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La Tunisie à la recherche d’une nouvelle formule gouvernementale

Lors du vote confiance qu’il avait lui-même sollicité, le Premier ministre tunisien, Habib Essid, a été désavoué, samedi soir, par l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), par un score sans appel de cent dix huit contre et de trois voix pour. Le chef de l’Etat doit lui désigner un successeur avant la fin de la semaine. Celui-ci disposera d’un mois (renouvelable une fois) pour proposer une nouvelle équipe gouvernementale.

Côté face, cet exercice démocratique est une première depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution du 26 juin 2014 et même dans l’histoire politique tunisienne. Côté pile, cette situation est l’expression de la difficulté à gouverner la Tunisie dans une configuration politique instable.

 

« Un résultat économique catastrophique »

En janvier 2015, le profil de Habib Essid, haut commis de l’Etat expérimenté et apolitique, avait semblé adapté pour diriger un gouvernement soutenu par une coalition de quatre partis, dont les deux principales forces rivales : Nidaa Tounes, vainqueur des élections, et Ennahdha, parti islamiste.

Cette formule présentait l’inconvénient de son avantage : le Premier ministre, dont la méthode de travail était marquée par la culture administrative, n’avait pas d’autorité sur les partis de la majorité. Le gouvernement tardait à délivrer les résultats attendus, notamment pour apporter des solutions décisives aux problèmes qui affaiblissent l’économie tunisienne : entre autres le blocage par les conflits sociaux de la production de phosphate qui enregistre un manque à gagner de 5 milliards de dinars depuis 2010, la généralisations de la corruption, ou le développement de l’économie informelle liée à la contrebande en provenance de Libye et d’Algérie, qui représente désormais plus de la moitié du PIB. « Habib Essid n’a pas réalisé plus de 10 ou 15% de son programme. Le résultat économique est catastrophique », dénonce Sofiane Toubel, chef du groupe parlementaire de Nidaa Tounes.

Souhaitant impulser une nouvelle dynamique, le chef de l’Etat Béji Caïd Essebsi, avait annoncé le 2 juin dernier qu’il souhaitait la formation d’un gouvernement d’Union nationale. Cette annonce avait pris tout le monde au dépourvu. Neuf partis politiques et trois organisations professionnelles (l’UGTT pour les salariés, l’UTICA pour le patronat et l’UTAP pour les agriculteurs) ont signé le 13 juillet, au Palais présidentiel, «l’Accord de Carthage», au terme d’un mois de négociations, pour redéfinir les priorités du prochain gouvernement. Un document dont on peine à distinguer la différence, avec le programme du gouvernement sortant.

 

Habib Essid sacrifié

S’estimant sacrifié pour des considérations politiques dans une initiative qui outrepasse les prérogatives du président de la République, Habib Essid a souhaité respecter la lettre et l’esprit de la Constitution et solliciter la confiance du Parlement. A cette occasion, il a défendu son bilan : « contrairement à ce qui se dit, notre gouvernement dispose d’un réel programme et de visions claires. La lutte contre le terrorisme a été, bien évidement, notre priorité. Nous avons réussi notre pari en matière de lutte contre la hausse des prix », a-t-il notamment souligné.

Il a également déploré le timing de cette initiative qui introduit de l’incertitude au sommet de l’Etat : « Le contexte n’est pas favorable ni sur le plan sécuritaire, ni sur le plan social. Sur le plan économique, nous avons commencé à voir les signes d’une reprise et d’une sortie de crise. Cette initiative risque d’avoir des effets contreproductifs ». Il a également imputé la difficulté à faire avancer les réformes aux divisions de Nidaa Tounes, incapable, selon lui, de fournir l’appui politique et l’efficacité parlementaire au travail du gouvernement.

 

Quadrature du cercle

Réagissant au discours offensif d’Habib Essid, Habib Khedder, député d’Ennahdha, a estimé que « c’est un peu tard pour changer de tonalité. Le plus important à présent est de revenir à l’esprit de la Constitution de 2014 et d’avoir un véritable Chef de gouvernement, et non plus un simple exécutant des décisions du président de la République ». Or, en demandant la formation d’un gouvernement d’union nationale, Béji Caïd Essebsi a souhaité accentuer la présidentialisation du fonctionnement de l’exécutif.

Le choix du nouveau Chef du gouvernement devra donc résoudre la quadrature du cercle : « Nous avons besoin d’un profil semi-politique, semi-technocrate », résume Sofiane Toubel. Une perle rare capable de s’imposer politiquement, mais sans être partisan, ni contrarier les velléités présidentielles du chef de l’Etat. L’équilibre de la nouvelle équipe gouvernementale devra également satisfaire non plus quatre, mais neuf partis politiques et trois organisations syndicales.

Sceptique devant l’intérêt de l’initiative présidentielle, Samia Abbou députée de l’opposition (Courant démocratique) juge que : « Le gouvernement soi-disant d’union nationale ne pourra que poursuivre la même politique que celui auquel nous venons de retirer la confiance. En réalité nous sommes gouvernés par deux personnes, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi [le président d’Ennahdha, Ndr], qui servent d’abord les intérêts de leur famille et des clans mafieux qui le soutiennent et cherchent à s’accaparer l’Etat, pour remettre en place le système de Ben Ali ».


 

Thierry Brésillon

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