Kag Sanoussi : « L’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle des spectateurs silencieux »
Le récent discours d’Emmanuel Macron devant les ambassadeurs français, dans lequel il déplore un manque de reconnaissance et d’élégance de certains pays africains envers la France, a suscité une vive controverse. Plus qu’une simple déclaration, ces propos ont provoqué une vague de réactions en Afrique, révélant les mutations profondes des relations entre la France et certains pays, le poids de l’histoire partagée et les aspirations d’un continent en quête de souveraineté…

Par Kag Sanoussi*
Pour se coucher, il faut d’abord s’asseoir
Si les critiques venues d’acteurs de plusieurs pays africains ont été immédiates et massives, elles trouvent un écho chez certains citoyens français, qui partagent un sentiment de frustration et d’injustice. Cette dualité met en lumière des perceptions divergentes façonnées par l’histoire et des attentes respectives.
Frustration et incompréhension en France
Du côté français, les réactions traduisent un mélange d’exaspération et de déception face à ce qui est perçu comme un manque de reconnaissance pour les sacrifices consentis par la France dans certains pays d’Afrique.
L’aide au développement et le soutien économique
Pour certains, les efforts de la France, notamment en matière d’aide au développement, devraient susciter une gratitude africaine. Toutefois, cette perception est souvent contestée en Afrique, où ces « aides » sont perçues comme des investissements intéressés profitant davantage à la France qu’aux pays africains.
Le rôle des bases militaires françaises
Les opérations militaires françaises, sont vues par de nombreux Français comme des interventions visant à stabiliser des régions vulnérables et à combattre le terrorisme. Et le départ forcé des troupes françaises dans plusieurs pays africains est vécu comme un rejet ingrat, en dépit des vies humaines et des ressources mobilisées.

Un sentiment de rejet croissant
Les manifestations anti-françaises, les drapeaux brûlés et les discours critiques à l’égard de la France exacerbent un sentiment d’injustice parmi certains Français. Pourtant, ces expressions traduisent davantage un rejet des politiques françaises qu’une hostilité envers le peuple français.
Pour beaucoup, la France est tenue injustement responsable de tous les maux de ses anciennes colonies, sans considération pour ses apports qui ne seraient ni reconnus ni appréciés.
Ce ressentiment n’est cependant pas exempt de subjectivité, d’a priori et parfois de méconnaissance des dynamiques locales en Afrique, mais aussi des enjeux géostratégiques et géopolitiques. Mais il illustre un malaise réel, renforcé par des discours politiques qui opposent parfois l’Afrique et l’Europe au lieu de les rapprocher.
Décryptage des réactions des pays africains : le manifeste d’une affirmation
Dans plusieurs pays d’Afrique, les propos de Macron ont été perçus comme condescendants et déconnectés des réalités locales. Les réponses immédiates des dirigeants, des intellectuels, des médias et des citoyens témoignent d’un continent résolument tourné vers une redéfinition de son rôle sur la scène internationale.
Une dignité retrouvée
L’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle des spectateurs silencieux. Elle revendique son autonomie et sa souveraineté dans des relations plus égalitaires. Cette prise de parole affirme une volonté de rompre avec les pratiques paternalistes perçues comme appartenant à une autre époque.
Des priorités en mutation
Ces critiques mettent en évidence la diversification des alliances du continent, qui se tourne vers des partenaires comme la Chine, la Russie, ou la Turquie, reflétant un refus de dépendre d’un seul interlocuteur. Ce multipolarisme croissant redéfinit le rôle de la France avec les pays d’Afrique de son ancien empire colonial.
Le poids de l’histoire et des enjeux mémoriels
Les relations entre la France et les pays africains concernés restent profondément marquées par les séquelles de la colonisation et les ingérences post-indépendances. Ces blessures, encore vives, alimentent un rejet des politiques françaises jugées néocoloniales.
Les irritants historiques : pourquoi ces propos passent mal ?
Plusieurs éléments exacerbent l’indignation face au discours d’Emmanuel Macron :
L’héritage colonial : Les relations entre la France et beaucoup de pays africains sont profondément marquées par la colonisation, un épisode qui a détruit des sociétés, exploité des ressources et imposé une domination politique et culturelle. Pour beaucoup, cette histoire n’a rien apporté de bon pour l’Afrique et rend déplacée toute attente de « gratitude », d’autant que les blessures de cette époque sont encore vives.
La contribution des pays africains à la libération de la France : Des milliers de combattants africains ont versé leur sang pour libérer la France lors des deux dernières guerres mondiales. Ces sacrifices rarement mise en lumière est vue une dette invalidant toute reproche sur une absence de reconnaissance africaine.
Les reliques de la France-Afrique et les perceptions d’ingérence et de paternalisme : Beaucoup d’Africains des pays de l’ancien empire colonial de la France reprochent à celle-ci des pratiques perçues comme paternalistes, voire néocoloniales. Les accords passés, comme ceux liés au franc CFA ou aux ressources naturelles, sont vus comme ayant profité à la France bien plus qu’aux pays africains.

Une opportunité de renouveler les relations
Les réactions des pays d’Afrique à ce discours, si elles peuvent paraître critiques, doivent être également vues comme une invitation au renouveau. Et la question fondamentale qui en découle est : que doit faire la France pour rester dans l’échiquier multipolaire présent en Afrique ? Ou encore, comment la France peut-elle maintenir une place dans cette Afrique en transformation ?
Deux options s’imposent :
Un partenariat égalitaire et respectueux : Une coopération fondée sur le respect mutuel, la reconnaissance des intérêts partagés et l’abandon des pratiques vues comme paternalistes et condescendantes.
Un déclin progressif de plus en plus accentué de l’influence française : Si la France ne parvient pas à prendre en compte les réalités du moment, elle pourrait perdre définitivement sa place privilégiée sur le continent.
Les relations entre la France et les pays d’Afrique concernés sont encore marquées par les cicatrices d’une histoire coloniale et d’un rapport de domination qui perdure dans les faits, malgré les déclarations publiques.
Pour la France, ces réactions, loin d’être perçues seulement comme une remise en cause stérile de la France, un manque de reconnaissance réelle ou supposée, doit être une occasion pour effectuer une introspection objective en croisant plusieurs analyses, afin de repenser en profondeur ses relations avec les pays d’Afrique ayant été ses colonies.
Cela implique de rompre avec des schémas hérités d’un passé récent où la France avait le monopole de toutes les relations avec ces pays ; de sortir réellement des stigmates de la France-Afrique (francs CFA, accords de défense, etc.) ; de rénover en profondeur sa diplomatie tant dans les postures que dans les pratiques ; de reconnaître les transformations du continent ; de trouver sa bonne place dans l’affirmation de l’autonomie et de la souveraineté des pays, jadis, dans sa zone d’influence.
Pour les dirigeants des pays africains concernés, accepter de payer le prix d’une réaffirmation de la souveraineté, en renonçant à la dépendance économique et politique qui nourrit une catégorie d’acteurs et compromet la véritable émancipation du continent.
Repenser une histoire partagée pour construire l’avenir
La France doit réussir à jouer avec ses véritables atouts : une longue histoire avec plusieurs pays d’Afrique, un métissage culturel ancien et riche, des diasporas africaines plurielles et compétentes qui sont mal exploitées. Elle doit s’émanciper des discours, des analyses d’intellectuels, de journalistes et parfois même d’acteurs politiques qui continuent de lui servir une vision erronée des pays d’Afrique, la confortant dans des analyses dépassées.
Il est désormais indispensable, d’accepter les mutations en cours, et de construire une relation décomplexée, respectueuse et tournée vers l’avenir.
L’heure n’est donc plus à la nostalgie ou aux attentes unilatérales, mais à l’écoute, au dialogue, et à l’invention d’un nouveau cadre de coopération entre la France et les pays d’Afrique concernés plus équilibré, plus éthique et bénéfique pour tous.
La France et les pays africains se trouvent donc à un tournant historique. Les mutations profondes des relations exigent une remise à plat des approches et des pratiques pour dépasser les héritages pesants du passé et embrasser un futur partagé, dynamique et équitable.
Les 5 leviers desquels émaneront des actions concrète de la redynamisation :
- Nouveau narratif : Oser une vision audacieuse et respectueuse pour en faire la clé de voûte d’un avenir partagé, ancré dans la pratique de la pensée centrale.
- Accords économiques : Défaire les accords figés pour bâtir une économie aux fondations responsables et à l’audace libératrice.
- Coopération militaire : Réunir esprits éclairés et cœurs engagés pour réinventer des partenariats adaptés aux attentes et qui tiennent compte de la concurrence mondiale accrue.
- Patrimoine et culture : Faire du patrimoine une passerelle vivante, où l’art et l’humain fusionnent dans un échange sans frontière, dans un dialogue humain renforcé.
- Diplomatie disruptive : S’émanciper des logiques coloniales pour une diplomatie ancrée dans l’action, pas les mots ;
Rompre avec l’ombre pour épouser le rythme de l’avenir.
Ces actions nécessitent une volonté politique forte et un dialogue transparent et exigeant. Elles appellent à dépasser les blocages historiques et psychologiques ainsi que les intérêts de court terme pour imaginer un partenariat nouveau. Il ne s’agit pas d’un simple ajustement, mais d’une véritable refondation des relations entre la France et les pays d’Afrique.
Ambitieux mais réaliste, ce projet repose sur une écoute sincère, une transcendance individuelle et collective, une action concertée, respectueuse et une détermination commune à faire de ces mutations une force.
Et si chaque partie s’engage pleinement à jouer son rôle, il sera possible de bâtir une coopération durable, porteuse d’avenir et exemplaire pour le reste du monde.
* Kag Sanoussi est président de l’Institut International de Gestion des Conflits, initiateur des concepts de l’Intelligence Négociationnelle et de la Pratique de la Pensée Centrale.