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« L’Afrique a tout pour réussir le pari de l’intégration régionale » – Marie Chantal Uwitonze

Directrice de MACH Consulting – cabinet de conseil spécialisé en relations UE-Afrique et ACP-UE – Marie Chantal Uwitonze a travaillé plus de 10 ans dans les plus grandes organisations internationales (PNUD, Parlement Européen…) Convaincue que la réussite du continent passe par l’intégration régionale, elle préside aujourd’hui l’African Diaspora Network in Europe (ADNE). Interview.

L’intégration régionale en Afrique est dans tous les discours – des gouvernements africains comme des institutions régionales – mais reste encore un défi. En termes de cadre institutionnel, de mobilité des hommes et des marchandises (…) l’intégration régionale ne fonctionne pas. Comment l’expliquez-vous ?

Le bilan de l’intégration régionale est différent selon que l’on se place sur le plan continental ou sur le plan sous régional. Au niveau continental, les raisons de l’échec de l’intégration sont notamment liées aux caractéristiques et au fonctionnement de l’organisation qui devrait en assurer l’efficacité : l’Union africaine – mais qui souffre cruellement d’un manque de moyens face aux grandes ambitions dont elle s’est dotée.

Sans cette autonomie budgétaire, l’Union africaine sera toujours un beau rêve et ne pourra pas régler ses faiblesses sur les plans institutionnels et politiques. Par exemple, l’Union a toujours eu beaucoup de mal à permettre aux 54 pays de constituer une voix commune sur les grands défis globaux tels que le changement climatique, la question énergétique, la migration, la sécurité etc… mais tous ces chantiers nécessitent des moyens colossaux ! Il faut un nombre suffisant d’experts qui assurent le suivi de ces dossiers et qui en informent les Etats membres.

Mais sur le plan des Etats justement, l’enjeu est-il mieux perçu ?

Je pense que les Etats africains ont parfaitement compris cet enjeu et je vois les choses bouger dans la bonne direction. Par exemple, le fait que la mission de la réforme institutionnelle ait été confiée à Paul Kagame, Président du Rwanda qui a démontré beaucoup d’efficacité en termes de réformes économiques tant au niveau national qu’au niveau régional, est plus que prometteur.

De même, au niveau sous régional, la dynamique est plutôt bonne au sein de la Communauté est-Africaine et de la CEDEAO. Les performances positives enregistrées dans ces deux sous régions sont étroitement liées à la bonne volonté politique des pays qui les composent de placer les questions de développement, de commerce, de transport, de sécurité, de technologie, d’emploi et de mobilité au centre des préoccupations.

A l’opposée, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) a du mal à rebondir notamment pour cause d’instabilité. Il est impératif d’y renforcer la coopération au niveau sécuritaire et faire de son intégration régionale un vrai outil pour la promotion de la paix et la sécurité.

Pourtant, toutes les analyses le confirment, l’Afrique, pour résoudre nombre de ses défis (déficit énergétique ; sous-infrastructures ; faible participation au commerce mondial, sécurité…) n’a d’autre option que l’intégration régionale ?

Tout à fait, l’intégration régionale est indispensable pour la relance économique des pays africains. Mis à part les avantages économiques majeurs pour la compétitivité et l’intégration de l’Afrique dans le commerce mondial, l’intégration régionale permettrait de prévenir des conflits régionaux et ainsi contribuer à bâtir les fondamentaux de l’essor économique du continent.

A l’ère de la mondialisation, les frontières économiques et sécuritaires n’ont plus de sens. « L’Union fait la force », et c’est plus que jamais une réalité. Je suis donc convaincue que l’intégration régionale sera le moteur de la renaissance africaine.

Vous qui officiez en tant que consultant auprès des Etats et des institutions telles que l’Union européenne, quel est le message que vous portez pour accélérer l’intégration régionale ?

L’Afrique a tout pour réussir le pari de l’intégration régionale, c’est juste une question de méthodologie. Il faut d’abord renforcer la diversification économique au niveau national en s’adaptant non pas seulement à la demande nationale mais aussi à la demande régionale et internationale. Il faut aussi accélérer l’industrialisation en Afrique pour créer plus de valeur et plus d’emplois. Il faut de plus renforcer le développement des infrastructures, des moyens de transports et de communication, de l’utilisation des nouvelles technologies et de l’accès à l’énergie – pour créer un environnement favorable aux échanges commerciaux et à la mobilité économique.

Enfin, il faut plus de volonté politique. A titre d’exemple, la CEA a connu beaucoup de succès grâce au système de coopération renforcée (Corridor Nord de la CEA) lancé entre le Rwanda, le Kenya et l’Ouganda, ce qui a réduit considérablement les obstacles à la mobilité des personnes et au transport de marchandises. D’autres pays de la zone, l’Éthiopie, le Sud-Soudan, la Tanzanie et même la RDC ont fini par rejoindre ces initiatives. Ce genre de mécanismes de coopération sous régionale permettent d’avancer petit à petit vers l’intégration continentale, et rendent donc possibles des investissements intra-africains – notamment dans le secteur des banques et des assurances, des télécommunications et de la construction.

Quel rôle peut jouer en ce sens les diasporas africaines, 6ème région africaine comme on le dit parfois, qui n’ont jamais été aussi mobilisées tant dans leurs pays d’accueil que d’origine, en vue de cette « one global Africa » ?

La diaspora africaine représente une grande opportunité pour l’Afrique. Le montant global des fonds de la diaspora est 3 fois plus important que l’aide au développement. Il faut encourager la diaspora à investir dans les pays d’origine et orienter ces fonds vers des projets de développement durable.

En outre, la Diaspora est une source de main d’œuvre qualifiée essentielle à la réalisation de grands chantiers du continent, notamment sur le plan industriel et technologique. Il est indispensable de renforcer la relation entre le continent et sa diaspora afin de permettre à cette dernière de participer pleinement la construction de l’avenir de l’Afrique.

C’est pour permettre à l’Afrique de disposer d’outil pour utiliser de façon optimale l’expertise de la diaspora que l’African Diaspora Network in Europe (ADNE) travaille actuellement sur un projet de création d’une base de données de la Diaspora africaine en Europe (« L’African Diaspora Skills Database »). Cette base de données, qui aura pour objectif de recenser les compétences disponibles au sein de la diaspora en Europe, aidera les pays africains à recruter des experts, des ingénieurs, des professeurs etc. dont ils ont besoins pour renforcer les capacités au niveau national et régional.


 

Auteur Dounia Ben Mohamed // Photo LDD, Légende Marie Chantal Uwitonze

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