victime des écosystèmes qui tardent à s’organiser et à se structurer ? Ou les investisseurs sont-ils déçus du retour sur investissement attendus auprès des start up africaine ? Dernière option, les entrepreneurs de la tech africaine ne sont pas à la hauteur de ce qui est attendu en termes d’exécution ?
Peut-on aussi lier cette baisse par les scandales à répétition qui commencent à frapper les écosystèmes de la tech africaine ? Les derniers tumultes rencontrées par la start up ghanéenne « Dash » en est un exemple parmi d’autres.
Le manque d’études disponibles et précises sur chacune des questions posées ci-dessus nous empêchent de conclure avec une réponse rationnelle et factuelle sur chacune des questions ainsi posées.
Néanmoins, il apparaît pertinent d’envisager ce ralentissement du financement comme une opportunité pour consolider nos écosystèmes tech et ainsi mieux l’inscrire dans les réels besoins dont nos jeunes et nos pays respectifs.
Il faut en premier lieu revenir sur cette cette baisse du financement : si celle-ci se confirme, à l’échelle du continent, force est de constater que des startusp performantes continuent de réaliser des levées.
C’est le cas par exemple de trois startups sénégalaises que sont : LafricaMobile porté par son fondateur Malick Diouf qui a bouclé sa Série A pour un montant de 4,3Meuros; Logidoo, fondé par Tamsir Ousmane Traore, qui a également bouclé sa Série A pour $1,55M ; et de Maad, fondée par Sidy Niang et Jessica Long qui a levée en Seed 2,9Meuros.
On peut citer également la start-up nigériane Seamix qui a levé en série A 4,1 Meuros ou encore la start up égyptienne Swypex qui a bouclé en seed un tour de table de 3,7Meuros.
Plus globalement, comme mentionné dans les rapports cités plus haut, le nombre de transactions a progressé de 11 % en 2023, atteignant plus de 1080 accords, contre 975 en 2022.
Si la levée de fonds est un exercice qui demande beaucoup de résilience de la part du fondateur ainsi que son équipe pour mener au bout cet exercice, le motif principal d’une levée est d’abord basé sur un projet innovant (technologiquement parlant), porté par une équipe complémentaire qui doit démontrer sa capacité à exécuter le projet et enfin un marché prometteur, aussi bien pour les segments visés que pour le retour sur investissement attendus des investisseurs.
De mon point de vue, cette baisse de financement peut être analysée sur trois niveaux.
Cette baisse de financement peut d’abord être analysée comme une prise de recul de la part des investisseurs (capital risqueurs). Ils sont venus sur un marché inexistant il y a à peine une décennie avec toutes les erreurs possibles et imaginables commises de part et d’autre.
Pour rappel, au cours de la dernière décennie, les investissements dans les entreprises (tech) opérant en Afrique sont pratiquement passés de zéro à un marché de plus de 2 à 5 milliards par an au cours des cinq dernières années, avec des centaines de nouvelles entreprises et d’investisseurs entrant dans l’écosystème
Ensuite, cette baisse peut aussi s’analyser par une meilleure affectation du financement vers des start up les plus performantes de la part des VCs. Ce qui constituerait une excellente nouvelle pour chacun de nos écosystèmes techs.
En effet, il n’y a rien de pire que d’évoluer dans un écosystème rempli de start up « zombies » c’est-à-dire des starts-ups qui n’existent que grâce aux financements extérieurs accordés et non par l’achat de leur produit ou service par leurs clients.
Enfin, on peut analyser cette baisse par l’existence d’une mécompréhension entre les attentes d’un fonds d’investissements(VC) d’une start up africaine et ce que la tech africaine peut offrir en ce moment. Il n’existe quasiment pas de brevet déposé par la tech africaine qui valoriserait, sur le plan technologique, la dimension innovation de leur travail. La plupart opère donc sur le modèle « copycat » ou d’adaptation de ce qui existe ailleurs. Comme dit le proverbe, même la plus belle femme du monde ne peut offrir que ce qu’elle a.
Par ailleurs, même si le marché africain est très prometteur et ce à bien des égards_une population jeune, une démographie en phase ascendante, des opportunités de marchés réelles où la demande dépasse souvent l’offre_ les défis sont pour le moment nombreux.
On peut citer le coût d’accès à la connexion qui reste souvent trop élevé dans la plupart de nos pays même si des efforts conséquents ont été effectués. Nous pouvons aussi citer la lacune dans la formation de nos jeunes. Si les formations courtes en codage sont foisons, force est de constater que ces formations ne remplaceront jamais le cursus des ingénieurs dont notre continent manque cruellement.
Définir ses propres codes
Cette baisse de financement de la tech africaine peut aussi être une opportunité pour les acteurs de la tech africaine de définir leurs propres codes suivant les expériences vécues de la dernière décennie. L’idée ici n’est pas de réinventer la roue mais d’affirmer auprès des VCs ce qui fait la spécificité de l’écosystème tech africaine.
Je suis conscient que le Kenya n’est pas le Sénégal et que la Côte d’Ivoire n’est pas l’Afrique du Sud. Cependant les problématiques rencontrées par les écosystèmes tech africains ont un dénominateur commun.
Ainsi, je peux par exemple proposer comme critère spécifique, la capacité de la startup, non seulement à créer de l’emploi mais surtout à former des jeunes de manière continue tout au long de la vie de la startup. La formation des jeunes reste le vrai défi que notre continent doit relever si on veut accélérer pour atteindre nos objectifs. C’est pourquoi de mon point de vue les startups ont un rôle important à jouer.
Je peux aussi citer comme critère fort à mettre en place dans l’appropriation de la notion de startup sur notre continent, l’encouragement de nos filles, de nos sœurs sur ce secteur de la tech pour le moment dominé par des jeunes hommes. Des efforts sont faits mais de mon point de vue, ils sont trop éparpillés et pas suffisamment concentrés pour apporter l’impact attendu tel que nous le souhaitons.
Appel aux Africains habitant sur le continent ainsi que la diaspora à investir massivement non seulement dans le secteur de la technologie mais surtout auprès des PME africaines
Je ne peux finir cette tribune sans appeler les Africains habitant sur le continent ainsi que la diaspora à investir massivement non seulement dans le secteur de la technologie mais surtout auprès des PME africaines.
Dans la conscience collective, investissement veut nécessairement dire grosse somme et reste du domaine des multinationales ou des personnes fortunées. Rien n’est plus faux !
Un investissement est la mise à disposition d’un projet, dans lequel on croit, d’une somme d’argent dont on n’a pas besoin à court et à moyen terme. Un investissement est donc nécessairement à long terme.
J’en profite pour préciser qu’un placement est différent de l’investissement.
Quand les Vcs apportent du capital auprès de la startup ou entreprise, ils font de l’investissement et non du placement. En effet, compte tenu du risque inhérent à l’activité de startup, les investisseurs ont une forte chance de perdre l’argent qu’ils ont apporté si les potentiels décelés auprès du la start up ou entreprise n’ont pas été transformés en business réel.
La diaspora sénégalaise envoie à leur pays d’origine plus que le Sénégal reçoit en aide au développement ($2,5Mds/ an). Pourtant qu’est ce qu’on constate ? Ces fonds reçus ne sont ni optimisés en termes de collecte ni en termes d’allocation vers des projets qui créent de la valeur et/ou qui créent de l’emploi.
Le Nigéria comme l’Egypte possèdent également une très forte diaspora à l’extérieur. Force est de constater que nous arrivons au même constat que le Sénégal.
Si l’immobilier est le secteur naturel d’investissement des Africains, cependant en regardant de près, il s’agit davantage de spéculation que ce qu’on peut appeler investissement. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le prix des m² pratiqués dans nos capitales respectives.
Apparition ces dernières années d’un nombre non négligeable de différents véhicules d’investissement portés par des investisseurs africains visionnaires touchant différents secteurs et ce dans les différentes capitales
Pour conclure, il faut rappeler l’apparition ces dernières années d’un nombre non négligeable de différents véhicules d’investissement portés par des investisseurs africains visionnaires touchant différents secteurs et ce dans les différentes capitales.
On peut citer quelques exemples marquants Adiwalé, Jangoo (Côte d’Ivoire), Partech, Teranga Capital, WIC, We fund (Sénégal), Ciwara Capital (Mali & Sénégal), Breega (Paris, Londres).
Il n’y a rien donc de tragique de constater la baisse passagère du financement de l’écosystème tech africaine. Le signal d’alerte peut être activé si et seulement si cette baisse s’inscrit dans la durée.
Comme dit le sage : l’avenir est à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves. Nous sommes l’avenir.
Africainement vôtre.
Rivolala RATSIMANDRESY a co-fondé en septembre 2014 la Rencontre des Entrepreneurs, le 1er accélérateur Privé d’accompagnement de PME-PMI du Sénégal dont la mission consiste à repérer des PME-PMI à fort potentiel pour en faire des champions en leur donnant accès au capital, aux meilleures compétences et à un ensemble de réseau.
Pour en savoir plus : www.entrepreneursenegal.com
A lire dans notre ANAMag special Tech : https://online.fliphtml5.com/pgjkg/cdpx/