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Le CFA ou l’autonomie financière africaine en question

Créé il y a un peu plus de 70 ans, le CFA est aujourd’hui l’un des objets de discorde les plus virulents sur le continent noir : car à comparer les pays CFA à leurs voisins anglophones – qui jouissent d’une relative liberté monétaire comme le Ghana ou le Nigeria – l’équation peut paraître déséquilibrée. Ainsi, des oppositions se sont créées entre les pro-CFA et ceux qui veulent rompre avec lui, tous ayant pourtant un objectif commun : l’autonomie financière du continent et sa prospérité économique.

Un comparatif difficile

A côté des 14 pays d’Afrique francophone de la zone CFA, se dressent des géants financiers qui – avant la crise des prix sur le marché international –  ont longtemps dominé l’économie du continent. Le Nigeria (naira), le Ghana (cedis), l’Afrique du sud (rand), entre autres, en sont les meilleurs exemples. Ainsi, ces trois pays jouissaient d’une croissance économique de 8% entre 2008 et 2009, pendant que la croissance moyenne pour les pays de la zone CFA était à 3,9%. Mais aujourd’hui, alors que « la croissance du continent a chuté à son plus bas niveau depuis 20 ans » d’après la Banque Mondiale, celle de la zone CFA est stable et reste à un peu plus de 3%.

Ces chiffres permettent de conclure pour certains que les économies des pays de la zone CFA sont moins prolifiques, parce que non autonomes, mais beaucoup plus résilientes face aux chocs externes. Et ce sont donc sur ces données, valant pour comparatif, que deux camps se dessinent clairement. Ceux qui tiennent l’argument de la floraison de l’économie autonome pour demander la mise à la retraite du CFA ; et ceux qui soutiennent, en raison de sa résilience face aux chocs externes, le maintien du CFA.

Maintenir le CFA pour une meilleure stabilité

« Si l’on regarde sur une longue période, 25-30 ans, cette monnaie a été utile aux populations. Mais écoutez, qu’est-ce que nous voulons d’autre ? Peut-être que c’est le terme Franc CFA qui gêne, mais en ce moment-là qu’on le change ! Mais sur le fond je considère que notre option est la bonne », déclarait récemment Alassane Dramane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire. Pro-CFA, le chef d’Etat ivoirien est convaincu que cette monnaie conduit les pays qui l’ont en partage vers un plein essor économique. Selon lui, les pays de la zone Franc sont les pays qui ont eu la croissance la plus continue sur une longue période et qui ont eu le taux d’inflation le plus bas. « Une des rares zones où le taux de couverture de la monnaie est quasiment à 100% », considère-t-il.

Comme lui, beaucoup avancent que le CFA est un moteur de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest et Centrale, favorisant les échanges et garantissant la stabilité macro-économique. « Les difficultés que rencontrent les  14 pays de la zone ne sont pas liées à la monnaie. Elles s’expliquent par le choc créé par la chute des matières premières », appuie Thiémoko Meyhet Koné, gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO). Avec les sympathisants du CFA, il pense qu’il faut conserver la monnaie pour garder la stabilité. A l’extrême antipode, se tiennent les anti-CFA.

Réviser ou abolir : pour une plus grande liberté

Pour le président Tchadien Idriss Deby Itno, il faut mettre à la retraite le franc CFA, ou revisiter l’accord de coopération monétaire qui lie la France aux pays de la zone. « Je crois que c’est une décision courageuse que nos amis français doivent prendre… Certaines clauses sont dépassées et tirent l’économie de l’Afrique vers le bas. Ces clauses-là, il faudra les revoir dans l’intérêt de l’Afrique et dans l’intérêt aussi de la France ».

Comme lui, plusieurs économistes africains trouvent injuste que le CFA soit arrimé à l’euro. Pour eux, le fait que pour garantir cette parité fixe entre l’euro et le CFA les Etats africains doivent déposer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor français est appauvrissant. « Cela revient à taxer les exportations et à subventionner les importations. Regardez, à l’exception de la Côte d’Ivoire qui bénéficie des revenus du cacao, toutes les balances commerciales des pays d’Afrique de l’Ouest sont fortement déficitaires », explique l’économiste togolais, professeur à Princeton et Oxford, Kako Nubukpo. Selon lui, pour garantir cette stabilité monétaire, les banques centrales de la zone pourraient  seulement placer 20 % de leurs réserves auprès du Trésor français. De même, Mamadou Koulibaly, économiste ivoirien, prophétise que la sortie des pays africains de la zone monétaire du CFA n’est plus « une option pour eux… mais, une nécessité vitale, logique et historique ».

A quoi s’attendre ?

Le franc CFA est devenu aujourd’hui, le symbole d’une ligne de fracture vivace entre ceux qui souhaitent la conserver au nom de la stabilité, et ceux qui veulent s’en affranchir, y voyant l’ultime avatar d’un néocolonialisme économique. C’est ainsi que Jaurès Sogbossi, représentant du mouvement « Non au franc CFA » résume la portée politique du débat : « Nous reprochons au Franc CFA d’enrichir la France et d’appauvrir l’Afrique et les Africains. »

Un débat dont l’issue tracera l’avenir de la monnaie. Ainsi, François Hollande, le président français, affirmait récemment qu’il était « ouvert à toutes les propositions que les Etats membres de la zone pourraient formuler… » Il répondait ainsi à Roch Kaboré, président burkinabè qui avait déclaré à l’ouverture du Forum international Afrique Développement (FIAD) que c’est un « gros défi lancé aux présidents de réfléchir pour qu’ensemble nous puissions avoir une monnaie ». A travers ces propos, il est clair que l’avenir du CFA est désormais acté. Reste à savoir par quelle formule il faudra fermer, poursuivre, ou seulement revoir, ses pages.


 Auteur : Emmanuel Atcha // Photos : FCFA © DR

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